Troisième lecture du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne, tel que modifié

Par: L'hon. Peter Harder

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L’honorable Peter Harder : Merci, madame la Présidente, et merci, chers collègues, de nous laisser commencer ce débat maintenant.

Je prends la parole aujourd’hui sur le territoire ancestral et non cédé du peuple algonquin anishinaabe dans le cadre du débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne. Ce projet de loi oblige les grandes plateformes numériques comme Meta et Google à dédommager les médias d’information canadiens pour la publication de nouvelles en ligne sur leurs plateformes. C’est un projet de loi que nous devons adopter de toute urgence pour le bien de l’industrie et peut-être surtout pour le bien de notre discours public et de notre engagement à l’égard du débat démocratique.

Comme les sénateurs connaissent sans doute bien le projet de loi, je ne vais pas entrer dans les détails. Essentiellement, la loi sur les nouvelles en ligne va encourager les plateformes numériques à conclure des accords commerciaux volontaires entre elles et les médias d’information dont elles publient le contenu sur leurs sites. Celles qui ne concluent pas d’accord seront soumises à un arbitrage sur l’offre finale.

Le problème réside dans le fait que les plateformes numériques tirent des avantages économiques sous la forme de revenus publicitaires provenant de contenu qu’elles ne produisent pas. Dans certains cas, elles paient certains médias pour du contenu, mais dans la majorité des cas, elles ne paient rien.

Le projet de loi C-18 ferait en sorte que ces plateformes ne puissent plus choisir quels médias elles indemnisent. Dans sa forme la plus élémentaire, il s’agit d’un projet de loi qui vise à uniformiser les règles du jeu entre ceux qui ont des accords et ceux qui n’en ont pas.

Bon nombre de ceux qui n’ont pas de tels accords sont des médias d’information de petite et moyenne tailles qui mènent leurs activités avec des budgets infimes, ayant déjà sabré dans les emplois et les salaires. Depuis 2008, le Canada a perdu plus de 460 médias d’information. Il y a à peine cinq mois, Postmedia, qui chapeaute plus de 100 petits et grands journaux à l’échelle du pays, a annoncé des compressions de 11 % dans son personnel.

De nombreux médias d’information que ce projet de loi aidera font déjà des efforts héroïques pour servir la population. J’ai en tête l’exemple concret des médias d’information dans les langues minoritaires de notre pays qui ont aidé la population canadienne en informant les divers groupes des diverses diasporas sur la façon de se protéger contre le coronavirus. Les néo-Canadiens, dont beaucoup ne parlent ni anglais ni français, n’avaient — littéralement — nulle part où aller pour s’informer sur la manière de survivre. Ces médias d’information ont joué un rôle crucial, parfois en fonctionnant à perte. Il est pertinent de se demander s’ils seront toujours là lorsque la prochaine urgence de santé publique surviendra.

D’autres, comme des médias d’information dépourvus de ressources dans les régions rurales et nordiques, continuent de publier au sujet des activités de leur communauté respective, assurant ainsi un lien entre les régions les plus éloignées de notre pays et les grands centres urbains. Ces médias d’information jouent un rôle essentiel dans la période actuelle où le Canada et le reste du monde vivent des tensions polarisantes qui nuisent à notre capacité collective de communiquer les uns avec les autres.

D’autres publications des communautés racisées, des communautés autochtones, et des minorités de langue officielle font un travail remarquable pour informer leur lectorat souvent mal desservi. Cette initiative aidera les intervenants que je viens de mentionner, s’ils souhaitent participer.

Je m’empresse cependant de dire que personne ne devrait considérer le projet de loi C-18 comme une panacée. Ce n’est qu’un programme qui vient s’ajouter à d’autres déjà en place afin d’aider l’industrie de l’information, qui connaît des difficultés, à survivre et, idéalement, à prospérer dans un environnement numérique qui évolue constamment.

Je suis d’avis que l’avenir du journalisme sera façonné non seulement par les médias traditionnels qui ont survécu, mais aussi par les nombreux petits médias qui ont commencé à faire leur apparition et qui ont su s’adapter.

