L’honorable Peter Harder propose que le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, il est un brin poétique que ces murs, qui ont été le théâtre de négociations visant à rapatrier la constitution canadienne, soient à nouveau le théâtre d’un débat visant à restreindre l’un des compromis fondamentaux qui ont marqué ce rapatriement.
Le bâtiment du Sénat du Canada où nous nous trouvons actuellement était autrefois le Centre de conférences du gouvernement. De grands noms de la politique s’y réunissaient pour discuter d’une pléthore d’idées lancées par le gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau.
Le rapatriement a transféré l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, rebaptisé Loi constitutionnelle de 1867 — la loi suprême de la nation — de l’autorité du Parlement britannique au Canada. Outre la suppression de l’emprise des Britanniques sur nos activités nationales, le rapatriement visait à introduire des modes de révision pour modifier la Constitution chez nous.
Aucune idée n’était plus grande, ni plus influente, que la Charte canadienne des droits et libertés, et aucun compromis n’a été discuté plus en détail que l’acceptation de l’article 33 de la Charte, connu sous le nom de clause dérogatoire.
Quel était le compromis en question? Le gouvernement fédéral obtenait le rapatriement de la Constitution, qui changerait à jamais le paysage des droits au Canada, et les provinces — grâce à la clause dérogatoire qu’elles avaient demandée — garantissaient leur suprématie législative sur les tribunaux en cas de conflit important au sujet de droits.
Pour les besoins de mon intervention, j’utiliserai indifféremment les termes « disposition de dérogation », « article 33 » et « dérogation ».
Le premier ministre Pierre Trudeau n’a trouvé aucun plaisir à inclure la disposition de dérogation et il l’a clairement fait savoir pendant et après le processus d’adoption de la Charte. Jean Chrétien, procureur général à l’époque, a écrit dans son livre Mes histoires :
Après 1982, chaque fois que je rencontrais Pierre Elliot Trudeau, il manquait rarement une occasion d’exprimer sa frustration d’avoir été contraint d’accepter l’article 33.
Pourquoi cela? Eh bien, Pierre Elliot Trudeau regrettait que la Charte ne soit pas pleinement inscrite dans la Constitution, car les gouvernements pouvaient encore restreindre les droits en recourant à la disposition de dérogation. Pourtant, c’est précisément grâce à ce compromis que nous avons aujourd’hui la Charte. Ceux qui ont participé aux discussions constitutionnelles s’accordent à dire que sans l’article 33, il n’y aurait pas eu de Charte.
Le compromis est la pierre angulaire d’une démocratie fonctionnelle. Les électeurs peuvent choisir leurs représentants et faire des compromis sur leur choix dans l’intérêt supérieur de la population. Les gouvernements peuvent faire des compromis pour faire adopter les engagements de leur programme, en particulier les gouvernements minoritaires. Même nous, en tant que sénateurs, avons fait des compromis pour faire avancer les travaux ou simplement pour nous entendre sur un rapport de comité. C’est un moyen efficace de s’assurer que tous les points de vue exprimés sont pris en compte.
Le compromis peut toutefois être ardu, comme l’ont montré les négociations constitutionnelles du début des années 1980. Il peut également demander beaucoup de travail.
Il est devenu de plus en plus évident que, lorsqu’il est question de la Charte des droits et libertés des Canadiens, les gouvernements populistes préfèrent éviter tout compromis en invoquant la disposition de dérogation. Ils le font souvent de manière préventive, allant ainsi à l’encontre des intentions des représentants provinciaux qui s’étaient battus pour obtenir cette clause.
Thomas Axworthy a brillamment résumé la situation en déclarant :
Désormais, avec l’augmentation exponentielle de la polarisation et de la partisanerie, le compromis semble avoir perdu de son attrait par rapport aux joies de la ferveur envers une cause unique.
La politique est devenue un sport sanglant. La rhétorique et le théâtre que font les partis politiques, certains plus que d’autres, visent à diviser et à cultiver les antagonismes. La base suit aveuglément le parti, et les faits, la logique et la raison n’ont plus aucun pouvoir de persuasion.
Le compromis devient vain, car il est impossible d’échanger avec celui que l’on considère comme son ennemi. Ce n’est pas tout le monde qui encourage et utilise cette approche, mais elle est suffisamment répandue pour nuire aux institutions politiques.
Bien que ce soient les provinces qui aient fait, selon moi, un usage abusif de la disposition de dérogation, en avril 2024, lors d’une allocution devant l’Association canadienne des policiers, l’ancien chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a laissé entendre, sans grande subtilité, qu’il l’utiliserait pour certaines réformes du système de justice pénale.
Cette année, le 15 avril, pendant la campagne électorale, M. Poilievre est allé encore plus loin et a explicitement déclaré l’intention d’un gouvernement conservateur d’invoquer la disposition de dérogation pour l’imposition de peines consécutives. Voilà un exemple de la ferveur envers un seul enjeu dont parlait M. Axworthy.
