Douzième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international

Par: L'hon. Peter Harder

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Alexandra Bridge across the Ottawa River, Ottawa

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du rapport du Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international, intitulé Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle. Je ne répéterai pas ce que nos collègues et les membres du comité ont dit jusqu’à présent. Ils ont judicieusement présenté le contenu du rapport.

Ce dont je veux parler, c’est du contexte.

Je crois depuis longtemps que c’est dans les études que le Sénat montre vraiment sa valeur unique. Les sénateurs sont capables de cerner les problèmes qui touchent les Canadiens et la communauté internationale, puis de les transformer en occasions et en recommandations applicables d’un point de vue canadien. En outre, comme ils bénéficient de la mémoire institutionnelle, les sénateurs sont capables de tenir compte, d’un gouvernement à l’autre, de ce qui a fonctionné et de ce qui n’a pas fonctionné.

Nous avons vu des études et des rapports révolutionnaires au cours des dernières années, comme le rapport Kirby sur la santé mentale, qui est toujours cité, le rapport Nolin sur le cannabis ou le rapport du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique publié lors de la 42e législature.

Je dirais, de façon quelque peu partiale, que le rapport du Comité des affaires étrangères se classe dans la même catégorie que ceux que je viens de mentionner en raison de sa rigueur et de son excellence.

Chers collègues, le sujet du rapport n’est pas sexy, mais son contenu est d’une importance inestimable pour les fonctionnaires qui travaillent à l’édifice Lester B. Pearson et, plus important encore, pour le réseau mondial, qui comprend des centaines de missions.

Comme on l’a dit, quatre décennies se sont écoulées depuis que la Commission McDougall a formulé ses recommandations. Une mise à jour s’imposait donc depuis longtemps. Pourtant, notre comité a quand même pris les devants. Nous avons reçu notre ordre de renvoi et avons commencé notre étude avant que la ministre des Affaires étrangères, l’honorable Mélanie Joly, n’annonce son étude intitulée « L’avenir de la diplomatie », à Affaires mondiales Canada.

Non seulement nous étions en avance sur la ministre pour ce qui est de son étude interne, mais nous avons achevé et déposé notre rapport auprès du greffier en décembre dernier. À ce moment-là, le Comité des affaires étrangères et du développement international de l’autre endroit n’avait tenu que sa première réunion sur une étude très semblable. En fait, ce comité a invité le sénateur Boehm à témoigner dans le cadre de son étude parce que nous avions déjà terminé la nôtre — imaginez!

Le moment est venu pour nous de passer à l’action en adoptant ce rapport.

L’adoption d’un rapport n’est pas une mince tâche. Il faut déployer beaucoup d’efforts pour élaborer des recommandations sur lesquelles la majorité des sénateurs peuvent s’entendre à la lumière des témoignages factuels des témoins et des questions pertinentes des sénateurs.

L’adoption d’un rapport signifie que l’ensemble du Sénat oblige le gouvernement à examiner attentivement le rapport en ce qui concerne l’élaboration de politiques publiques et l’identification des enjeux et des solutions en matière de politiques publiques. Nos travaux ont un certain mérite, indépendant des tendances partisanes que l’on trouve à la Chambre, et ils résistent aux examens minutieux et au passage du temps.

C’est pourquoi nous demandons à la ministre des Affaires étrangères de soumettre une réponse détaillée et complète à ce rapport. Le représentant du gouvernement au Sénat doit déposer la réponse dans les 150 jours civils suivant l’adoption du rapport, de sorte que plus vite nous adoptons le rapport, plus vite nous recevrons une réponse.

Compte de son propre audit interne d’Affaires mondiales, je m’attends à ce que la ministre offre volontiers une réponse. Il pourrait y avoir une coordination entre les deux documents, et je pense que cela a déjà été entamé.

Qui plus est, la ministre pourra répondre officiellement au rapport avant les élections de 2025. Si nous adoptons le rapport cette semaine ou ce soir, nous obtiendrons une réponse officielle au plus tard à la fin du mois d’août, ce qui donnera aux sénateurs tout le temps nécessaire pour répondre à tout ce que le gouvernement pourrait dire.

