Troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016)

Par: L'hon. Peter Harder

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L’honorable Peter Harder : Je prends la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).

Toutefois, je le fais avec réticence, vu l’amendement de fond concernant le critère justifiant une fouille qui a été apporté au projet de loi à l’étape de l’étude en comité et que le Sénat a approuvé à l’étape du rapport.

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À mon avis, cet amendement créera un risque inutile par rapport à l’importation de matériel obscène et dangereux dans notre pays, à la victimisation et à la revictimisation des enfants dans ce type de matériel, en plus d’alourdir le fardeau des agents frontaliers pour protéger ces enfants ainsi que la société canadienne.

De plus, je pense que cet amendement va à l’encontre des intentions précises et claires d’un gouvernement dûment élu. Dans un sens, nous dépassons notre rôle.

Comme vous le savez tous, le projet de loi dont nous sommes saisis établit une nouvelle norme plus élevée qui doit être respectée pour que des agents frontaliers puissent examiner en toute légalité les appareils numériques personnels des voyageurs qui pourraient contenir du matériel prohibé. Une norme s’impose compte tenu des décisions qui ont été rendues, comme il a été mentionné, par les tribunaux de l’Alberta et de l’Ontario. La question qui nous occupe est de savoir quel est le juste équilibre et, de mon point de vue, qui est le plus habilité à l’établir.

La version initiale, non amendée, du projet de loi a été bien défendue par sa marraine, la sénatrice Boniface, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture en avril dernier et dans son discours à l’étape du rapport la semaine dernière. Je suis d’accord avec elle : le projet de loi initial avait trouvé le juste équilibre en protégeant la vie privée des voyageurs tout en accordant la capacité aux agents frontaliers d’appliquer les lois interdisant les biens prohibés qui incluent la pornographie juvénile et d’autres types de matériel obscène.

Comme la sénatrice Boniface, je m’opposais aussi à l’amendement apporté par le comité, qui relève le critère prévu dans le projet de loi initial prescrivant dans quelles conditions un appareil numérique personnel peut être examiné. Pour tout dire, le gouvernement croit que le nouveau critère proposé dans l’amendement — qui prévoit qu’un examen d’un appareil numérique personnel peut être effectué lorsqu’il y a des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt qu’une « préoccupation générale raisonnable » — est trop élevé, et je partage cette crainte.

À mon avis, l’amendement pourrait rendre plus difficile d’interdire l’importation de matériel dangereux, comme de la pornographie juvénile, des images d’agression sexuelle, de la littérature haineuse ou des preuves de trafic de drogue. Si le gouvernement était en faveur de cet amendement, il l’aurait inclus dans le projet de loi initial.

Une bonne partie du débat sur le projet de loi a tourné autour de la nécessité d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et la protection de la société canadienne. C’est ce qu’il fallait faire. J’ajouterais cependant que la question d’équilibre doit être envisagée dans le contexte des torts causés aux victimes. Leur droit d’être en sécurité et de ne pas être exploitées par la circulation récurrente de ces images nocives devrait faire partie de cet équilibre.

Lors de sa comparution devant le comité, Monique St. Germain, l’avocate générale du Centre canadien de protection de l’enfance, a souligné qu’entre 2010 et 2020, Statistique Canada a constaté une augmentation de 488 % du nombre d’images et de vidéos montrant l’exploitation sexuelle d’enfants. Ce chiffre me préoccupe grandement. J’aimerais citer Mme St. Germain :

Dans le cadre de l’étude du projet de loi, jusqu’ici, on a beaucoup mis l’accent sur la protection de la vie privée des voyageurs. Ce qui n’a pas encore été examiné, c’est la protection de la vie privée et de la sécurité des enfants qui figurent dans du matériel pédopornographique. Nous vivons dans un monde où du matériel horrible de ce genre peut être facilement stocké et dissimulé dans un appareil qu’on range dans sa poche puis diffusé partout dans le monde mondial par le truchement de sites Web, d’applications cryptées et du Web invisible.

Les enfants exploités dans ces images comptent sur nous pour les protéger, car ils n’ont aucun pouvoir pour empêcher que de tels contenus soient passés en contrebande à la frontière.