À l’époque du discours de l’Association canadienne des policiers, l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire semblait certaine, ce qui a certainement influé sur le calcul de l’ancien chef du Parti conservateur. La disposition de dérogation n’a jamais été utilisée au fédéral, et l’annonce de M. Poilievre m’a beaucoup inquiété.
La disposition de dérogation est en suspens depuis 43 ans, et pourtant, aucun premier ministre n’a clarifié la position du gouvernement fédéral sur son utilisation. Il a fallu la menace d’une provocation fédérale pour que le Parlement — y compris nous au Sénat — se réveille et qu’il réfléchisse à la meilleure façon de traiter une telle affaire si elle se présentait. Comment pouvons-nous justifier l’utilisation de la disposition de dérogation compte tenu de nos devoirs constitutionnels dans cette enceinte?
À partir de la motion que j’ai présentée au printemps dernier, j’ai décidé de transformer cette discussion en action. Pour ceux qui n’étaient pas ici à l’époque ou qui ne se souviennent pas de ma motion, elle demandait au Sénat d’indiquer qu’il ne devrait adopter aucun projet de loi contenant une déclaration en vertu de l’article 33 de la Charte des droits et libertés, communément appelé la disposition de dérogation.
Je vous encourage à lire mon discours et, plus important encore, ceux de la sénatrice Ringuette, du sénateur Cotter et de la sénatrice Simons, qui ont également participé aux débats. Soit dit en passant, mon intervention sur cette motion explique pourquoi j’ai présenté le projet de loi S-218. Le libellé de la motion se voulait provocateur pour inspirer la discussion et le débat. De même, vous constaterez que le projet de loi S-218 est tout aussi provocateur, si ce n’est pas plus. Il vise à modifier la Constitution.
Aurait-il pu s’agir d’un projet de loi distinct? Bien sûr que oui. Cependant, je n’ai pas cherché à en faire un projet de loi distinct pour plusieurs raisons. Tout d’abord, chercher à modifier la manière dont le gouvernement fédéral aborde les droits et libertés fondamentaux dans notre pays — en particulier des droits et libertés de cette ampleur — devrait être fait avec le plus grand sérieux.
Ensuite, une modification constitutionnelle attire l’attention. L’objectif est de susciter des réactions pour garantir un débat et une étude en profondeur d’un sujet important.
Un texte législatif distinct restreignant le recours à l’article 33 relève pratiquement de la modification constitutionnelle. Je veux être direct en affirmant que l’intention est de modifier la Constitution, et non de donner l’impression de le faire de façon détournée.
Il n’est pas facile de modifier la Constitution en raison de la procédure de modification constitutionnelle établie en même temps que la Charte. Toutefois, la procédure de modification prévue à l’article 44, qui traite des modifications unilatérales fédérales à la Constitution, peut être utile.
Notre ancien collègue, le sénateur Cotter, a reconnu que cela pourrait être le cas lorsqu’il s’est exprimé au sujet de ma motion. J’espère que le sénateur Gold partage son avis. J’ai hâte d’entendre sa contribution au débat.
À titre de rappel, la procédure de modification unilatérale prévue à l’article 44 est libellée comme suit, sous la rubrique « Modification par le Parlement » :
Sous réserve des articles 41 et 42 […]
— c’est-à-dire la modification par consentement unanime et la modification par procédure normale —
[…] le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Cette procédure est l’une des plus faciles à mettre en œuvre et a déjà été utilisée dans le passé pour augmenter le nombre de sièges à la Chambre des communes et pour assurer la représentation du Nunavut au Sénat après sa création en 1999.
Le projet de loi S-218 constitue une utilisation plus créative de cette formule de modification, mais qui, à mon avis, en saisit bien la nature. Il ne perturbe pas les autres formules de modification ni l’architecture sous-jacente de la Constitution telle qu’elle a été décrite par la Cour suprême dans son renvoi sur la réforme du Sénat en 2014.
Il s’agit d’une modification relativement simple à l’application fédérale de cet article. Le projet de loi S-218 s’intitule « Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation) », et il modifie la Constitution pour insérer l’article 33.1 après l’article 33, qui porte sur la dérogation.
La première disposition de ce projet de loi, le nouveau paragraphe 33.1(1), figure sous la rubrique « Application ». Cela indique clairement que le projet de loi ne vise que le Parlement fédéral et exclut les provinces. L’inclusion des provinces nécessiterait une procédure de modification différente, assortie des consultations nécessaires. Cela n’est pas viable dans le cadre d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat. De plus, les sénateurs remarqueront peut-être que le libellé de cette disposition est repris presque mot pour mot de l’alinéa 32(1)a) de la Charte, qui traite de l’application de la Charte dans son ensemble. Cela assure la continuité avec le libellé de ce paragraphe proposé tout en confirmant son inapplicabilité aux provinces.