Puisqu’il aide le public à comprendre la position du gouvernement sur des questions politiques, il s’agit d’un outil utile à la gouvernance démocratique. Il décrit les intentions du gouvernement et aide à mieux comprendre l’équilibre délicat de la gouvernance.

Bien que les enjeux relatifs aux relations étrangères n’attirent pas les votes de manière générale, une réponse officielle est néanmoins nécessaire pour bien informer ceux qui exercent le pouvoir, y compris les personnes dans cette enceinte. Cela nous permet de poser des questions difficiles pour demander des comptes au gouvernement — par exemple des questions aux ministres au sein des comités, et oui, même à ce cirque qu’est la période des questions.

Toutefois, nous devons également envisager cette réponse avec un peu de prévoyance. À l’heure actuelle, le contexte politique ne permet pas de croire que les coffres seront accessibles pour une augmentation des dépenses, surtout dans le contexte des affaires étrangères. Certes, il y a une volonté de gérer les finances de manière responsable et prudente. Cela entre en conflit avec les demandes qui mettent à l’épreuve cette responsabilité budgétaire.

Pensons, par exemple, à la directive du Conseil du Trésor qui demande aux ministères de réduire leurs dépenses de milliards de dollars. Parallèlement, nous apprenons aussi dans les médias que le Canada subit régulièrement des pressions pour atteindre la cible de 2 % du PIB afin de respecter son engagement au sein de l’OTAN. Cet argent doit venir de quelque part.

Si je soulève la question du seuil de 2 % du PIB comme contribution à l’OTAN, ce n’est pas parce que je crois qu’il vaut la peine de le respecter, ou qu’il s’agit d’un bon paramètre. C’est plutôt parce qu’il y a certains signes qui donnent à penser que l’une des façons d’atteindre la cible de 2 % serait de réduire les contributions du Canada à l’aide étrangère.

Chers collègues, ce n’est pas qu’une vision à court terme, c’est une vision absurde. Selon un document de l’OTAN, « Les dépenses de défense des pays de l’OTAN (2014-2023) », la contribution du Canada représente 1,38 % de son PIB, ce qui le place au vingt-cinquième rang au sein de l’OTAN. En dollars, cela représente plus de 39 milliards de dollars, soit la septième place au sein de l’OTAN. Afin d’atteindre la cible de 2 % du PIB, le Canada devrait consacrer environ 20 milliards de dollars de plus, ce qui nous placerait seulement au cinquième rang, si rien d’autre ne changeait.

En comparaison, dans le budget fédéral de 2023, les dépenses canadiennes en matière d’aide étrangère s’élevaient à 6,9 milliards de dollars, soit environ 0,24 % du PIB. Chers collègues, simplement pour atteindre l’objectif de l’OTAN et apaiser les détracteurs, nous devrions allouer environ trois fois la totalité de notre budget de 2023 pour l’aide étrangère aux dépenses de défense.

On utilise également une autre mesure pour évaluer la contribution du Canada à l’aide publique au développement. Cette mesure est peut-être moins connue que l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN, mais elle est également importante et a été élaborée au milieu du 20e siècle par un grand Canadien. Le rapport Pearson de 1972, comme on l’appelle communément, proposait que l’aide publique au développement atteigne 0,7 % du revenu national brut, un indicateur similaire, mais différent du PIB. La sénatrice Bellemare ou la sénatrice Clement saurait sans doute expliquer mieux que moi la différence entre ces deux indicateurs.

