Troisième lecture du projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, tel que modifié

Par: L'hon. Andrew Cardozo

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L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, c’est un plaisir de prendre la parole au sujet du projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, qui vise à mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion de 1991.

Même si c’est la première fois que je prononce un discours au Sénat, j’espère avoir l’occasion de faire un réel discours inaugural dans un avenir proche lorsque nous ne serons pas aussi pressés par le temps. Je crois que tous conviendront qu’il était temps que la Loi sur la radiodiffusion soit mise à jour, notamment en raison des avancées qu’ont connues les technologiques réglementées par cette loi dans les 32 dernières années.

Je dois d’abord vous dire que j’ai eu la chance d’être commissaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, pendant six ans au tournant du siècle — ce siècle-ci, pas l’autre d’avant.

À cette époque, mon travail était régi par cette loi, et je peux vous dire que, même à cette époque, elle commençait à montrer des signes de vieillesse, alors qu’Internet commençait à peine à s’imposer. C’était quand même une loi exhaustive assez flexible qui nous permettait de réglementer l’environnement en évolution.

La chose que je trouve extraordinaire de la Loi sur la radiodiffusion est qu’elle est typiquement canadienne.

La loi régit une société unique : la société canadienne. Il n’y a aucun autre pays qui possède toutes nos qualités uniques. D’autres pays peuvent avoir certaines de nos principales caractéristiques, mais nous sommes les seuls à les avoir toutes. Je dirais que, dans l’ensemble, la Loi sur la radiodiffusion a bien fonctionné pendant toutes ces années.

Juste pour me rajeunir, je tiens à préciser qu’en fait, j’ai comparu devant le comité de la Chambre des communes qui travaillait sur la Loi sur la radiodiffusion sous le gouvernement Mulroney, en 1991, alors que j’étais encore un très jeune homme. Je suis heureux de dire que certains des changements que nous avions préconisés à l’époque concernant la définition du « peuple canadien » ont effectivement été ajoutés au projet de loi à ce moment-là. J’étais loin de me douter que, six ans plus tard, je serais au CRTC pour mettre en œuvre cette loi, ou alors que j’interviendrais sur l’examen de cette loi au Sénat 32 ans plus tard.

J’aimerais me concentrer sur l’article 3 de la loi, c’est-à-dire sur les aspects uniques du peuple canadien que la Loi sur la radiodiffusion vise à mettre en valeur. Voici quelques-unes des principales caractéristiques qui sont au cœur de notre société.

Nous avons deux langues officielles, et le CRTC veille constamment à ce que nous ayons une richesse de programmes dans les deux langues. Lorsque je travaillais au CRTC, j’ai eu le plaisir de prendre part aux décisions qui ont permis de rendre TVA accessible partout au Canada, de rendre la Société Radio-Canada — la télévision et la radio — accessible dans toutes les capitales provinciales et d’augmenter considérablement le nombre de chaînes spécialisées en français. De fait, grâce aux progrès de la technologie numérique, le CRTC a pu enrichir la diffusion de programmes dans les deux langues, en offrant notamment un grand nombre de chaînes francophones d’un océan à l’autre.

Le Canada possède aussi un secteur de la radiodiffusion multilingue bien développé, qui rivalise avec tous les autres secteurs comparables dans le monde. On y trouve du contenu produit pour et par diverses communautés ethnoculturelles du pays. Le légendaire Johnny Lombardi a été un pionnier de la radiodiffusion multilingue. C’était à Toronto, dans les années 1960. Petit à petit, le nombre d’émissions de radio et de télévision a augmenté au Canada, alors que le CRTC accordait des licences à davantage de services multilingues.

Le plus récent ajout au paysage télévisuel a été le Réseau de télévision des peuples autochtones, ou APTN. L’audience relative à l’octroi de sa licence a certes été l’une des audiences les plus importantes ayant eu lieu durant mes six années au CRTC. C’était quelque chose de mémorable. Nous avons entendu les témoignages de certaines figures de proue dans le domaine. Abraham Tagalik, du Nunavut, présidait le conseil d’administration de ce qui était alors Television Northern Canada. La grande dame du cinéma autochtone, la très douée Mme Alanis Obomsawin, nous a rappelé nos obligations, et Adam Beach, un acteur primé, a souligné tout le talent qui existe au sein de la communauté culturelle autochtone.

