Projet de loi de crédits no 3 pour 2020-2021—Troisième lecture

Par: L'hon. Peter Harder

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Could wearing a Canadian flag, Toronto

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je suis surpris d’être appelé si rapidement et je me réjouis de pouvoir aborder quelques points concernant le projet de loi C-19. Prendre la parole au sujet d’un projet de loi de crédits est un acte courageux pour quiconque, mais il s’agit d’un sujet pour lequel j’ai cumulé de l’expérience au fil des années. Cela me fait penser à une anecdote à propos du septième mari d’Elizabeth Taylor qui, le soir de ses noces, a dit : « Je sais ce qu’on attend de moi, mais je ne sais pas comment le rendre intéressant. » Ainsi, honorables sénateurs, je sais ce qu’on attend de moi et je vais essayer de le rendre intéressant.

Les subsides sont, en temps normal et à juste titre, l’affaire de la Chambre des communes. Ceux d’entre nous qui se rappellent d’Anne Cools savent qu’elle avait parlé, dans ses dernières semaines de mandat, de son expérience personnelle, en commençant en 1215 avec la Magna Carta — elle était un peu plus jeune à cette époque. Elle avait expliqué comment la négociation de la Magna Carta est à la base de nos subsides, et c’est vrai.

À l’époque où j’ai été nommé sénateur, l’examen des crédits était un processus encore plus opaque qu’il ne l’est maintenant. Les documents relatifs aux crédits consistaient littéralement en de multiples cartables, organisés selon le vote, et le processus des crédits était très complexe, surtout à la Chambre des communes. Cela a suscité une réforme à l’époque du gouvernement Mulroney, présidée par Jim McGrath, qui est devenu le lieutenant-gouverneur McGrath. Cette réforme tentait d’offrir aux parlementaires un échéancier plus facile à comprendre pour l’examen des crédits. Ainsi, la réforme a traité du processus, mais pas vraiment du contenu.

Lorsque je suis arrivé au Conseil du Trésor, il y a 25 ans, et que j’ai connu pour la première fois le processus d’examen des crédits, j’ai dit à mes employés que cela me faisait penser à Moscou sous le régime Brejnev. J’ai dû leur expliquer que là, les travailleurs faisaient semblant de travailler, et les gestionnaires faisaient semblant de les payer. Ainsi, nous faisons semblant de fournir des renseignements au Parlement, et celui-ci fait semblant de nous demander des comptes.

Le niveau de complexité des documents était trompeur et incompréhensible. Nous avons donc lancé un processus, le projet d’amélioration de l’information fournie au Parlement, dont la première étape était d’écouter les parlementaires, comme Anne Cools; c’est alors que je l’ai rencontrée pour la première fois. Le projet était fondé sur la conviction que si nous pouvions présenter des renseignements plus clairs aux parlementaires dans les plans ministériels, il en résulterait un meilleur processus d’examen des crédits, plus participatif.

Bon, je m’aperçois avec le recul que nous étions sans doute plus idéalistes que réalistes, mais nous étions néanmoins convaincus que nous pouvions tirer des leçons des réformes réalisées ailleurs pour améliorer la communication avec le Parlement et les assemblées législatives afin qu’ils comprennent mieux ce que les ministères essaient de faire, bref qu’ils ne s’intéressent pas seulement aux sommes dépensées, mais à ce qui est fait avec cet argent.

Je crois que mon ancien voisin serait au désespoir. Comme vous le savez tous, Grant Mitchell a longtemps voulu être premier ministre de l’Alberta. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’une des plus grandes innovations dans le domaine des crédits est venue de Ralph Klein. C’est en effet sous sa direction que l’on a tenté certaines expériences et commencé à regrouper l’information en fonction des résultats à atteindre afin de faciliter les communications avec les parlementaires. Comme Tony Dean occupait un poste hiérarchique très élevé, c’est sous Mike Harris — rien de moins — que l’Ontario a commencé à faire de même.

Les ministères fédéraux ont longtemps traîné la patte, mais c’est finalement eux qui ont fait accepter la notion voulant que, même si les chiffres et les intrants ont leur importance — n’en doutons point —, ce qui compte, c’est le résultat à atteindre. Que veut-on faire et comment rend-on compte de ce qui a été accompli? Il y a des comptables pour s’occuper des chiffres. Les parlementaires, selon moi, devraient avoir pour rôle de déterminer si les résultats escomptés sont atteignables ou pas.