La disposition suivante, le nouveau paragraphe 33.1(2), introduit des termes qui s’appliquent au projet de loi. Le premier est « déclaration », qui désigne une déclaration de disposition de dérogation conforme à l’article 33 de la Charte selon laquelle une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la Charte. Ces articles ont trait à nos libertés fondamentales, à nos garanties juridiques et à nos droits à l’égalité.
Le deuxième terme est « projet de loi attentatoire ». Un projet de loi attentatoire désigne tout projet de loi contenant une déclaration. Ces termes apparaissent dans le projet de loi, et il est utile d’en comprendre le sens.
Le paragraphe 33.1(3) proposé est simple. Il stipule qu’un projet de loi attentatoire doit obligatoirement prendre naissance à la Chambre des communes et y être présenté par un ministre. Bien que le gouvernement puisse, dans certains cas, choisir d’entamer le processus législatif de ses projets de loi au Sénat, que ce soit pour des raisons d’efficacité ou pour avoir une idée de la position du Sénat sur un projet de loi particulier, en vertu de ce paragraphe du projet de loi S-218, tout projet de loi attentatoire devrait, à l’origine, être déposé par un ministre à la Chambre des communes, comme c’est le cas pour les projets de loi de crédits et les projets de loi fiscaux.
J’ai décidé d’aborder la question des projets de loi attentatoires de cette manière parce que les mesures de protection actuelles intégrées dans la Charte des droits et libertés concernant l’utilisation de la disposition de dérogation et le compromis effectué par le gouvernement fédéral et les provinces afin d’assurer le rapatriement de la Charte nécessitent un électorat informé et engagé pour surveiller de près les gouvernements, faire pression et exiger des comptes. C’est ce que prévoient à l’heure actuelle les paragraphes 33(3) à 33(5) de la Charte, limitant à cinq ans tout recours à la disposition de dérogation et obligeant le gouvernement à réadopter une déclaration pour son maintien. Une période de cinq ans engloberait normalement une période électorale, ce qui garantirait aux électeurs la possibilité de renverser le gouvernement s’ils découvraient que les violations des droits découlant du recours à la dérogation constituent la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
J’ai fait valoir dans mon discours sur la motion que je ne pense pas que cela soit suffisant pour protéger les droits contre les violations. C’est également pour cette raison qu’un projet de loi qui porte atteinte à des droits doit être présenté en premier lieu à la Chambre des communes, où siègent les élus. Nous ne sommes pas élus et ne sommes donc pas habilités à amorcer un tel débat.
La disposition suivante porte sur les décisions antérieures. Il s’agit d’un élément extrêmement important du projet de loi S-218, car il supprime la possibilité pour le gouvernement fédéral d’utiliser de manière préventive la disposition de dérogation. L’utilisation préventive est à l’origine des abus commis récemment par les provinces et elle a permis de mettre bien en évidence les raisons pour lesquelles ce type de recours à la disposition de dérogation devrait être complètement interdit au niveau fédéral. Le compromis visant à intégrer cette disposition dans la Charte n’a jamais prévu son invocation avant que le pouvoir judiciaire ne se soit prononcé.
Lorsque Doug Ford a voulu recourir pour la première fois à titre préventif à la disposition de dérogation en 2018 afin de réduire la taille du conseil municipal de Toronto, Jean Chrétien, Roy Romanow et Roy McMurtry se sont opposés à cette mesure, affirmant qu’elle allait à l’encontre de l’esprit du compromis. C’est très important, car ce sont les trois personnes qui, lors d’une « réunion de cuisine », ont imaginé le compromis sur la disposition de dérogation qui a permis le rapatriement de la Constitution.
Aux fins du présent projet de loi, deux voies permettent aux juges de se prononcer. La première est que l’on renvoie un projet de loi ou l’une de ses dispositions à la Cour suprême en vertu de l’article 53 de la Loi sur la Cour suprême et que cette dernière juge ce projet de loi ou cette disposition inconstitutionnel. La seconde est le processus habituel par lequel une partie extérieure conteste la constitutionnalité d’une loi ou de l’une de ses dispositions et arrive à porter la cause devant la Cour suprême, la cour d’appel final, qui la juge alors inconstitutionnelle. Dans les deux cas, l’inconstitutionnalité devrait être liée à l’article 2 ou aux articles 7 à 15 de la Charte, comme l’exige actuellement l’article 33.
Si notre plus haut tribunal établit l’inconstitutionnalité d’une loi ou de l’une de ses dispositions, le ministre pourrait alors présenter un projet de loi attentatoire, mais son libellé doit correspondre à celui des dispositions jugées inconstitutionnelles par le tribunal. Si le libellé diffère de celui qui a déjà été contesté devant les tribunaux, cela pourrait invalider le processus d’adoption du projet de loi attentatoire. Nous savons tous que le libellé est important lors de la rédaction des lois.
De plus, comme l’ont écrit Sujit Choudhry et George Anderson dans le cadre d’un symposium en l’honneur de Peter Hogg :
[…] interdire le recours préventif […] augmente le coût politique et réduit la probabilité de son utilisation en obligeant le gouvernement à composer avec un jugement déclarant une loi inconstitutionnelle […]
Cette mesure contribue à améliorer la communication entre les tribunaux et les pouvoirs exécutif et législatif, comme prévu à l’origine.