Un certain nombre d’entre eux ont témoigné devant notre comité. L’une de ces publications, The Logic, est une publication exclusivement numérique qui couvre l’économie de l’innovation en offrant des articles de fond sur les organisations, les politiques et les personnes qui changent les choses de façon révolutionnaire. Comme les sénateurs le savent, c’est un dossier qui me tient très à cœur.

Malgré le dévouement de The Logic à ce sujet d’avant-garde, elle se trouve dans une position concurrentielle désavantageuse, contrainte de rivaliser avec des organes de presse plus importants qui ont déjà conclu des accords avec les grandes plateformes numériques. Le directeur général de la publication, David Skok, a d’ailleurs déploré le fait qu’il doive compter sur des accords avec des entreprises privées telles que Google pour financer le journalisme de sa publication. The Logic se sent obligée de soutenir cette loi parce que les grandes entreprises technologiques choisissent les médias qu’elles veulent soutenir par voie d’accords volontaires et s’abstiennent d’en soutenir d’autres. Cela crée des conditions de concurrence inégales.

Si nous voulons encourager le développement de publications telles que The Logic — qui, selon moi, représentent l’avenir —, nous ne pouvons pas permettre aux grandes plateformes de ne signer des accords qu’avec les gros joueurs. Cela crée une injustice concurrentielle, et, plus inquiétant encore, cela permet aux grandes entreprises technologiques de choisir les gagnants et les perdants — exactement ce que l’on reproche au gouvernement lorsqu’il lance des initiatives telles que ce projet de loi.

Je pense qu’il est de loin préférable de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, en particulier dans un secteur qui fournit un service public aussi important que le journalisme.

En ajoutant cette initiative à d’autres adoptées par le gouvernement, notamment le Fonds du Canada pour les périodiques, l’Initiative de journalisme local et le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique, nous contribuerons à soutenir le secteur, qui continue à trouver ses repères dans le nouvel environnement.

Bien entendu, le projet de loi n’échappe pas à la critique. Certains lui reprochent, par exemple, de maintenir en vie des publications qui n’ont pas fait le travail nécessaire pour s’adapter à la nouvelle réalité. Je laisserai le soin d’en juger à d’autres qui connaissent mieux les efforts déployés par certains de ces médias, dont beaucoup existent depuis des générations.

Je dirais, cependant, que ne pas soutenir ces publications pourrait entraîner la perte de quelque chose de plus important que ces dernières, à savoir l’infrastructure qui soutient l’ensemble de la profession.

En fin de compte, on pourrait perdre des gens d’expérience, des guides, qui aident l’industrie à maintenir sa maturité au fil du temps. Dans le cadre de notre examen du projet de loi, il est apparu clairement que les jeunes diplômés en journalisme ont de moins en moins de mentors vers qui se tourner. Souvent, ces jeunes journalistes sont placés dans des postes de direction qu’ils auraient mis plus de temps à obtenir dans le passé. Le bassin sur lequel comptent même les meilleures publications pour embaucher des jeunes prometteurs s’amenuise d’année en année.

Compte tenu de ce rétrécissement du bassin, faut-il s’étonner que les publications qui se consacrent à la mésinformation et à la désinformation deviennent de plus en plus influentes? Il serait mauvais, même pour les grandes entreprises technologiques, de s’appuyer sur de tels organes pour transmettre de l’information, ce qui m’amène à me demander pourquoi ces entreprises continuent à utiliser des tactiques d’intimidation pour s’opposer à ce projet de loi. Comme vous le savez, les grandes plateformes sont allées jusqu’à expérimenter le blocage de l’accès à l’information sur leurs sites. Cette semaine, Meta a commencé à bloquer l’accès aux actualités pour certains Canadiens sur Facebook, dans le cadre d’un test qui devrait durer presque tout le mois. Google a fait la même chose au début de l’année.

Il ne m’appartient pas de dire si de telles mesures sont contre-productives pour la réputation canadienne d’une entreprise ou pour ses résultats financiers. L’argument de ces entreprises selon lequel elles ont le droit, dans le cadre du libre marché, de tirer des revenus de la publicité sans rémunérer ceux qui créent le contenu défie toute logique.

