Troisième lecture du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050

Par: L'hon. Peter Harder

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L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-12, qui vise à aider le Canada à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Le cadre proposé par cette mesure législative représente un progrès important, et je suis heureux de dire qu’au cours de la 43e législature nous aurons pris des mesures significatives pour le climat.

La première question qu’il convient de se poser est la suivante : quel héritage souhaitons-nous laisser à nos petits-enfants en matière de climat? Je ne pense pas que je serai encore de ce monde en 2050, mais je sonne l’alarme pour que notre génération cesse de les laisser tomber.

Nous n’avons plus de temps à perdre. Des mesures bien plus strictes que celles du projet de loi C-12 seront nécessaires pour éviter une catastrophe sur cette planète. Pour autant, avec la tarification du carbone, les investissements et les innovations écologiques, ce texte de loi donne une chance au Canada de contribuer à l’effort collectif pour relever un des pires défis auquel l’humanité n’a jamais été confrontée. Ce projet de loi vise essentiellement à mettre en place un plan de réduction des émissions, en s’appuyant sur des rapports fournis par le gouvernement et un organisme consultatif composé d’experts afin d’atteindre des objectifs graduels. Cette mesure législative s’appliquera dans les décennies à venir au fil des différents gouvernements, sauf si on tente de l’abroger. Sur ce point, le Sénat devra faire preuve d’une grande vigilance.

Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a renforcé le projet de loi, en ajoutant des exigences en matière de rapports en 2023 et 2025 pour tendre vers le jalon critique de 2030. Selon le rapport de 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, pour éviter une catastrophe, il faut que les émissions diminuent d’environ 43 % d’ici 2030, par rapport aux émissions de 2010, puis il faut atteindre la carboneutralité d’ici 2050. C’est ce qui est nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius. J’expliquerai dans un instant l’importance scientifique de ce seuil. Selon le GIEC, l’atteinte de cet objectif nécessitera « […] des transitions rapides et de grande envergure dans les domaines de l’énergie, des terres, des villes et des infrastructures, y compris les transports et les bâtiments, ainsi que des systèmes industriels. »

Malheureusement, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 3,3 % de 2016 à 2019, au Canada. Le récent taux de croissance est le plus élevé de tous les pays du G7. Depuis la signature de l’accord de Paris en 2016, tous les autres pays du G7, à l’exception des États-Unis, ont diminué leurs émissions. Ces diminutions se situent entre 4,4 % en Italie et 10,8 % en Allemagne.

Le Canada est un pays riche dont les émissions, par habitant, sont très élevées. En fait, les Canadiens sont parmi les plus grands émetteurs, par habitant — 3,4 fois la moyenne mondiale en 2019 — d’émissions provenant de la combustion de combustibles fossiles. Nous sommes aussi responsables d’une grande partie du monde naturel, dont la responsabilité collective de protéger de nombreux écosystèmes relativement vierges et d’importance mondiale. Dans le même temps, le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde, et l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que la planète.

Le Canada ne fait pas sa juste part pour ce qui est de réduire les émissions et en fait encore moins pour ce qui est de jouer un rôle de leader. Les progrès ont aussi été difficiles à réaliser. Cette année encore, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi fédérale sur la tarification du carbone et nous a ainsi permis de conserver l’outil de politique le plus efficace de notre pays, en dépit des contestations judiciaires des gouvernements de la Saskatchewan, de l’Ontario et de l’Alberta.

Heureusement, un consensus quasi général s’est dégagé au niveau fédéral sur le fait que les changements climatiques sont réels et que la tarification du carbone est judicieuse et efficace pour réduire les émissions.

Nous pouvons — et devons — respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris en utilisant cet outil et en investissant massivement dans la protection de l’environnement.

Le Canada doit gagner en crédibilité pour avoir une influence positive à l’international et éviter les catastrophes. Dans ce but, le gouvernement devra, en s’appuyant sur le projet de loi C-12, développer un plan rationnel et rendre compte de sa réussite ou de son échec. Les sénateurs peuvent aider de façon constructive à élaborer et à favoriser des politiques visant à atteindre nos objectifs de Paris.

Nous pouvons également dépolitiser le débat grâce à une approche à long terme fondée sur des données probantes. Avec les changements climatiques, nous devons réaffirmer notre engagement à nous fier aux données scientifiques, comme nous l’avons fait pour notre réponse à la pandémie.