Les quatre dispositions suivantes du projet de loi S-218 visent à garantir que l’information quant à la nature des violations des droits et aux motifs invoqués par le gouvernement pour justifier le recours à une dérogation dans le cadre d’un projet de loi attentatoire est rendue publique et connue. La première disposition prévoit l’inclusion d’un préambule qui expose les motifs de la déclaration dans un projet de loi attentatoire. Les préambules sont courants dans la rédaction des textes législatifs.
La disposition suivante, le paragraphe 33.1(6), exige qu’un énoncé concernant la Charte soit déposé avec le projet de loi attentatoire et qu’il expose, d’une part, les conséquences que pourrait avoir le projet de loi sur les droits garantis par l’article 2 et les articles 7 à 15 et, d’autre part, les motifs pour lesquels une dérogation à ces articles ne peut être justifiée uniquement au regard de l’article 1 de la Charte. Cette disposition permet aux gouvernements d’empiéter sur les droits garantis par la Charte sous réserve de limites raisonnables prescrites par la loi. Le gouvernement doit expliquer en détail pourquoi il a choisi d’invoquer la disposition de dérogation plutôt que d’utiliser le critère bien connu pour se conformer à l’article 1.
Comme l’a dit le sénateur Cotter lors du discours qu’il a prononcé à la dernière Halloween, la disposition de dérogation :
[…] délégitime de façon anticipée de nombreux droits et, implicitement, la valeur de l’article 1 — la disposition sur les conditions permettant de restreindre un droit —, et la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, qui a élaboré une approche sophistiquée de l’article 1.
Le gouvernement devrait être tenu d’expliquer sa position à l’avance.
La disposition subséquente se situe sous la rubrique « Attribution de temps ». Tout simplement, elle élimine la possibilité de limiter la durée du débat sur un projet de loi de loi attentatoire. Elle s’applique à la Chambre des communes et au Sénat. Cette mesure est essentielle pour veiller à ce que ces questions importantes soient examinées en détail avant la tenue d’un vote.
Le paragraphe 33.1(8) du projet de loi S-218 est semblable à celui de la disposition précédente, mais porte sur les comités pléniers dans les deux Chambres. Si un projet de loi attentatoire est renvoyé à un comité, un comité plénier ne peut pas être utilisé pour en accélérer l’étude. L’étude en comité est le travail le plus important qu’effectuent les députés et les sénateurs. C’est à cette étape que l’on procède à une analyse approfondie et que l’on entend les experts. Nous utilisons les renseignements ainsi obtenus pour compléter notre réflexion en tant que législateurs et offrir des solutions ou des compromis possibles. L’élimination de l’étude en comité sur une question aussi fondamentale que les droits garantis par la Charte constitue de la négligence et de l’insensibilité, en particulier pour les populations minoritaires, qui se situent le plus souvent du mauvais côté des violations des droits de la personne.
J’espère que ces quatre dispositions aideront à mieux informer les Canadiens sur les mesures législatives qui touchent fondamentalement leurs droits constitutionnels, afin que la disposition de caducité au bout de cinq ans prévue dans la Charte puisse fonctionner comme prévu. La disposition de dérogation doit restreindre les tribunaux, et la population doit restreindre le gouvernement, mais quelles restrictions s’appliquent face à une population mal informée? Si les Canadiens ne sont pas conscients que leurs droits sont bafoués, la disposition de caducité au bout de cinq ans est sans effet. Les gouvernements populistes choisiront la voie de la facilité pour parvenir à leurs fins, comme nous l’avons vu au niveau provincial. Des garde-fous sont nécessaires.
La dernière disposition modifierait les exigences concernant les votes à la Chambre des communes. Selon cette proposition, une motion portant troisième lecture d’un projet de loi attentatoire nécessiterait une majorité qualifiée de 66 % des voix de tous les députés, soit 227 voix sur 343. De plus, si un gouvernement majoritaire a plus de 227 sièges, un autre parti reconnu doit appuyer le projet de loi attentatoire.
Cela ne s’appliquerait qu’à la Chambre des communes, et non au Sénat. C’est la Chambre élue qui devrait avoir le plus de poids dans le processus décisionnaire. Le Sénat envisagera la même chose en temps et lieu, mais en tenant compte de la décision de la Chambre élue. Il s’agit d’une mesure de reddition de comptes et de transparence, et j’espère que la Chambre l’approuvera.