Les musiciens qui écrivent des chansons populaires sont payés lorsque ces chansons jouent à la radio. Les dramaturges perçoivent une redevance lorsque leur œuvre est jouée sur une scène, même au théâtre local. Lorsque l’image d’une personnalité est utilisée pour faire la publicité d’un produit, cette personne est payée pour la valeur de la marque personnelle qu’elle a créée après de nombreuses années de travail acharné.

Comme l’a appris Ronald Reagan, si vous voulez utiliser la chanson Born in the U.S.A. comme thème de campagne électorale, vous feriez mieux de demander d’abord l’autorisation d’un certain chanteur surnommé The Boss.

Ces plateformes prétendent que les nouvelles ont peu de valeur pour elles. C’est plutôt difficile à croire. Les gens utilisent les médias sociaux et les moteurs de recherche pour accéder à l’ensemble d’Internet; 77 % des Canadiens s’informent en ligne, 55 % utilisent les plateformes de médias sociaux pour accéder à des nouvelles.

Le professeur Dwayne Winseck, qui a témoigné devant le comité sénatorial, estime que, en 2021, les recettes publicitaires de Google au Canada seulement ont atteint 4,9 milliards de dollars alors que celles de Meta s’élevaient à 4 milliards de dollars.

Ce qui inquiète vraiment ces multinationales étrangères, c’est l’application d’un contrepoids à leur position dominante sur le marché. Des observateurs étrangers, dont les pays envisagent des initiatives de compensation semblables, remarquent ce type de comportement. Damian Collins, un député britannique et ancien ministre responsable des technologies — un député conservateur, en passant — a dit ce qui suit :

Cela en dit long sur les valeurs d’une entreprise comme @Meta : au Canada, elle préfère bloquer les nouvelles plutôt que de verser une modeste rémunération aux entreprises de nouvelles pour la distribution gratuite de leur contenu. Si elle continue dans cette voie, ce sera une grande victoire pour les revendeurs de désinformation.

Ces mêmes observateurs suivent de très près l’expérience canadienne et les mesures prises ici. Le fait que ces géants du Web préfèrent couper l’accès des Canadiens aux nouvelles locales plutôt que de payer leur juste part est un véritable problème.

La communauté internationale évalue également l’efficacité de ce projet de loi, dans bien des cas pour voir s’il peut servir de modèle ailleurs dans le monde.

Le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande sont à mettre en place des mesures législatives semblables alors que les pays de l’Union européenne mettent en œuvre la directive sur le droit d’auteur de l’Union européenne, qui impose des exigences comparables aux plateformes en vue de la rémunération des médias d’information.

Ils créeront sans aucun doute une législation adaptée à leur propre situation. Il se peut même que leurs efforts débouchent sur une version améliorée de notre projet de loi, tout comme nous avons amélioré la version australienne, ce qui m’amène à la question la plus importante : ce projet de loi aurait-il pu être amélioré? L’avenir nous le dira.

Permettez-moi toutefois de dire que le comité qui a examiné le projet de loi C-18 l’a fait de manière rigoureuse et réfléchie et a ajouté un certain nombre d’amendements qui sont soutenus par le gouvernement. Il y a, par exemple, la disposition prévoyant que le régime complet entre en vigueur dans les six mois suivant la sanction royale, la garantie qu’un média ne sera pas obligé de participer au régime s’il ne le souhaite pas, et l’ajout des dispositions concernant les communautés de langues minoritaires officielles ainsi que les communautés noires, autochtones et autres communautés racialisées.

Le gouvernement s’est cependant opposé à un des amendements adoptés par le comité. Cet amendement forcerait les négociateurs à fixer des limites à la négociation en fixant une valeur unique au contenu de nouvelles et en limitant la négociation concernant d’autres éléments de valeur. Je me suis opposé à cet amendement, parce qu’il mènerait probablement à des négociations moins favorables aux médias d’information.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’impose aucune limite à ce qui peut, globalement, faire l’objet de négociations entre les partis. Il leur permet de négocier sur des éléments qui n’ont rien à voir avec du contenu de nouvelles. C’est intentionnel. À l’heure actuelle, le projet de loi obligerait le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à tenir compte non seulement de la valeur du contenu de nouvelles, mais également de celle des renseignements personnels des lecteurs, qui peuvent être utilisés à d’autres fins.