Chers collègues, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, commence par une référence qui énonce le défi qui nous attend. Voici une citation d’Antoine de Saint-Exupéry :

Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible.

Comparons donc les différentes options entre une planète où le réchauffement a été limité à 1,5 degré Celsius et une planète où il l’a été à 2 degrés. Selon le rapport du GIEC, limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius permettrait de limiter les risques d’augmentation des épisodes de fortes précipitations, notamment le nombre de cyclones tropicaux et d’ouragans très intenses. À l’échelle mondiale, l’Ouest et l’Est du Canada sont deux régions très exposées à l’augmentation du nombre d’événements du genre si la hausse de la température moyenne de la planète atteint 2 degrés.

Limiter le réchauffement à 1,5 degré permettrait aussi de réduire considérablement la probabilité de sécheresses extrêmes et de pénuries d’eau. Ce taux de changement moindre rendra plus facile pour les systèmes naturels et humains de s’adapter et aidera à assurer la résilience des écosystèmes ainsi qu’en matière de production alimentaire.

Si on limitait le réchauffement à 1,5 degré, cela permettrait d’atténuer les risques de pauvreté extrême en termes d’énergie, de nourriture et d’eau en Afrique, en Asie et dans les petits États insulaires. Si le réchauffement ne dépassait pas 1,5 degré, il y aurait nettement moins de risques d’inondations et d’extinction de nombreuses espèces. De plus, la possibilité que l’océan Arctique soit libre de glace en été serait d’une fois par siècle plutôt qu’une fois par décennie, comme ce serait le cas si le réchauffement était de 2 degrés. Avec un plafond de réchauffement à 1,5 degré, le niveau de la mer à l’échelle de la planète serait, à l’horizon 2100, inférieur de 10 centimètres à celui qui risquerait d’être enregistré si le réchauffement était de 2 degrés.

Voici une donnée particulièrement frappante : un réchauffement de 1,5 degré entraînerait la destruction de 70 à 90 % des récifs de corail alors que s’il était de 2 degrés, plus de 99 % des récifs disparaîtraient.

Il faut maintenir le réchauffement à un plafond de 1,5 degré et apporter des changements à notre mode de vie. Par rapport aux sacrifices consentis par les générations précédentes, notamment celles qui ont connu la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, on nous demande bien peu. Pour réduire notre empreinte environnementale, on pourrait par exemple voyager moins en avion, acheter des véhicules moins polluants et consommer davantage d’aliments d’origine végétale.

Les conséquences tangibles du changement climatique sont déjà évidentes. Les incendies de forêt en Australie, en Californie et dans l’Ouest du Canada ont fait des ravages et donnent un avant-goût de ce que l’avenir nous réserve. Au Québec, 66 personnes sont décédées lors de la canicule de 2018 à Montréal. Les Îles-de-la-Madeleine subissent une érosion massive faute de protection contre la glace marine. En 2019, l’ouragan Dorian, renforcé par le changement climatique, a causé de terribles dommages à Halifax.

Les conséquences de notre inaction dans un pays riche comme le Canada seront désastreuses pour les populations les plus pauvres de la planète et s’inscriront, à notre honte, dans l’histoire, sauf si nous changeons de cap dès maintenant.

Le pire crime d’entre tous est peut-être l’extinction de masse qui se produit. L’éradication d’espèces représente un vol incalculable commis contre toutes les générations futures et une atrocité envers Dame Nature et nos semblables. Les changements climatiques ont lieu en même temps que de nombreuses autres activités humaines — comme la destruction des habitats, le trafic d’espèces sauvages, la pollution par le plastique, la surpêche et la propagation d’espèces envahissantes — qui contribuent à l’extinction d’espèces, et les changements climatiques sapent la moindre résilience que la faune épuisée pourrait encore posséder.

En 2018, le Fonds mondial pour la nature a publié un important rapport qui indiquait que 60 % des vertébrés, c’est-à-dire les mammifères, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les amphibiens, ont été éradiqués depuis 1970. Depuis que j’avais 18 ans, plus de 60 % des vertébrés ont été éradiqués.

Selon un rapport de 2019 de l’ONU, un million d’espèces animales et végétales sont maintenant menacées d’extinction, dont beaucoup d’ici quelques décennies. Cette disparition rapide, que les scientifiques appellent désormais l’extinction de l’Anthropocène, a été baptisée ainsi en notre déshonneur et constitue la sixième extinction massive de l’histoire de la planète.

