Deuxième lecture du projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Par: L'hon. Peter Harder

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L’honorable Peter Harder propose que le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, depuis presque trois mois, les Canadiens regardent avec horreur l’invasion injustifiable de l’Ukraine par la Russie. Comme nous le savons tous, le 24 février 2022, sans qu’il y ait eu provocation, les forces russes ont entrepris une invasion massive de l’Ukraine. Cette action inacceptable constitue une violation flagrante du droit international, de la Charte des Nations unies et de l’ordre international fondé sur des règles.

Ces attaques ont largement dévasté les infrastructures et les bâtiments ukrainiens en plus de causer la mort inutile de nombre d’Ukrainiens, surtout des civils. Ces actions constituent la suite et l’accélération des mesures violentes prises par la Russie depuis le début de 2014 pour miner la sécurité, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

Face à un mépris aussi flagrant de l’ordre international, le gouvernement du Canada, de concert avec ses alliés, a réagi à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en imposant des mesures économiques, y compris des sanctions, afin d’indiquer clairement que l’agression du régime russe ne serait pas tolérée. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février, le gouvernement du Canada a imposé des sanctions dans le cadre de la Loi sur les mesures économiques spéciales à plus de 1 000 personnes en Russie, en Ukraine et au Bélarus. D’autres sanctions ciblées sont prévues en réaction à l’agression russe, afin de contribuer au consensus international grandissant visant à réprimander le président Poutine et ceux qui le soutiennent pour cette violente attaque sans provocation de l’Ukraine.

Le motif justifiant l’imposition de ces sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales est qu’il y a eu une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, ce qui a entraîné la situation grave que nous voyons aujourd’hui.

Les modifications législatives que je présente aujourd’hui visent la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Elles fourniront au Canada les capacités nécessaires pour mieux arrimer les sanctions du gouvernement avec les instances responsables de l’immigration et de l’accès au pays.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés définit quand une personne est interdite de territoire au Canada et établit les critères applicables aux résidents permanents et aux étrangers qui souhaitent entrer ou rester dans notre pays. Cependant, selon la version actuelle de la loi, ses dispositions relatives à l’interdiction de territoire ne cadrent pas avec la raison justifiant la majorité des sanctions qui ont été imposées à la Russie en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Ainsi, la plupart des individus visés par ces sanctions pourraient entrer, voyager ou rester au Canada sans entrave s’ils ne sont pas autrement interdits de territoire. Ce fait va à l’encontre des objectifs stratégiques du Canada en ce qui concerne l’imposition mesurée, mais ferme de sanctions et de restrictions à des étrangers qui appartiennent au régime russe ou qui en sont de principaux partisans. Des mesures législatives s’imposent de toute urgence pour harmoniser les sanctions d’interdiction de territoire de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec les dispositions de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Votre Honneur, c’est pour cette raison que je suis ici aujourd’hui : proposer le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui permettrait notamment d’harmoniser la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec la Loi sur les mesures économiques spéciales afin que tous les étrangers visés par des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales soient aussi frappés d’une interdiction de territoire au Canada. Si le projet de loi est adopté, les motifs actuels entraînant une interdiction de territoire liés aux sanctions seront étendus pour que les étrangers visés par des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, peu importe les raisons, ne puissent pas venir au Canada. Cette approche inclut les étrangers visés par des sanctions qui proviennent non seulement de la Russie, du Bélarus et de l’Ukraine, mais également de l’Iran, du Myanmar, du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Zimbabwe et de la Corée du Nord. De plus, ces modifications permettront de moderniser le cadre actuel des sanctions d’interdiction de territoire de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Permettez-moi d’expliquer l’importance de cette mesure législative et pourquoi je cherche à la faire adopter le plus rapidement possible. Les modifications prévues dans le projet de loi permettront à tous les motifs d’interdiction de territoire liés aux sanctions d’être traités d’une manière cohésive et cohérente. Elles renforceront les lois existantes en matière d’interdiction de territoire, ce qui interdirait aux personnes passibles de sanctions d’entrer sur le territoire canadien. Elles garantiront que les sanctions imposées par le gouvernement du Canada ont des conséquences directes sur l’immigration et l’accès au Canada. Par ailleurs, elles permettront à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et aux gens de ce ministère de refuser d’octroyer à l’étranger des visas de résident temporaire ou permanent, et elles autoriseront l’Agence des services frontaliers du Canada et ses fonctionnaires à refuser l’entrée aux personnes sanctionnées par le Canada ou à les renvoyer de notre pays.

Une fois que la mesure législative sera en vigueur, elle s’appliquera à tous les étrangers passibles de sanctions décrétées unilatéralement par le Canada et aux membres de leur famille immédiate. Les modifications prévues feraient en sorte que tous les responsables russes sanctionnés par la Loi sur les mesures économiques spéciales et leurs partisans, qui ont eux aussi été sanctionnés, soient interdits de territoire au Canada.

Comme les honorables sénateurs s’en souviendront, cette approche s’aligne et s’appuie aussi sur les récentes activités législatives qui ont bénéficié d’un solide appui dans cette enceinte.

Dans le rapport de 2017 du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, intitulé Un cadre cohérent et efficace au régime de sanctions du Canada : Sergueï Magnitski et au-delà, le comité recommandait de modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour que toutes les personnes désignées par un règlement pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales soient interdites de territoire au Canada.

Parallèlement, toujours en 2017, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, connue sous le nom de loi de Sergueï Magnitski ou projet de loi S-226 — qui avait été parrainé par l’ancienne sénatrice Andreychuk —, est entrée en vigueur.

Cette loi comportait deux motifs d’interdiction de territoire qui s’alignaient sur les dispositions relatives aux sanctions pour les violations des droits de la personne et les actes de corruption à grande échelle.