La surabondance de ce genre de contenu nécessite que les agents frontaliers disposent de la flexibilité maximale que la loi permettra. Par exemple, l’un des cas à l’origine de la nécessité de créer un critère concerne une personne qui possédait un total de 4 411 photos et de 53 vidéos de pornographie juvénile dans ses appareils. Il se trouve que sa condamnation et celle d’un autre homme au centre de cette affaire ont été maintenues, et ce, même si les droits garantis par la Charte ont été violés.

Permettez-moi de donner quelques exemples des méthodes utilisées par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Dans une affaire transmise à notre bureau, cela concernait un citoyen canadien de sexe masculin qui était revenu au Canada après un voyage d’une journée aux Philippines, où on lui avait été refusé l’entrée après qu’il ait été inscrit au registre des délinquants sexuels en raison d’un incident précédent qui avait eu lieu aux États-Unis. Il a été fouillé et on a trouvé une image de pornographie juvénile. La GRC a été appelée.

Dans un autre cas, cela concernait un individu revenant de Thaïlande. On l’a renvoyé à un deuxième agent en raison de son long séjour dans un pays bien connu pour le tourisme sexuel. L’individu s’est montré nerveux; il bégayait, il transpirait et il se balançait pendant la fouille de son sac. Lorsqu’il a refusé de répondre à des questions sur le contenu de ses appareils numériques, les agents ont procédé à une fouille et ils ont trouvé des images et des vidéos de la pornographie juvénile. Ces examens auraient-ils eu lieu avec cet amendement? Si la réponse est non, alors il doit être repensé.

Il est intéressant de savoir que, si l’Agence des services frontaliers du Canada peut fouiller des appareils numériques pour différents motifs liés à la contrebande, la sous-évaluation de marchandises, la traite de personnes, les drogues ou le blanchiment d’argent, au moins 40 % des articles de contrebande trouvés comprennent la saisie de pornographie juvénile.

Un des éléments qui ont un peu été passés sous silence dans le débat au sujet du projet de loi est le rôle de ce dernier pour favoriser l’atteinte des objectifs généraux de l’Agence des services frontaliers du Canada. Dans la page des mandats du ministère de la Sécurité publique, on mentionne que l’un des principaux objectifs de l’agence est d’intercepter, à la frontière, les personnes et les marchandises qui pourraient présenter une menace pour le Canada. Je crois qu’opter pour un seuil plus élevé rendrait la tâche plus compliquée à l’agence, alors que le projet de loi vise le contraire.

D’ailleurs, comme l’Agence des services frontaliers du Canada est contrainte d’utiliser un seuil plus élevé en Alberta en Ontario tant qu’une loi n’aura pas été adoptée, l’application est touchée. Le ministre Mendicino et les fonctionnaires du ministère sont venus en témoigner au comité. C’est encore récent, mais d’après le vice-président de l’Agence des services frontaliers du Canada, Scott Millar, les fouilles dans ces deux provinces ont diminué d’environ 60 %. On peut présumer d’après ces chiffres que, si le seuil plus élevé avait été mis en place avant que tranchent les tribunaux, au moins une partie des personnes qui auraient été prises auparavant auraient traversé les douanes sans que leur contrebande soit repérée.

Le passage de l’été nous permettra de mieux comprendre si ces chiffres plus bas reflètent une tendance et si une réduction des fouilles équivaut à une réduction correspondante de l’interdiction de la contrebande.

J’aimerais maintenant aborder brièvement les questions de protection de la vie privée soulevées par certains de nos collègues, qui ont plaidé en faveur de l’amendement en disant que le projet de loi original ne résistera pas à l’examen constitutionnel, ce qui le condamne à une contestation constitutionnelle à très court terme sur laquelle un jugement pourrait se faire attendre pendant des années. Avec tout le respect que je vous dois, chers collègues, une opinion, même de notre auguste assemblée, n’est pas nécessairement indicative de la façon dont la Cour suprême du Canada se prononcerait, et nous ne devrions pas supposer que nous savons ce que les tribunaux diront. Je ne suis pas à l’aise lorsque nous opposons nos opinions à celles du gouvernement, qui s’appuie sur son propre groupe d’experts constitutionnels. Je ne suis pas un expert constitutionnel, il me semble donc plus sage de laisser les tribunaux décider tandis que les législateurs s’en remettent à l’intention très claire du gouvernement.