Je me souviens avoir pensé, à l’époque, qu’il était paradoxal que les membres des Premières Nations soient les dernières personnes à avoir leur propre réseau de télévision. Aujourd’hui, 23 ans plus tard, APTN continue de prendre de l’ampleur et d’étendre ses services partout au pays, surpassant toutes les attentes, même s’il existe maintenant de nombreux autres services de radiodiffusion et de télédiffusion autochtones.

Depuis le début des années 2000 environ, le CRTC s’intéresse également à la question de la diversité dans la programmation des radiodiffuseurs d’expression française et anglaise afin que le contenu à la radio et à la télévision grand public auquel nous sommes exposés reflète la diversité raciale, culturelle et autochtone de notre pays.

Maintenant, il faut ajouter à cette spécificité ce qui suit. Contrairement à de nombreux autres pays, nous avons comme voisin la machine culturelle la plus dominante du monde, le mastodonte culturel que sont les États-Unis. Contrairement aux autres pays, même ceux dont les habitants consomment énormément de produits hollywoodiens, nous partageons non seulement une langue, mais également une certaine culture, un accent. Nous suivons les mêmes sports, comme le football et le hockey. Nous avons des expressions en commun. Ainsi, il est plus difficile de distinguer la musique et les émissions canadiennes du contenu américain, et les consommateurs canadiens ont moins de raisons d’être loyaux aux produits d’ici.

Du côté francophone, la radiodiffusion est confrontée à des défis uniques. Il est vrai que notre nation francophone vit au sein d’une anglosphère en Amérique du Nord, mais l’avantage de cette situation est que les consommateurs francophones sont particulièrement loyaux aux émissions en français produites au Québec et dans le reste du Canada. Le vedettariat québécois est bien vivant, florissant, et il peut compter sur de nombreux admirateurs et un vaste auditoire. L’industrie canadienne-anglaise ne peut que souhaiter d’avoir le même genre de public au Canada.

Cependant, vu l’énorme popularité de la musique et des émissions américaines, il est nécessaire pour l’État d’aider les émissions de langue française. Pensons au gouvernement fédéral, au gouvernement du Québec ou aux autres gouvernements provinciaux. C’est pourquoi le projet de loi C-11 est si populaire au Québec. Il apporte plus de revenus pour le contenu réalisé au Canada et diffusé de manière traditionnelle et en ligne.

Maintenant, l’article 3, particulièrement le sous-alinéa 3(1)d)(iii) proposé, ordonne au CRTC de réglementer et d’accommoder cette diversité de façon claire et contemporaine.

Dans un autre ordre d’idées, il y a eu toutes sortes de commentaires récemment sur le fonctionnement du CRTC, et je considère que certains de ces commentaires sont un peu gratuits. Je peux vous dire, d’après mon expérience, que j’ai trouvé que c’était l’un des organismes les plus ouverts et les plus transparents du gouvernement fédéral. Certes, il n’est pas parfait et, à l’occasion, il est tenu à la confidentialité parce que des questions commerciales et concurrentielles sont en jeu. Je vous dirais que toutefois c’est l’un des organismes qui travaille dur pour entendre une grande variété de voix et qui s’efforcera toujours de trouver un équilibre entre les intérêts des puissantes sociétés et des Canadiens ordinaires.

Il était aussi parfaitement ouvert à l’idée que soient remises en question ses façons de mener des audiences et des consultations. Je dirais que cet organisme mène des audiences publiques aussi bien, sinon mieux, que n’importe quel autre agence ou commission fédérale.

Hier, on a parlé de ce qu’on appelle la « politique identitaire » et du fait que ce genre de politique s’est introduite dans les affaires culturelles. J’étudie et j’enseigne constamment l’histoire et la politique canadiennes, et selon mon interprétation, l’identité a toujours fait partie de l’histoire du Canada. Certains parleront de politique identitaire. On y retrouve bien des aspects positifs, et certains aspects négatifs.