Parmi les innovations de l’époque, mentionnons la reconnaissance du fait que les résultats ministériels étaient acceptables à l’échelle des ministères, mais que, dans bien des cas, les résultats à l’échelle gouvernementale concernaient plusieurs ministères. On se demandait comment regrouper les résultats à l’échelle gouvernementale?

Il y avait un processus qu’on appelait « rendre compte des résultats aux Canadiens ». Il s’agissait de regrouper certaines activités ministérielles et d’amener les gouvernements à viser certaines réalisations à l’échelle du gouvernement et du pays pour une période donnée, et j’ajouterais que les gouvernements hésitaient quelque peu à adopter cette approche. Cependant, nous avons entamé des discussions avec les provinces. On se demandait si on pouvait produire un document permettant d’harmoniser les résultats à l’échelle de l’ensemble des gouvernements.

Ce travail était déjà entamé. Il fallait adapter ce qu’on appelait une fonction de contrôle moderne au sein de la fonction publique afin de passer d’une approche axée seulement sur la vérification des chiffres à une méthode consistant véritablement à exercer la fonction de vérification et de contrôle au sein du gouvernement en se concentrant sur les résultats et les réalisations. Le vérificateur général de l’époque a participé à ce processus. Ce travail se poursuit en partie aujourd’hui; on le voit avec les rapports sur les résultats ministériels et les plans ministériels.

Toutefois, il y a eu des défis à relever. Je pense notamment à la création d’organismes parlementaires dont j’ai parlé quand nous avons questionné celle qui était alors la vérificatrice générale désignée, plus précisément de la notion que c’est le titulaire de ce poste qui évalue l’optimisation des ressources. Ce n’est pas de cette façon que je ferais les choses. Les vérificateurs généraux devraient vérifier l’intégrité des chiffres, comme le font tous les vérificateurs, et le Parlement, lui, devrait vérifier s’il y a eu optimisation des ressources.

Il s’agit là d’une notion plutôt subjective. Le sénateur Patterson n’est pas ici, mais j’ai peut-être une opinion différente de lui sur l’optimisation des ressources de la Prestation canadienne d’urgence, par exemple.

On a récemment inclus les directeurs parlementaires du budget. Je vous encourage à lire les ouvrages de Donald Savoie, qui a été l’un des uniques détracteurs de la création d’organismes parlementaires. Les partis politiques détestent ces organismes quand ils sont au pouvoir, mais les aiment quand ils forment l’opposition, et ce, pour une très bonne raison. Ils sont le cerveau de l’opposition — à l’exception, bien sûr, de l’opposition au Sénat —, mais ils empoisonnent souvent la vie des gouvernements.

Quelques obstacles sont venus perturber ce que j’appellerais la modernisation de la fonction de contrôle. Il y a notamment eu le scandale de Développement des ressources humaines Canada. Pour aider les sénateurs à bien saisir de quoi il s’agit, l’équivalent moral de ce scandale serait l’approche efficace qu’a adoptée le Bureau du vérificateur général lors de son étude du Sénat. Le processus d’innovation dans la fonction publique a été gelé. À ma grande surprise, même si les sénateurs prennent les enquêtes de ce bureau comme un affront, ils veulent faire subir la même chose à d’autres ministères. Cela dit, c’est une question que j’aborderai un autre jour.

Bien sûr, la crise financière a complètement fait dérailler les travaux en cours. Il y a eu un nouveau gouvernement, qui a adopté la Loi fédérale sur la responsabilité. Cette mesure visait à rétablir les règles et les règlements et à supprimer les innovations — c’est ce que j’appelle développer une équipe de gardiens de but.

Ô surprise, le vérificateur général devient la vedette de l’actualité de l’année à cause du scandale de Développement des ressources humaines Canada. Il aurait peut-être dû être la personnalité de l’année pour le Sénat.