Cet amendement réduit l’indemnisation potentielle des médias. Nul besoin de me croire sur parole. Il suffit d’en parler aux membres de l’industrie, qui sont surpris par cet amendement et estiment qu’il les menotte et avantage les plateformes plus que les médias.

Paul Deegan, président et chef de la direction de Médias d’info Canada, un organisme qui représente 560 publications, a dit :

L’amendement limiterait la capacité des médias d’information de négocier une indemnisation équitable avec les plateformes dominantes. La valeur sera déterminée pendant les négociations.

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, partage le même avis :

Cet amendement nous lierait une main derrière le dos et nous paralyserait dans les négociations avec des plateformes nettement avantagées par le déséquilibre de pouvoir significatif entre elles et les médias d’information. La majorité des médias au Canada ont tenté de conclure une entente avec Facebook et Google, mais se sont fait claquer la porte au nez. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le Québec, où La Presse, les publications de Québecor et les Hebdos ont tous été abandonnés à leur sort. Cet amendement avantage les plateformes aux dépens des médias.

C’est ce que soutient Pierre-Elliott Levasseur.

Permettez-moi, une fois de plus, de souligner l’urgence d’agir. Les géants du Web aimeraient vraiment que le projet de loi soit reporté au-delà de l’été, ce qui réduirait le temps précieux pour négocier des accords indispensables avec des médias qui se trouvent déjà en très mauvaise posture.

Il suffit de penser à l’annonce faite cette semaine par BCE Inc., qui prévoit de consolider sa division des médias d’information en supprimant 1 300 emplois et en fermant ou en vendant neuf stations de radio.

Il n’est pas non plus exagéré de dire que le fondement même de notre démocratie dépend de médias robustes et diversifiés; sans eux, le corps politique ne disposera pas des informations dont il a besoin pour prendre des décisions éclairées sur l’avenir de notre pays.

Si vous en doutez, arrêtez-vous à la situation des pays qui n’ont pas accès à une presse libre et au pouvoir illimité de leurs dirigeants souvent autocratiques. Je ne parle pas seulement des exemples les plus vicieux, comme Vladimir Poutine. Je pense aussi à un pays comme la Hongrie, qui est dirigée par le premier ministre autoritaire, Viktor Orbán. Reporters sans frontières place actuellement la Hongrie au 58e rang mondial au chapitre de la liberté de la presse. Il y a 10 ans, ce pays arrivait au 40e rang.

La Turquie est un autre exemple. En avril, pendant la récente campagne électorale, le radiodiffuseur d’État a consacré 60 fois plus de temps d’antenne au président sortant Erdogan — l’éventuel gagnant — qu’à son principal opposant, Kemal Kilicdaroglu.

Auparavant, ces deux États comptaient au nombre des démocraties occidentales relativement fortes.

Au Canada, il va sans dire que la situation n’est pas la même. Néanmoins, nous devons dorénavant faire preuve de plus de vigilance en ce qui concerne la protection de la démocratie.

Si vous croyez que j’exagère, je vous invite à jeter un coup d’œil aux menaces au pluralisme qui sont en train de prendre racine chez nos voisins du Sud — et je ne parle pas du Mexique. Nous ne nous en sommes peut-être pas rendu compte jusqu’ici, mais la démocratie est fragile.

Ce projet de loi est une mesure essentielle qui vise à fournir un certain degré de protection à une de nos institutions démocratiques les plus importantes.

Ce projet de loi doit être adopté et recevoir la sanction royale avant que nous ajournions pour l’été. Nous devons veiller à ce que ceux qui ont besoin de cette mesure puissent en tirer profit avant qu’il ne soit trop tard.

Par conséquent, je vous exhorte à voter pour cette importante mesure à l’étape de la troisième lecture. Merci.

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