Nous pouvons ne pas être d’accord avec l’équilibre que le gouvernement a trouvé et préférer utiliser des critères qui penchent davantage du côté de la protection de la vie privée, mais le gouvernement a ouvertement rejeté cette option en adoptant des critères qui ne sont pas aussi sévères que ceux souhaités par le comité sénatorial, bien qu’ils soient plus stricts que ce qui était en place.

La cour de l’Alberta elle-même a déclaré qu’il semblait y avoir de la place pour cette approche intermédiaire :

[À] notre avis, le critère pour justifier la fouille d’appareils électroniques peut être inférieur au critère de « motifs raisonnables de soupçonner » nécessaire pour une fouille à nu en vertu de la Loi sur les douanes.

Chers collègues, cela indique à tout le moins que les tribunaux vont envisager un critère inférieur à celui du « soupçon raisonnable » lorsqu’ils entendront eux-mêmes des arguments à l’avenir.

J’ajouterai que les amendements proposés par les sénateurs Dalphond et Wells sur le secret professionnel et la connectivité réseau, de même que la proposition de règlement du gouvernement permettront de rendre plus rigoureuses les décisions concernant les interventions à la frontière. Peut-être que c’est à des changements de ce genre que la cour avait pensé en laissant entendre qu’un critère inférieur à celui de « soupçon raisonnable » pourrait être acceptable.

Je note également que le seuil initial dans ce projet de loi est plus élevé que celui qui existe dans de nombreuses autres administrations aux systèmes juridiques semblables au nôtre, y compris aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni. Le fait que ce projet de loi sera certainement contesté devrait offrir une certaine consolation à ceux qui croient qu’il va trop loin dans un sens ou dans l’autre.

Je reconnais néanmoins que notre rôle est rendu un peu plus difficile par le fait que ce projet de loi provient à l’origine du Sénat et non de l’autre endroit. En tant que Chambre de second examen objectif, je préfère que des projets de loi aussi importants nous parviennent après que nos collègues de l’autre endroit les aient étudiés et qu’ils y aient apporté leurs propres changements au besoin. Cela aurait pu nous guider.

Malgré mes réserves, je crois que ce projet de loi doit être adopté, ne serait-ce que parce que deux processus d’application de la loi s’opposent au pays en ce moment, ce qui crée une inégalité en droit qu’il faut corriger le plus rapidement possible.

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Qui plus est, cet enjeu est très important pour notre relation avec les États-Unis. Notre pays vise depuis longtemps à mettre en place des politiques pour améliorer et harmoniser la circulation à la frontière. Le resserrement du contrôle à la frontière entre le Canada et les États-Unis est un problème qui devrait être une priorité pour tous les législateurs. Les choses deviendront d’autant plus compliquées si nous sommes perçus comme incapables d’accorder nos violons.

J’ajoute que de nouvelles technologies mettent quotidiennement en question la sécurité de notre frontière. C’est un aspect qui nécessite beaucoup de souplesse de la part de l’Agence des services frontaliers. Ce projet de loi met en évidence les défis que nous devons relever. Il serait peut-être temps d’avoir une discussion plus élargie et plus approfondie sur la mise à jour de notre plan de sécurité. La tragédie du 11 septembre est loin derrière nous, mais nous n’avons pas tenu de discussions exhaustives sur la sécurité depuis.

Si vous me le permettez, j’aimerais terminer en vous disant que, malgré les inquiétudes légitimes exprimées à propos de la vie privée et des menaces liées aux activités criminelles, par exemple l’importation de matériel de pornographie infantile, je crois que nos agents des douanes exécutent leurs fonctions avec discernement, sauf exception, et qu’ils vont continuer de remplir leur rôle avec efficacité d’ici à ce que le projet de loi soit adopté ce qui, nous l’espérons, se fera rapidement. Merci.

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