Ainsi, nous avons élaboré la fonction de contrôle, soit un ensemble de règles supplémentaires qui allaient empêcher qu’une telle chose se reproduise. Nous avons tous déjà entendu, à la suite d’un cas évident de gaspillage de fonds publics : « Nous avons fait appel au vérificateur général. Il a mené un examen. Nous imposons de nouvelles règles. Cela ne se reproduira jamais. » Combien de gouvernements ont-ils affirmé ceci jusqu’à l’arrivée d’un nouveau cas?

Selon moi, nous devons revenir à un accent plus net sur les résultats et tenir un dialogue intelligent sur la reddition de comptes, ce qui est certainement plus approprié pour une Chambre qui se perçoit comme la Chambre du second examen objectif.

Je pose la question : à quoi ressemblent la surveillance parlementaire et la reddition de comptes dans le contexte de la pandémie de COVID-19? Je vous donne cinq éléments auxquels réfléchir sous l’angle des implications de ce que je dis au sujet du cycle budgétaire, des budgets et du travail du Sénat.

Le premier élément est le suivant : habituons-nous aux scénarios et non à un plan unique. Dans ses questions, le sénateur Massicotte a parlé une ou deux fois de l’excellent document de Bennett Jones, un cabinet d’avocats avec lequel je n’ai aucun lien, rédigé notamment par David Dodge et deux sous-ministres, dont un ancien sous-ministre des Finances. Le document présente deux scénarios — car qui sait quelle tournure prendront les événements — à partir desquels les auteurs fondent leur analyse du bien-être économique et financier du Canada. Une semaine après la publication de ce rapport, l’OCDE, une organisation de très bonne réputation, a présenté, dans son rapport sur le Canada, deux scénarios qui s’apparentent pas mal à ceux de Bennett Jones, car elle n’arrivait pas à n’en envisager qu’un seul.

Mon conseil à l’intention des parlementaires est le suivant : n’exigez pas un plan unique; exigez un dialogue plus intelligent sur divers scénarios. Si je peux prédire une chose au sujet de la déclaration du ministre Morneau le mois prochain, c’est qu’il devrait éviter de présenter un plan unique pour l’avenir. Je prédis également que, quoi qu’il dise, le sénateur Plett s’y opposera.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Harder : Le deuxième point que je souhaite soulever, c’est que nous devons récompenser l’innovation, l’adaptation et les ajustements rapides pour combler les lacunes. L’innovation dont on a fait preuve, notamment dans l’élaboration du projet de loi à l’étude et dans l’étude des projets de loi d’urgence présentés auparavant, est formidable quant à la façon extraordinaire dont ces projets de loi ont été traités. Les ébauches de projet de loi ont été communiquées de façon confidentielle aux leaders à l’autre endroit. Des amendements et des réponses aux préoccupations soulevées concernant les ébauches de projet de loi ont été inclus par le gouvernement avant qu’il présente ses projets de loi.

On pourrait dire que c’est logique en contexte de gouvernement minoritaire, mais il s’agit d’une innovation à laquelle il serait bon de réfléchir, puisque, à l’évidence, si de telles consultations sont menées en amont, les débats à la Chambre sont moins longs. Ce n’est qu’une question de négociation. Je regrette que, lorsque cette façon de faire a été mise de côté à l’autre endroit, ce soient les prestations pour personnes handicapées qui ont écopé, car les Canadiens défavorisés en avaient vraiment besoin. C’est pourquoi il faut y réfléchir à deux fois avant de souhaiter le retour des processus antérieurs; ils ne sont peut-être pas adaptés aux circonstances actuelles. Nous devrions préconiser et récompenser la souplesse et la capacité d’adaptation afin de répondre aux lacunes.

Troisièmement, nous étions mal outillés en matière de politiques et de systèmes pour répondre à la COVID, et le gouvernement a dû agir rapidement et innover, autant en ce qui concerne les politiques que les systèmes.

Son Honneur le Président : Sénateur Harder, demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Harder : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils d’accord?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Harder : L’ex-maire de New York Mario Cuomo a déjà dit que « pour bien gérer les affaires publiques, il faut savoir manier à la fois poésie et plomberie ». L’approbation des crédits est très proche de la plomberie. Je crois que nous devrions prendre le temps d’apprécier les innovations qui ont vu le jour. Qui aurait cru qu’Emploi et Développement social Canada réussirait à modifier ses systèmes à ce point pour s’adapter aux nouvelles politiques innovatrices, et ce, presque sans heurts?