Ne nous méprenons pas, les modifications proposées visent à rendre l’invocation de l’article 33 par le gouvernement fédéral plus difficile, mais pas impossible. Je crois que ces modifications vont dans le même sens que les intentions initiales de ceux qui ont rédigé cet article, il y a plus de quatre décennies. En 2025, c’est plus important que jamais. Aujourd’hui, bien des Canadiens ne savent pas en quoi consistent les droits garantis par la Charte ou ce que cela signifie, et ils connaissent peu la disposition de dérogation. Cela s’explique simplement par le temps qui passe ainsi que par le fait que la disposition a été relativement peu invoquée jusqu’en 2018. Cependant, c’est aussi en raison de la façon dont de nombreux Canadiens reçoivent de l’information et de leur méfiance envers les institutions et les autorités en général. Ce projet de loi vise justement à bien informer les Canadiens de leurs droits et de ce qu’une dérogation peut avoir comme conséquence pour eux.
Ne prenons pas de raccourcis, ralentissons le processus et veillons à ce que les Canadiens sachent ce qui est en jeu avant qu’un gouvernement fédéral invoque l’article 33 de façon abusive. C’est pour cela qu’un processus d’appel judiciaire complet doit être la norme avant la présentation d’un projet de loi attentatoire et qu’il faut encourager un débat sans entrave. Si un gouvernement veut passer outre à nos droits, il devrait s’expliquer en respectant ces critères.
Chers collègues, ces conditions ne sont pas toutes les miennes. J’ai évoqué les principes de Peter Lougheed dans mon discours sur la motion. M. Lougheed, qui était premier ministre de l’Alberta au moment des négociations constitutionnelles, ainsi que Sterling Lyon, du Manitoba, et Allan Blakeney, de la Saskatchewan, étaient des défenseurs acharnés de la notion de la disposition de dérogation.
M. Lougheed a parlé de la disposition de dérogation et de son inclusion dans la Charte lors d’une conférence très célèbre donnée à l’Université de Calgary, en 1991. Je voudrais citer ici ses propos :
Le but de la dérogation est de permettre un débat public responsable et transparent sur les questions relatives aux droits, ce qui pourrait être compromis si les législateurs étaient libres d’utiliser la disposition de dérogation sans discussion ni délibération ouverte sur les modalités pour y avoir recours. Il ne fait guère de doute que, lorsqu’ils défient la Cour suprême et passent outre un droit clairement établi, les pouvoirs publics doivent tenir compte de l’importance du droit en cause, de l’objectif de la loi contestée, de l’existence d’autres moyens moins intrusifs d’atteindre le même objectif stratégique et d’une foule d’autres questions. Il faut éviter que […] les tribunaux deviennent responsables [a déclaré Lougheed] de déterminer si une limite est raisonnable ou manifestement justifiable dans une société libre et démocratique […]
Ayant été témoin de l’utilisation de la disposition de dérogation au Québec, qui l’a appliquée à grande échelle à ses lois pour protester contre le fait d’être la seule province à ne pas avoir signé la Charte, et en Saskatchewan, qui l’a utilisée de manière préventive dans un projet de loi sur les relations de travail, M. Lougheed a conclu que l’objectif initial de la disposition n’était pas respecté et qu’elle n’offrait pas l’occasion d’un débat public responsable sur les questions relatives aux droits.
Après neuf ans de réflexion sur la disposition de dérogation, M. Lougheed propose, dans cette même conférence, trois modifications à l’article.
La première est que le Parlement — ou une assemblée législative — soit tenu de préciser l’objectif de tout projet de loi comportant des dérogations aux droits sous une forme standard. Il s’agit d’une proposition de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, également connue sous le nom de Commission royale Macdonald. La recommandation de la commission se lit comme suit :
Les commissaires espèrent que par la clause de dérogation générale de la Charte, l’opinion publique prendra davantage conscience des législations qui peuvent limiter les droits constitutionnels des citoyens du Canada.
Les mesures législatives dérogatoires devraient comporter une déclaration selon laquelle celles-ci ont effet indépendamment d’une disposition de la Charte, et elles devraient comporter non seulement une référence aux droits précis auxquels elles dérogent, mais aussi une indication de l’objectif de la mesure législative.
Une telle déclaration aiderait les tribunaux à vérifier que les restrictions n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif; elle pourrait également constituer un point de référence utile dans les discussions sur le caractère opportun de prolonger la dérogation après la période de cinq ans.
Cette approche est couverte dans une certaine mesure dans le projet de loi S-218.
La deuxième modification proposée par M. Lougheed exigerait une majorité qualifiée de 60 % des voix. Il fait valoir que le recours à la disposition de dérogation est une action si substantielle de la part de l’assemblée élue qu’elle nécessite un niveau d’autorisation plus élevé qu’une majorité simple. Cela est conforme à un document de proposition de 1991 présenté par le gouvernement du Canada, intitulé Bâtir ensemble l’avenir du Canada, qui proposait une majorité qualifiée de 60 %. J’abonde dans ce sens et j’ai proposé à la place une majorité correspondant à tout le moins aux deux tiers, composée de deux partis reconnus, de manière à garantir le dialogue et le compromis.
La dernière proposition de modification de M. Lougheed garantit que la disposition de dérogation n’est jamais invoquée de manière préventive.
