Deuxième lecture du projet de loi C-22, Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Par: L'hon. Wanda Thomas Bernard

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L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je reconnais que nous nous trouvons actuellement sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je comprends le sentiment exprimé par la ministre Qualtrough et par le parrain au Sénat, le sénateur Cotter, quant au besoin urgent de sortir les personnes handicapées de la pauvreté; cependant, je ne pense pas que le projet de loi couvre les angles nécessaires pour garantir que les personnes handicapées soient en mesure de passer de la pauvreté à un revenu adéquat. Comme l’a déclaré notre collègue la sénatrice Kim Pate lors de son débat :

Malheureusement, le gouvernement veut faire adopter à la hâte un projet de loi qui n’a de prometteur que le nom.

Je comprends que le projet de loi est un cadre et qu’on prévoit établir les détails à la prochaine étape. Bien que je respecte cet idéal, j’ai des réserves et je pense qu’il est de notre responsabilité de veiller à ce que le cadre aborde les trois questions suivantes avant la prochaine étape.

Je signale que je partage bon nombre des préoccupations soulevées par la sénatrice Petitclerc dans le discours convaincant qu’elle a prononcé plus tôt dans la soirée.

Premièrement, le projet de loi doit garantir que le cadre offre des prestations suffisantes aux personnes handicapées; deuxièmement, il doit prémunir les prestataires contre la récupération des prestations d’aide sociale provinciale; troisièmement, il devrait viser l’équité pour les personnes qui ont des facteurs identitaires multiples.

J’aborderai brièvement chacun de ces trois aspects.

Chers collègues, ma préoccupation première quant à ce projet de loi concerne la suffisance du supplément de revenu. Comme l’a dit la porte-parole, la sénatrice Seidman, dans son discours, elle voit un problème avec :

[…] le caractère suffisant de la prestation pour les personnes handicapées et la nécessité de définir clairement que la prestation elle-même doit être supérieure au seuil de pauvreté.

Je suis d’accord avec ma collègue.

J’ai consulté Vince Calderhead, un avocat néo-écossais spécialisé en droits de la personne qui a travaillé en Nouvelle-Écosse pendant plus de 30 ans et qui est un ardent défenseur des droits des personnes handicapées et des questions liées à la pauvreté depuis des décennies. Voici ce qu’il a dit :

Avec le projet de loi C-22, le gouvernement fédéral est sur le point, pour la première fois en 40 ans, de fournir une aide au revenu adéquate aux personnes handicapées au Canada. Il n’y a jamais eu de meilleure occasion pour les parlementaires d’assurer un soutien adéquat pour les personnes handicapées. En matière de droits de la personne, nous devons inclure le « droit à un revenu convenable », parce s’en remettre au Cabinet pour s’assurer d’un revenu convenable n’est pas suffisant. Oui, il faut lui faire confiance, mais il faut également des protections en matière de droits fondamentaux de la personne et de responsabilité. La Constitution canadienne exige des gouvernements fédéral et provinciaux, à l’article 36, qu’ils s’engagent à « fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels ». Grâce au projet de loi C-22, c’est maintenant l’occasion de remplir les exigences de l’article 36 en ce qui a trait au revenu convenable pour les personnes handicapées au Canada.

L’objectif principal du projet de loi est de sortir les personnes handicapées de la pauvreté. Dans sa forme actuelle, rien ne garantit qu’il y parviendra.

La deuxième préoccupation que j’ai au sujet de ce projet de loi concerne le fait que le cadre fédéral doit empêcher les provinces d’aller récupérer les sommes versées pour des prestations existantes. Si on permet aux provinces de récupérer l’argent versé dans le cadre des programmes sociaux existants, le projet de loi ne servira à rien. Les personnes handicapées seront toujours aussi pauvres et, là encore, le projet de loi n’atteindra pas son objectif.