J’aimerais dire quelques mots sur l’équilibre entre la reddition de comptes et la transparence, car à mon avis, l’innovation dans le domaine des politiques a entraîné un plus grand degré de transparence. Là encore, je m’inscris en faux contre certaines des choses qui ont été dites. Les appels quotidiens, le rapport financier bihebdomadaire : jetez-y un œil, vous allez voir. C’est le document le plus intéressant à avoir été produit par le gouvernement du Canada depuis des années, et il vient du ministère des Finances. J’estime que nous avons accès à davantage de données et que nous y avons davantage accès en temps réel, alors nous devons continuer à exiger qu’il en soit ainsi.

Quatrièmement, je souhaiterais que nous tirions des leçons du passé et que nous adaptions l’examen des crédits. Personnellement, j’estime que le travail accompli par le Comité des finances nationales nous a facilité la vie et qu’il nous a permis d’étudier plus rapidement le projet de loi de crédits, car nous avons passé des semaines à parler des mesures liées à la COVID, et il y a eu certaines redites. Les choses devraient continuer ainsi au moins jusqu’à un semblant de retour à la normale.

C’est ce qui m’amène à mon cinquième et dernier point. Je ne pensais pas en parler, mais je me lance. Je dirai seulement que les questions belliqueuses et irrespectueuses, qu’elles s’adressent à un ministre ou à un fonctionnaire, ne pourront jamais se substituer à un dialogue constructif. Je vous remercie.

L’honorable Elizabeth Marshall : Le sénateur Harder a-t-il le temps de répondre à une question?

Son Honneur le Président : Il lui reste deux minutes.

La sénatrice Marshall : Vous l’avez vu : je n’ai pas pu m’empêcher de rire lorsque vous avez parlé des gros cartables d’il y a des années. Eh bien, vous savez quoi? Nous les avons toujours.

L’un des problèmes, selon moi, c’est la quantité d’information. Les parlementaires doivent travailler sans relâche pour se tenir informés de ce qui se passe. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un travail de tous les instants, mais il s’agit néanmoins d’un travail très exigeant. Les informations abondent, et les parlementaires ont vraiment besoin d’obtenir aussi bien les données que les rapports sur les résultats ministériels, par exemple. En plus de recueillir tous ces renseignements, nous devons chercher à trouver ceux qui manquent.

Auriez-vous des perspectives, des observations ou des suggestions? J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Hier soir, en faisant le ménage de mon bureau, je suis tombée sur un vieux rapport du vérificateur général. Vous pouvez être certains que je l’ai ouvert pour voir ce qu’il contenait. C’était un rapport de Michael Ferguson et il parlait du problème que posent les informations tout éparpillées.

J’aimerais vraiment que vous me disiez ce que vous pensez de cela, car vous pourriez m’épargner beaucoup d’heures de travail.

Le sénateur Harder : J’ai essayé d’aborder ce point quand j’ai posé une question au ministre Duclos, en parlant des nombreuses fenêtres qui permettent d’observer ce qui se fait sur le plan de la transparence, mais qui ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble. Il me semble que nous devons nous demander à quoi ressemblerait un tableau de bord avec l’information dont nous avons vraiment besoin. Pourrions-nous collaborer avec le Conseil du Trésor pour en arriver à un tableau de bord adapté à la réalité parlementaire qui fournirait des renseignements à jour sur ces séries de questions à intervalle régulier, ce qui favoriserait la surveillance parlementaire et la reddition de comptes? Il pourrait s’agir d’un ensemble de questions différent de celui que le Conseil du Trésor utilise avec ses ministères, mais ce serait au moins un début.

Je suis d’accord avec vous, je pense que les vrais renseignements se perdent dans une surabondance d’information.

La sénatrice Marshall : Vous disiez que le rapport bihebdomadaire est intéressant, mais présente des lacunes. Alors, où trouver les renseignements manquants? Ai-je le temps de poser une autre question ?

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice Marshall…

La sénatrice Marshall : J’aimerais avoir votre avis concernant les rapports ministériels.

Son Honneur le Président : Sénatrice Marshall, votre temps de parole est écoulé.

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