Troisième lecture du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale)—Le sénateur Harder

Par: L'hon. Peter Harder

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Cityscape of Vancouver, British Columbia

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, j’interviens dans le débat sur le projet de loi d’initiative parlementaire C-208, qui vise à faciliter le transfert intergénérationnel des entreprises familiales entre les membres d’une famille et à assurer une meilleure retraite aux parents et aux grands-parents qui les ont exploitées.

Il va sans dire que la contribution des pêcheurs et des agriculteurs canadiens est indispensable pour assurer la subsistance et la sécurité alimentaire de la population du pays, et ce fut particulièrement le cas pendant la pandémie, où leur contribution a eu une valeur inestimable pour que nous et les habitants d’autres pays puissions nous nourrir. Il est essentiel de soutenir ces personnes si nous voulons que la communauté des agriculteurs et des pêcheurs de notre pays puisse se renouveler.

Cependant, bien que les objectifs du projet de loi C-208 soient louables, il comporte des omissions qui auront des conséquences imprévues, notamment des possibilités d’évitement fiscal, une réduction des recettes fiscales de l’État et des avantages indus pour les Canadiens les plus riches, qu’il s’agisse de médecins, d’avocats, de dentistes, de comptables, d’entreprises de construction et même d’entreprises familiales de plomberie.

Je crois qu’un second examen objectif est nécessaire dans ce dossier afin que nos efforts visant à assurer la prospérité des fermes familiales et des entreprises de pêche familiales et à garantir des retraites stables pour ceux qui ont bâti ces entreprises n’aient pas des conséquences imprévues ayant été passées sous silence pendant le débat de deuxième lecture. Bref, en réduisant l’impôt à payer sur la vente d’une société contrôlée par un parent, le projet de loi crée une échappatoire susceptible de s’appliquer à des gens qui n’étaient pas censés profiter du projet de loi.

Puisque des pêcheurs, des agriculteurs, des petites entreprises, des politiciens et bien d’autres réclament le projet de loi depuis un certain temps, il y a peut-être lieu de faire rapidement un rappel des dispositions juridiques actuelles qui ont des ramifications avec le projet de loi.

À l’heure actuelle, la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada comprend des règles qui aident notamment les agriculteurs et les pêcheurs à accumuler des capitaux pour la retraite et qui facilitent le transfert intergénérationnel des biens utilisés dans l’entreprise agricole ou de pêche. Par exemple, grâce à l’exonération cumulative des gains en capital, on peut mettre à l’abri de l’impôt jusqu’à 1 million de dollars des gains en capital réalisés lors de la disposition d’actions admissibles de l’entreprise agricole ou de pêche. Cette exemption peut être doublée à 2 millions si l’agriculteur ou le pêcheur et son épouse sont tous les deux admissibles à l’exemption.

Les agriculteurs et les pêcheurs ont également le droit de transférer avec report d’impôt une entreprise agricole ou de pêche à leurs enfants, ce qui permet d’éviter l’impôt immédiat sur le gain en capital et de faciliter le transfert intergénérationnel. Un transfert peut être structuré de manière à maximiser le montant limite de l’exonération cumulative des gains en capital, tout en minimisant les répercussions fiscales du transfert par le recours aux roulements entre générations.

Enfin, les agriculteurs et les pêcheurs ont aussi droit au report des gains en capital au moyen d’une réserve des gains en capital de 10 ans, où le produit de disposition n’a pas été pleinement reçu et le bien a été transféré à un enfant.

Nous connaissons les effets bénéfiques que vise le projet de loi C-208, mais il ne faut pas oublier les conséquences néfastes que pourrait entraîner son adoption.

Premièrement, de bonnes raisons expliquent l’existence des règles anti-évitement applicables aux sociétés, que le projet de loi vise à modifier. Par exemple, les règles actuelles empêchent les compagnies de transférer des actions à des personnes ayant un lien de dépendance afin de convertir un dividende imposable en gain en capital. Les dividendes imposables sont taxés à un taux considérablement plus élevé que les gains en capital, ce qui explique qu’un propriétaire puisse vouloir opérer une telle conversion. Le projet de loi C-208 propose une exception à la règle, en permettant une forme de transfert interne entre frères et sœurs qui font l’acquisition de l’entreprise de leurs parents ou de leurs grands-parents.

Il est vrai qu’après la vente, le taux d’imposition applicable sera plus bas, ce qui permettra aux parents d’avoir un meilleur coussin financier pour leur retraite. Toutefois, selon les témoignages recueillis devant le Comité de l’agriculture et des forêts la semaine dernière, ce projet de loi est dépourvu des mesures de sauvegarde pertinentes pour garantir un transfert véritable entre les générations. Par exemple, le projet de loi ne contient aucune disposition — aucune — prévoyant qu’un parent cesse de participer à l’entreprise familiale après la vente à son enfant, pas plus que l’enfant soit tenu d’y participer après l’avoir acquise. Sans ce type de protection, les parents peuvent vendre leurs parts à une société de portefeuille mise sur pied par les enfants, évitant ainsi de payer des impôts sur la vente pour ensuite racheter les parts à une date ultérieure. Les couples mariés qui choisissent cette option économiseront jusqu’à 1,8 million de dollars en impôts au cours de leur vie s’ils décident de se prévaloir de l’exemption pour gains en capital au moment de la vente de l’entreprise.