Il déclare :
À mon avis, ne pas avoir ce droit est antidémocratique dans la mesure où l’objectif de l’article 33 était la suprématie du Parlement sur la magistrature et non la domination ou l’exclusion du rôle de la magistrature dans l’interprétation des articles pertinents de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il a prévu que tous les droits d’appel soient épuisés avant le recours à la disposition, ce que vous trouverez sous la rubrique « Décision préalable » du projet de loi S-218, bien que j’aie proposé qu’une référence à la Cour suprême provoque également une intervention.
J’ai essayé d’intégrer les principes de M. Lougheed dans mon propre projet de loi parce que je crois, comme lui, qu’il s’agit de modifications pragmatiques qui préviendraient l’exploitation du fait que l’article 33, de par sa nature, ouvre la porte aux abus.
Certaines des principales associations juridiques canadiennes ont également réclamé des versions de la proposition de M. Lougheed afin de protéger ou de limiter le recours à la disposition de dérogation. Dans une lettre intitulée « Établissement de lignes directrices concernant le recours à la disposition de dérogation » adressée à Arif Virani, alors ministre de la Justice et procureur général, l’Association du Barreau canadien a proposé quatre lignes directrices, à savoir : l’interdiction du recours préventif à l’article 33; l’exigence d’un vote majoritaire des deux tiers au sein de l’assemblée législative ou du Parlement; l’exigence de consultations publiques significatives et transparentes avant le recours à la disposition; l’inclusion d’un préambule expliquant pourquoi on a jugé nécessaire d’invoquer la disposition.
Les lignes directrices proposées figurent toutes dans le projet de loi S-218.
En décembre 2024, l’Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC, a également adressé au premier ministre d’alors, Justin Trudeau, une lettre intitulée « Le recours abusif à la disposition de dérogation constitue une menace pour notre Charte ». L’ACLC recommande trois limites, dont deux que nous connaissons bien : l’interdiction du recours préventif à la disposition et l’exigence d’une majorité qualifiée lors d’un vote. Ce document s’inscrit dans la campagne « Sauvons notre Charte », au sujet de laquelle on peut se renseigner sur le site Internet de l’ACLC, et traite des dommages causés par les recours récents à la disposition par les provinces.
La troisième limite mentionnée dans la lettre de l’association permettrait aux tribunaux d’examiner l’utilisation de la disposition de dérogation. Cela irait peut-être trop loin, je crois, compte tenu de l’objectif initial de l’inclusion de l’article 33 par les provinces. Si la consultation publique fait partie intégrante du processus de la disposition de dérogation, cela devrait suffire à apaiser les craintes d’une utilisation abusive. En d’autres termes, si l’on veut que les citoyens soient les seuls à pouvoir arbitrer les questions de droits, ceux-ci doivent être informés des avantages et des inconvénients du recours à la disposition avant que l’exécutif fédéral puisse confirmer que la province peut l’invoquer.
On peut se demander comment il est possible de légiférer sur ces lignes directrices alors que nous ne sommes pas en mesure de légiférer de manière restrictive pour les futurs gouvernements. Je dirais qu’il y a une différence entre légiférer sur des questions de fond et sur des exigences procédurales, ce que fait le projet de loi S-218. En effet, il impose des restrictions procédurales à l’adoption de projets de loi fédéraux invoquant la disposition de dérogation. Ces restrictions sont également connues sous le nom d’exigences de mode et de forme.
Selon Craig Scott, professeur à la Faculté de droit Osgoode Hall, les exigences de mode et de forme :
[…] des exigences légales qu’une législature cherche à imposer aux législatures futures sous la forme de conditions restrictives ou d’autorisations facilitantes concernant l’adoption, la modification ou l’abrogation de lois ou de règlements […]
L’exigence de mode et de forme prévue par le projet de loi S-218 serait une condition préalable à la promulgation de lois contenant une disposition de dérogation.
Bien que le projet de loi S-218 légifère de manière restrictive en mettant en œuvre une exigence de mode et de forme, il ne prive pas les gouvernements fédéraux de la possibilité d’invoquer la disposition de dérogation, et les modifications qu’il prévoit ne sont pas à l’abri d’une abrogation. Il serait toutefois difficile de les abroger, compte tenu des motifs évoqués et de ce qui est protégé. L’un des plus éminents experts constitutionnels du Canada, le regretté Peter Hogg, était convaincu que les modifications de manière et de forme sont appropriées dans la structure juridique canadienne.
Dans son ouvrage de référence sur le droit constitutionnel intitulé Constitutional Law of Canada, il a écrit :
Même si un corps législatif n’est pas lié par les limites auxquelles il s’astreint lui-même pour ce qui est du contenu, de la substance ou de la politique des textes de loi qu’il adopte, il est raisonnablement clair qu’un corps législatif peut être lié par les limites procédurales (ou de mode et de forme) auxquelles il s’astreint lui-même lorsqu’il légifère.