Depuis le début de notre histoire, les premiers peuples, c’est‑à‑dire les Autochtones, ont toujours été diversifiés, et ils étaient fiers de leurs diverses identités. Ils nous ont d’ailleurs appris à reconnaître leurs territoires ainsi que l’histoire qui se rattache à ces territoires et aux peuples qui ont habité les différents territoires traditionnels de l’Île de la Tortue où nous nous trouvons, et nous leur rendons hommage. Cependant, rappelons qu’après l’arrivée des colons venus d’Angleterre et de France, ceux-ci se sont livré une lutte basée sur des considérations identitaires, c’est-à-dire les Anglais contre les Français, d’où la bataille des plaines d’Abraham en 1759. Comme on dit, on connaît la suite.

Pendant de nombreuses années, les colonisateurs ont imposé leur identité, leur langue et leur religion sur cette terre et ils ont passé des siècles à essayer de noyer l’identité des peuples autochtones, allant même parfois, comme nous le savons, jusqu’à utiliser des moyens plutôt malheureux.

Dans une affaire historique connexe, permettez-moi de parler des Pères de la Confédération. En effet, ce sont les pères et pas les mères. Il n’y avait que des hommes d’origine britannique et française. Il n’y avait surtout pas d’Autochtones, même si la Proclamation royale de 1763 reconnaissait les Autochtones et leurs droits fonciers. Leur identité autochtone n’a pas été incluse dans la Confédération, et les Autochtones n’ont certainement pas été reconnus comme des fondateurs de l’État canadien.

Il y avait aussi beaucoup de Noirs. Il s’agissait de loyalistes qui avaient quitté les États-Unis pour venir s’installer ici — notamment les ancêtres de l’ancien sénateur Don Oliver et de la sénatrice Wanda Thomas Bernard — et qui se trouvaient déjà au Canada depuis plus d’un siècle, mais qui, encore une fois, ne faisaient pas partie des Pères de la Confédération.

Permettez-moi de parler de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Souvenez-vous de cette désignation. De quelle Amérique du Nord était-il question? De celle qui était d’origine britannique. Un document fondateur se résume à une question d’identité. Les Anglais et les Français avaient obtenu des garanties à l’égard d’écoles protestantes et catholiques, qui étaient absolument conditionnelles à la signature du document. Si ces identités n’avaient pas été enchâssées dans notre Constitution, le Canada n’aurait pas existé.

Ce n’est pas tout. Pendant les années 1800 et au début des années 1900, le gouvernement s’appropriait les terres des peuples autochtones pour les donner aux colons anglais et français et aux Européens de l’Est. Quant aux enfants autochtones, ils étaient enlevés par l’État et par l’Église et soumis à des conditions épouvantables.

Et voilà qu’aujourd’hui, nous nous demandons pourquoi il y a des riches et des pauvres et pourquoi il y a des puissants et des démunis. À l’extérieur de cette salle, il y a des gens qui demandent à certains groupes de cesser de s’étendre sur le sujet de leur identité, de passer à autre chose et de se contenter d’être comme les autres.

C’est ce qui m’amène au sous-alinéa 3(1)d)(iii). Cette disposition est nécessaire parce que c’est de cette façon, en respectant tous les Canadiens, quelle que soit leur identité ou leur origine, que nous ferons du Canada un grand pays.

J’aimerais parler brièvement de la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 15(1) dit que nous sommes tous égaux. Le paragraphe 15(2), de son côté, précise que les programmes gouvernementaux inégalitaires sont autorisés s’ils ont l’égalité pour but ultime. Ce qui veut dire que l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones tombe directement sous le coup des pouvoirs prévus au paragraphe 15(2) de la Charte des droits et libertés. Aujourd’hui, nous avons la preuve que le projet de loi C-11 respectera aussi la déclaration de l’ONU.

En terminant, j’aimerais dire que la réduction de l’inégalité et la promotion de l’égalité pour l’ensemble des Canadiens comptent parmi les raisons fondamentales de la gouvernance, qu’il s’agisse de politiques culturelles, sociales ou économiques. C’est ce que vise le projet de loi C-11. Il fait progresser un peu plus notre grand pays. Il favorise la présence de plus de contenu canadien dans le monde des médias en ligne dans l’avenir. Le monde a besoin de plus de Canada, et l’augmentation des revenus permettra de diffuser davantage de contenu canadien sur la planète.

Pour cette raison et bien d’autres qui ont été expliquées par mes collègues, je serai honoré de voter en faveur du projet de loi C-11.

Merci.

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