Il faut se demander si l’objectif du projet de loi est réellement atteint si l’enfant n’est pas tenu d’exploiter l’entreprise après l’avoir acquise.

Par ailleurs, comme il a été mentionné précédemment, ces mesures s’appliquent à toutes les entreprises, pas seulement aux exploitations agricoles ou aux entreprises de pêche familiales. Elles s’appliqueraient aussi au commerce des valeurs mobilières de la même manière que pour les exploitations agricoles.

Pour finir, de graves possibilités d’évasion fiscale risquent de porter un dur coup au cadre fiscal que le gouvernement a soigneusement conçu pour le budget de 2021. En bref, cela procurera des avantages considérables à certains contribuables sous la forme de paiements exonérés d’impôt des excédents des entreprises sans garantir qu’un transfert intergénérationnel a véritablement eu lieu.

Étant donné ces complexités, il est essentiel de ne pas entreprendre de modification sans entamer une réflexion approfondie sur ce que cela représenterait d’un point de vue pratique, ainsi que pour éviter de créer des échappatoires qui avantageraient les riches de manière disproportionnée. Autrement dit, tout changement à ces sections de la loi doit être fait avec une extrême prudence, au risque d’entraîner des conséquences inattendues, comme je viens de le mentionner.

En résumé, il y a quatre bonnes raisons d’amender ce projet de loi.

Premièrement, le projet de loi est régressif. Il ouvrirait la porte à de nouvelles possibilités d’évasion fiscale qui bénéficieraient injustement aux riches, plutôt qu’aux travailleurs canadiens, et en fin de compte, il procurerait jusqu’à 900 000 $ libres d’impôt aux contribuables riches et jusqu’à 1,8 million de dollars aux couples.

Deuxièmement, le projet de loi ne cible aucun groupe. Il ne s’applique donc pas seulement aux agriculteurs et aux sociétés de pêche, mais aussi à toutes les sociétés privées sous contrôle canadien, ce qui crée des possibilités de planification fiscale très vastes. Vous vous rappelez peut-être que l’économiste Kevin Milligan a découvert que les sociétés privées sous contrôle canadien sont l’apanage des particuliers à revenu élevé. Compte tenu de la valeur des transactions qui pourrait découler du projet de loi, nous pouvons nous attendre à ce que les personnes les plus fortunées constituées en société profitent de ces dispositions.

Troisièmement, le projet de loi ouvre sérieusement la porte à la fraude. Il permet que des transferts illégitimes d’entreprises soient utilisés pour se prévaloir d’avantages fiscaux. Le projet de loi n’exige pas que le parent cesse de contrôler l’entreprise ni que l’enfant soit intégré dans les affaires de l’entreprise. Cela permettrait aux parents de vendre des parts à une société de portefeuille appartenant à l’enfant, puis comme je l’ai dit, de racheter cette société.

Quatrièmement, le projet de loi représente un coût fiscal considérable pour le gouvernement du Canada. Il y a quatre ans, le directeur parlementaire du budget a évoqué des contributions antérieures, qu’il a estimées à un demi-milliard de dollars. Si l’on tient compte des réactions comportementales alors que de plus en plus d’entreprises de conseil fiscal proposeront ce produit, je ne peux qu’en déduire que ce chiffre sera largement dépassé si ce projet de loi est adopté.

Je vous remercie, chers collègues. Je vous demande de réfléchir à ces amendements pour éliminer ces échappatoires.

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-208 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 2 :

a)à la page 1, par substitution, aux lignes 24 à 29, de ce qui suit :

« eux aucun lien de dépendance si, à la fois :

(i) l’acheteur est contrôlé par un ou plusieurs enfants ou petits-enfants du contribuable alors que ceux-ci sont âgés de dix-huit ans ou plus,

(ii) au cours de la période de soixante mois suivant l’achat, l’acheteur ne dispose pas des actions concernées,

(iii) les conditions prévues par règlement sont remplies. »;

b)à la page 3, par adjonction, après la ligne 15, de ce qui suit :

« (3) Les paragraphes (1) et (2) s’appliquent relativement aux dispositions effectuées après le 1er  janvier 2022.

(4) Le ministre des Finances établit un rapport sur les répercussions de la présente loi sur l’intégrité du régime fiscal.

(5) Le ministre des Finances fait déposer le rapport devant chaque chambre du Parlement dans la première année qui suit la date de sanction de la présente loi ou, si la chambre ne siège pas, dans les quinze premiers jours de séance ultérieurs. ».

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