Cet objectif est toujours utilisé par des organisations telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, pour suivre les contributions des pays membres en aide publique au développement, mais il est basé sur un pourcentage du revenu national brut. En 2022, l’aide publique au développement du Canada en pourcentage du revenu national brut était de 0,37 %, soit environ la moitié de l’objectif de 0,7 %, et cela lui vaut le dix-huitième rang parmi tous les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Toutefois, comme dans le cas de l’objectif de dépenses de l’OTAN, le Canada se hisse à la sixième place si l’on considère uniquement les chiffres en dollars.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que le gouvernement devra prendre en compte notre rapport, ainsi que d’autres contributions financières que je n’ai pas mentionnées. Le thème qui ressort, c’est que nous n’investissons tout simplement pas assez — ou pas assez intelligemment — dans les affaires étrangères en général. C’est un thème qui persiste depuis un certain temps, et la suspension du recrutement au sein du ministère des Affaires étrangères n’a fait qu’exacerber les problèmes que nous constatons aujourd’hui au sein du service extérieur.

Le Canada n’est pas une superpuissance, mais bien une puissance moyenne. Quoi qu’en disent ceux qui prétendent que rien ne va plus au Canada, nous sommes toujours une puissance respectée. Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de revoir tous les aspects de la présence du Canada sur la scène internationale et, au besoin, d’y investir.

Comme l’a dit le sénateur Boehm :

Le monde d’aujourd’hui est de plus en plus instable et violent, ce qui a des conséquences sur nos relations commerciales, nos chaînes d’approvisionnement, notre souveraineté et notre influence dans le monde.

Comme l’indique un article paru le 22 février dans The Economist : « La Russie devient plus dangereuse, les États-Unis sont moins fiables et l’Europe n’est toujours pas préparée. » La présence du Canada dans le monde doit s’adapter à ces réalités en constante évolution. Je crains que le Canada se retrouve isolé, comme l’explique Kim Nossal, distingué professeur de l’Université Queen’s, dans son livre Canada Alone.

Pour revenir au rapport Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle, soulignons que l’expérience et l’expertise diplomatiques sont inestimables. Les agents du service extérieur du Canada comptent parmi les meilleurs au monde et ils méritent notre soutien afin de poursuivre l’important travail de diplomatie qu’ils doivent accomplir face aux menaces et à l’incertitude dans notre communauté mondiale.

Les recommandations sont éloquentes : recrutement, formation, connaissances en matière de développement, de commerce et de linguistique, et possibilité pour les fonctionnaires d’utiliser leurs compétences au sein du service extérieur dans le cadre de détachements ou d’échanges. Toutes ces recommandations profiteraient au Canada dans son rôle de puissance moyenne, afin qu’il puisse continuer à se démarquer.

Honorables collègues, seul le pouvoir exécutif — dans une fédération, c’est la responsabilité exclusive du gouvernement fédéral — peut, au nom de la Couronne, gérer les affaires étrangères en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré lorsque le Royaume-Uni a adopté le Statut de Westminster, en 1931. On appelle cela également la prérogative royale, ce qui, dans le contexte des affaires étrangères, a été comparé par la Cour suprême du Canada à une « responsabilité constitutionnelle ».

Selon le paragraphe 39 de l’arrêt rendu dans l’affaire Canada (Premier ministre) c. Khadr, on peut en effet interpréter la responsabilité constitutionnelle comme étant :

[…] la responsabilité […] de l’exécutif de prendre des décisions concernant les affaires étrangères dans le contexte de circonstances complexes et en fluctuation constante, en tenant compte des intérêts nationaux plus larges du Canada.

Honorable collègues, il s’agit là d’un autre aspect dont la ministre Joly devra tenir compte lorsqu’elle évaluera les recommandations de notre rapport. Nous savons que les circonstances sont complexes, qu’elles sont en constante évolution. Compte tenu de cela, et étant donné que les pouvoirs relatifs aux affaires étrangères relèvent exclusivement de l’exécutif fédéral, la ministre devrait en faire une grande priorité, car seuls le Cabinet et elle peuvent assumer cette responsabilité constitutionnelle.

Cela dit, honorables collègues, je demande à ce que nous nous efforcions d’adopter ce rapport dès ce soir — je crois comprendre qu’il y a entente à cet égard — afin que nous puissions recevoir une réponse officielle de la part de la ministre le plus tôt possible. Merci.

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