Il ajoute :
Est-ce que le Parlement ou une assemblée législative serait lié par des règles « de mode et de forme » qu’il se serait imposées lui-même relativement à la promulgation des lois? La réponse, à mon avis, est oui.
Si le projet de loi S-218 est adopté par le Parlement et reçoit la sanction royale, il s’agirait d’une loi auto-imposée : le Parlement aurait accepté les restrictions qu’il s’impose à lui-même.
Les restrictions de mode et de forme ne sont pas sans précédent. Par exemple, les provinces ont aboli leur Chambre haute au moyen d’une loi ordinaire, les rendant ainsi monocamérales. Il s’agit là d’une loi de mode et de forme. Le Parlement ou les assemblées législatives pourraient ajouter d’autres éléments à leurs processus législatifs pour toutes les lois ou pour certains types de lois, à condition que leur capacité à le faire ne soit pas usurpée par une formule de modification constitutionnelle. Oui, j’utilise une formule de modification constitutionnelle, mais il s’agit de la formule de modification unilatérale fédérale, et non d’une formule qui nécessite des consultations et la participation des gouvernements provinciaux.
Même si ce projet de loi cherche à rendre plus contraignante la législation relative à l’utilisation de la disposition de dérogation, Peter Hogg et Craig Scott citent tous deux l’exemple de Westminster, qui a utilisé des procédures de mode et de forme pour faciliter le travail législatif. La loi de 1911 sur le Parlement britannique a été promulguée par la Chambre des communes et la Chambre des lords. Elle prévoyait qu’un projet de loi pouvait être adopté sans le consentement des lords, s’il était adopté par la Chambre des communes et rejeté par la Chambre des lords au cours de trois sessions consécutives du Parlement sur une période d’au moins deux ans.
La Chambre des communes a utilisé une procédure de mode et de forme en 1949, sans le consentement de la Chambre des lords, pour assouplir davantage les mêmes dispositions, renforçant ainsi son pouvoir en limitant le pouvoir dilatoire de la Chambre des lords à deux sessions en une période d’un an.
La procédure de mode et de forme initialement établie par les lords a ensuite été utilisée contre eux.
Dans le chapitre sur le mode et la forme de son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, Hogg indique que pour qu’une disposition sur le mode et la forme soit pleinement efficace en droit, elle doit également s’appliquer à elle-même. On dit alors qu’elle est « doublement inscrite » ou « autoréférentielle ». Essentiellement, le mode et la forme ne doivent pas seulement s’appliquer à la catégorie protégée de lois — dans le cas présent, les lois fédérales qui invoquent la disposition de dérogation —, mais aussi aux lois qui visent à modifier ou à abroger la disposition sur le mode et la forme en elle-même. Si nous devions suivre sa recommandation, les critères que j’ai fournis pour permettre le recours à la disposition de dérogation s’appliqueraient aussi aux modifications visant à amender ou à abroger les dispositions issues de ce projet de loi. J’ai décidé de ne pas opter pour la double inscription de cette disposition, et je suis heureux de voir que le sénateur Gold acquiesce de la tête.
Le fait qu’une modification constitutionnelle soit demandée devrait suffire à dissuader les futurs gouvernements d’essayer d’abroger cette mesure législative. Ce ne serait pas une stratégie gagnante que de tenter de réduire ces droits que nous essayons de protéger en abrogeant les dispositions issues du projet de loi S-218.
C’est en modifiant la Constitution que les exigences de mode et de forme gagnent en crédibilité. En modifiant la Constitution à ces fins, ces changements feront également partie de notre loi suprême.
Un projet de loi distinct visant le même objectif n’aurait pas le même poids ni le même effet dissuasif. C’est une autre raison pour laquelle j’ai jugé approprié de modifier la Constitution elle-même plutôt que d’adopter une approche externe sous la forme d’un projet de loi distinct.
Prendre la voie difficile constitue la bonne approche. Le gouvernement fédéral démontre ainsi son leadership et l’importance qu’il accorde à la protection des droits fondamentaux. Si le gouvernement fédéral met en œuvre des restrictions à l’utilisation de la dérogation au moyen d’une modification constitutionnelle, les provinces seront peut-être incitées à faire de même. J’espère que les provinces verront les avantages de s’imposer des limites et réduiront la tyrannie de la majorité dans l’utilisation de la disposition de dérogation.
On pourrait faire valoir que la disposition de dérogation est tombée en désuétude puisqu’elle n’a pas été utilisée au fédéral depuis 43 ans. Par conséquent, il est plus facile pour le gouvernement fédéral que pour les provinces d’en restreindre l’utilisation.
Ainsi, il pourrait désormais exister une convention constitutionnelle d’inutilisation. C’est également l’avis du sénateur Cotter qui, dans le même discours que j’ai mentionné précédemment, a déclaré :
[…] nous avons mûri en tant que pays […] avec l’aide de la Cour suprême du Canada et de sa propre expression des droits et de leurs limites. Nous avons mûri dans notre compréhension des droits fondamentaux et de leurs limites au point que l’ingérence parlementaire pour nier ces droits n’est plus nécessaire — d’où une convention, au moins en ce qui concerne le Parlement, portant que la disposition de dérogation est inopérante.