Ma troisième et dernière critique au sujet de l’efficacité du projet de loi C-22 porte sur la capacité de fournir des mesures d’aide équitables aux personnes aux prises avec des formes d’oppression interreliées. Par exemple, on dispose d’un nombre insuffisant de données sur l’expérience des Canadiens d’origine africaine ayant un handicap. Cependant, il existe un groupe de défense des droits dans ce domaine, l’organisme ASE Community Foundation for Black Canadians with Disability. La mission de cet organisme est de réduire les inégalités qui touchent les personnes noires, handicapées et les questions de genre.

L’organisme a publié un rapport intitulé The Intersection of Blackness & Disability in Canada, qui examine la racialisation de la pauvreté et les liens avec la situation de personne handicapée. L’organisme a conclu que 12,5 % des Canadiens noirs vivent dans la pauvreté comparativement à 7,3 % des personnes non racialisées. L’organisme décrit comment un écart salarial causé par le handicap et l’origine ethnique prend naissance en raison des barrières systémiques du capacitisme et du racisme, car ces barrières excluent les personnes handicapées, les Noirs et les personnes racialisées. Cette inégalité salariale a des répercussions sur la santé et le bien-être des membres de ce groupe, ce qui contribue par le fait même à perpétuer le cycle de la pauvreté.

J’ai assisté à une assemblée publique de l’organise ASE au mois de février. Chaque Canadien noir présent a raconté son parcours parsemé d’embûches liées à la race et au handicap, deux réalités interreliées.

La combinaison du capacitisme et du racisme est une question que nous avons abordé en Nouvelle-Écosse. Les personnes handicapées sont stigmatisées, ce qui est un problème important, et l’accès aux ressources est difficile pour de nombreux Canadiens noirs. Dans le cadre d’un projet de recherche auquel j’ai participé, nous avons interrogé des Néo-Écossais africains handicapés. Mon équipe de recherche a constaté que les personnes victimes à la fois de racisme anti-Noirs et de capacitisme sont moins susceptibles de connaître les mesures de soutien et les services et d’y accéder. Elles sont victimes de stigmatisation et vivent dans la honte et le silence, ce qui les empêche de chercher à obtenir des services. En outre, de nombreux participants à l’étude ont déclaré que le fait d’être victime de racisme anti-Noirs au moment d’accéder à des services de soutien est un autre moyen de les maintenir en dehors de ces systèmes.

Ces réalités mettent en évidence quelques-unes des raisons pour lesquelles il est nécessaire d’inclure dans le cadre la prise en compte de l’équité à partir d’une perspective intersectionnelle.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne peut être considéré comme exhaustif et capable d’améliorer la vie de toutes les personnes handicapées. Les personnes handicapées ne sont pas un monolithe, et les politiques qui les concernent ne doivent pas être considérées comme ayant des répercussions égales. Chers collègues, il est temps que les luttes particulières des Afro-Canadiens handicapés et des autres personnes handicapées racialisées soient prises en compte lors de l’élaboration d’un tel projet de loi, et non pas après-coup. Les solutions de politique équitables représentent un pas important vers une société équitable.

Honorables sénateurs, je souscris à l’objectif du projet de loi, soit d’offrir un supplément de revenu aux personnes handicapées pour les sortir de la pauvreté. En fait, je suis très enthousiasmée par ses possibilités. Cependant, je ne crois pas que le projet de loi, dans son libellé actuel, atteindra cet objectif très important. Il ne prévoit rien pour que la prestation soit suffisante, compte tenu de la réduction des prestations provinciales, et ne tient pas compte des difficultés particulières aux personnes handicapées racisées qui ont besoin d’un soutien équitable.

J’attends avec impatience les témoignages d’experts pendant l’étude du projet de loi par le comité et j’invite mes collègues à réfléchir de manière critique à la mise en œuvre de ce cadre pour soutenir tous les Canadiens handicapés de façon mesurable.

Merci. Asante.

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