Pour mettre les choses en contexte, la dernière des six extinctions massives a eu lieu il y a 66 millions d’années, lorsqu’un astéroïde a percuté la Terre, ce qui a fait disparaître 75 % des espèces animales et végétales de la planète, y compris les dinosaures. Lorsque nous nous penchons sur des questions comme celle dont nous sommes saisis, il faut penser aux jeunes, aux générations futures.

En 2019, un mouvement mondial de lutte contre les changements climatiques a été amorcé par des adolescents qui manifestaient en Europe. Le 27 septembre de la même année, des centaines de milliers de Canadiens sont descendus dans les rues pour exhorter le gouvernement à prendre des mesures audacieuses dans le but de lutter contre les changements climatiques. Des Canadiens de tous âges ont manifesté aux quatre coins du pays, de St. John’s à Vancouver, en passant par Edmonton. Des manifestations ont eu lieu jusqu’à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Greta Thunberg a rencontré le premier ministre Trudeau et a participé à la mobilisation des jeunes à Montréal. Ici, à Ottawa, près du Parlement, une fillette tenait une pancarte posant une question : restera-t-il des baleines, des tortues et des guépards sur la planète lorsque j’aurai 18 ans? Un autre manifestant, plus âgé, tenait une pancarte exhortant les aînés à se battre pour la planète. Une autre personne, plus jeune, tenait une image du fameux gardien de la forêt du Dr Seuss, le Lorax, auquel la sénatrice Coyle a fait allusion hier lorsqu’elle a parlé du risque inquiétant qui nous guette, « à moins que ».

Honorables sénateurs, tout le travail que nous faisons, notamment l’adoption du projet de loi C-12, doit servir les intérêts des jeunes Canadiens, nos petits-enfants. Les décisions que nous prenons en matière d’environnement auront des conséquences bien plus importantes sur eux que sur nous, et ils ne sont pas bien représentés dans les processus et les institutions politiques.

Dans ce pays et dans le monde entier, nous devons mettre de côté les divisions politiques. Nous devons collaborer, car une chose est certaine : si nous ne travaillons pas ensemble, nous allons tous être perdants. Pas plus tard que ce mois-ci, le rapport du directeur parlementaire du budget indiquait que le gouvernement n’était pas en voie d’atteindre ses objectifs. Si le projet de loi C-12 et des mesures comme la tarification du carbone ne peuvent pas réduire nos émissions en raison d’obstacles politiques à des politiques rationnelles, il se peut que les tribunaux finissent par s’en mêler, étant donné les conséquences des changements climatiques sur les droits de la personne.

En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a ordonné au gouvernement national de prendre de nouvelles mesures de lutte contre les changements climatiques, exigeant une réduction de 25 % par rapport aux émissions de 1990 avant la fin de 2020. En 2020, la Cour suprême d’Irlande a annulé le plan national de réduction des émissions du gouvernement, car il ne donnait pas suffisamment de détails sur la réduction des gaz à effet de serre. Des décisions importantes ont été prises cette année en France et en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale allemande déclarant que les mesures inadéquates actuelles violaient les libertés des jeunes. Au Canada, des efforts sont actuellement déployés pour porter une affaire climatique devant la Cour d’appel fédérale. Néanmoins, dans les assemblées législatives et à l’aide de mesures de l’exécutif, tous les efforts doivent être orientés vers des moyens rationnels et efficaces de réduire les émissions.

Les défis que posent les changements climatiques font en sorte que nous sommes à un moment décisif de l’histoire de l’humanité. Nous ne devons pas être le maillon faible de la chaîne. Si nous ne coopérons pas pour atteindre les objectifs communs qui sont nécessaires afin de sauver l’environnement, nous manquerons à notre devoir envers nous-mêmes, nos enfants, nos petits-enfants et toutes les générations futures. Nous manquerons à notre devoir envers les magnifiques créatures avec lesquelles nous partageons la planète. Nous sommes à la fois leur seul espoir et leur seule menace. Nous devons choisir de faire mieux. Grâce au projet de loi C-12, le Parlement peut s’engager à prendre toutes les mesures nécessaires pour commencer à inverser cette vague en créant un plan rationnel que nous pourrons mettre en œuvre.

Le Sénat devrait contribuer à l’atteinte de cet objectif au cours des années décisives à venir. Pour l’avenir de nos petits-enfants, nous devrions — nous devons — faire preuve d’audace.

Chers collègues, je demande qu’on passe au vote.

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