Il ajoute que ce mûrissement :
[…] nous a amenés à reconnaître par principe, en tant que citoyens, qu’il n’est plus sage de préserver la suprématie parlementaire d’une manière qui puisse nier les droits […] de la personne.
Il poursuit ainsi :
[…] nous sommes dans une nouvelle ère où la préservation de certains droits, ceux qui sont inscrits, définis et circonscrits de manière adéquate dans la Charte, ne devrait pas être exposée aux aléas de la suprématie parlementaire.
C’est ce que j’ai pensé quand j’ai entendu pour la première fois le chef de l’opposition de l’époque laisser entendre qu’il avait l’intention de recourir à la disposition de dérogation. Toutefois, il y a lieu de se poser les questions suivantes : que se passera-t-il si les provinces continuent à trahir l’esprit du compromis de 1982 en continuant de recourir à la disposition? Quand le gouvernement fédéral peut-il intervenir, si tant est qu’il le fasse?
Le gouvernement fédéral dispose toujours d’un outil efficace : le désaveu. Prévu à l’article 90 de la Constitution, le désaveu permettrait essentiellement au Cabinet fédéral de supprimer des lois provinciales du recueil des lois.
Le dernier recours au pouvoir de désaveu remonte à 1943, alors on peut soutenir qu’il existe également une convention constitutionnelle relativement à sa désuétude.
S’il y a une perpétuation des atteintes aux droits à l’échelon provincial, un gouvernement fédéral pourrait-il dépoussiérer cette disposition? Cela provoquerait probablement des crises simultanées dans le constitutionnalisme et le fédéralisme, et cela n’en vaudrait probablement pas le coût sur le plan politique, alors respirons. Une convention de désuétude de l’article 33 au niveau fédéral et une convention de désuétude du désaveu devraient être respectées. Une erreur n’en répare pas une autre.
J’ai présenté le projet de loi S-218 en pensant aux premiers rédacteurs de la disposition de dérogation et à leur volonté de parvenir à un compromis. Ce projet de loi est lui-même un compromis : même si je préférerais que la disposition soit tout bonnement abolie, je propose plutôt des mesures de sauvegarde. Elles n’empêchent pas son utilisation et elles ne manquent pas de respect à la suprématie du Parlement. Elles limitent toutefois son utilisation au niveau fédéral en veillant à ce que des conversations appropriées se déroulent pour informer les Canadiens, qui sont les arbitres ultimes de leurs droits et de l’état de ces derniers.
Si M. Poilievre a d’abord fait allusion à l’utilisation de la disposition de dérogation devant l’Association canadienne des policiers, il a complètement abandonné la subtilité pendant la campagne électorale, affirmant qu’il invoquerait cette disposition pour imposer des peines d’emprisonnement consécutives. Cette déclaration n’est peut-être pas si choquante, mais gardez à l’esprit que c’est la première fois qu’on en promet l’utilisation à l’échelon fédéral.
Pour reprendre l’analogie de Benjamin Perrin, ancien conseiller juridique du premier ministre Harper, la disposition de dérogation est à la Charte :
[…] ce qu’une sortie de secours est à un avion : vous avez intérêt à avoir une très bonne raison de vous en servir, et vous devez être prêt à vous expliquer par la suite.
Je remarque que le recours à cette disposition ne figurait nulle part dans le programme écrit du Parti conservateur. Cela me porte à croire que M. Poilievre se soucie davantage de la politique que de la Constitution, et qu’il est prêt à recourir à un abus de pouvoir pour atteindre ses fins politiques.
Il suit également le mouvement provincial en tentant d’assimiler la légitimité démocratique à l’atteinte aux droits.
L’argument de la légitimité démocratique est peu convaincant, surtout lorsque le débat public nécessaire est pratiquement inexistant. Ce qui est peut-être plus inquiétant encore, c’est que le Parti conservateur semble soutenir globalement un tel abus de pouvoir, comme le montrent les propos de M. Poilievre qui reflètent la politique du Parti conservateur en matière de réformes du système de justice.
Même si la menace immédiate d’un recours à l’article 33 au niveau fédéral s’est atténuée au cours des dernières élections, je dirais qu’il est encore plus nécessaire, dans le cadre de la présente législature, de mettre en place des restrictions avant qu’une autre menace ne se présente. Les vents politiques tournent et nous devons nous y préparer.
Je demande que le projet de loi soit renvoyé à un comité pour étude, où nous pourrons faire appel à des experts désireux de participer à l’examen.
Les décisions relatives aux droits ont toujours été envisagées comme un dialogue entre les gouvernements et les tribunaux après que ces derniers se sont prononcés. Le fait d’écarter les tribunaux réduit les droits à un monologue, un soliloque de la majorité élue. Il est temps d’insister sur la suprématie constitutionnelle.
Merci.