Des modifications subséquentes ont aussi été apportées au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés afin que les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada — contrairement à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié — puissent rendre des ordonnances d’expulsion, directement aux points d’entrée, pour les personnes interdites de territoire, en vertu des nouvelles dispositions sur les sanctions prises en cas d’interdiction de territoire. Cela a permis d’éviter que les personnes visées ne soient physiquement envoyées devant la Section de l’immigration au Canada pour enquête, avec les coûts connexes et les affaires pressantes que cela induit.

Finalement, le budget de 2018 octroyait à l’Agence des services frontaliers du Canada le financement nécessaire pour, entre autres choses, faire en sorte que l’agence collabore avec Affaires mondiales Canada et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour que les personnes frappées d’interdiction de territoire soient identifiées le plus tôt possible durant leur transit en vue de les empêcher d’entrer au pays.

Ces investissements et le travail efficace des agents frontaliers et des agents de l’immigration au Canada et à l’étranger soutiennent les modifications législatives pour lesquelles je demande aujourd’hui votre appui.

En plus du travail déjà effectué, le projet de loi prévoit d’autres modifications complémentaires de coordination, qui sont requises afin d’aligner les dispositions en matière d’interdiction de territoire sur les dispositions relatives aux sanctions tout en maintenant l’intégrité des deux cadres.

Premièrement, comme il a déjà été mentionné, toutes les dispositions en matière d’interdiction de territoire relatives aux sanctions seront traitées de façon cohésive et cohérente. Cela comprend notamment, par exemple, l’ajout d’un élément temporel à toutes les dispositions d’interdiction de territoire relatives aux sanctions de façon à ce que la personne ne soit interdite de territoire qu’aussi longtemps que son nom figure sur la liste des personnes sanctionnées.

De plus, comme c’est déjà le cas dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les membres de la famille immédiate des étrangers interdits de territoire parce qu’ils font l’objet de sanctions sont également interdits de territoire. De la même manière, les dispositions existantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés concernant la détention des immigrants et les personnes sanctionnées s’appliqueront dans le cas des nouveaux motifs de sanction.

Deuxièmement, d’autres modifications législatives apportées au moyen du projet de loi visent à assurer que le cadre en matière d’interdiction de territoire concernant les sanctions multilatérales, comme les sanctions imposées de concert avec les Nations unies, soit étendu de façon à inclure les groupes ou les entités non étatiques plutôt que seulement les États sanctionnés, comme c’est le cas aujourd’hui.

À l’heure actuelle, les sanctions prises à l’encontre de groupes et d’entités non étatiques, tels qu’Al-Qaïda ou le groupe État islamique, ne font pas automatiquement l’objet d’une interdiction de territoire pour motif de sanctions. Les modifications proposées faciliteront davantage les mesures d’interdiction et de mise en application des sanctions imposées de façon multilatérale. Ne vous méprenez pas. Les modifications proposées permettront d’améliorer la capacité du Canada à identifier et à arrêter les ressortissants étrangers visés par des sanctions avant qu’ils ne viennent au Canada.

Dans l’éventualité où certains individus visés par une interdiction de territoire pour motif de sanctions parviendraient malgré tout à notre frontière, des agents délégués de l’Agence des services frontaliers du Canada auront le pouvoir d’ordonner immédiatement leur expulsion dès leur arrivée au point d’entrée.

Il importe de noter, comme je l’ai dit précédemment, que l’interdiction de territoire pour cause de sanctions est le mécanisme le plus efficace pour identifier le plus tôt possible les personnes interdites de territoire tout au long du continuum des voyages et les empêcher d’obtenir un visa pour le Canada en premier lieu.

Bien que d’autres dispositions d’interdiction de territoire puissent s’appliquer à certaines personnes visées par des sanctions, il ne faut pas présumer que toutes les personnes visées par des sanctions sont également interdites de territoire pour d’autres motifs. De plus, d’autres motifs d’interdiction de territoire potentiellement pertinents, comme la perpétration de crimes de guerre, nécessitent une enquête approfondie, une analyse au cas par cas et des audiences devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avant qu’ils ne puissent être appliqués et avoir des conséquences.

On ne s’attend pas à ce que tous les individus sanctionnés soient, dans les faits, également considérés interdits de territoire pour d’autres motifs prévus dans la LIPR. À moins qu’il n’y ait dans la LIPR un motif clair et précis d’interdiction de territoire qu’on puisse invoquer contre un individu, les agents de l’immigration et des services frontaliers n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de refuser l’entrée au Canada. Par conséquent, les modifications proposées sont essentielles pour assurer une concordance cohérente entre l’interdiction de territoire et les sanctions.

Cette mesure propose également d’autres modifications spécifiques. Elle vise par exemple à corriger une incohérence créée par le projet de loi S-226 dans la politique concernant les réfugiés. La loi de Sergueï Magnitski fait en sorte que les ressortissants étrangers interdits de territoire ne peuvent pas présenter une demande d’asile. Cependant, les sanctions multilatérales, comme celles imposées aux termes de la Loi sur les Nations Unies, n’entraînent pas la même conséquence dans la LIPR.

Dans le même ordre d’idées, aux termes de la Convention sur les réfugiés, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ne considère pas les sanctions comme une raison suffisante pour justifier l’exclusion du bénéfice de la protection à titre de réfugié. Les modifications proposées corrigent cette asymétrie et permettent à tous les individus faisant l’objet de sanctions de demander l’asile, ce qui respecte les obligations internationales du Canada. Toutefois, les ressortissants étrangers interdits de territoire pour sanctions qui obtiennent le statut de réfugié ou de personne protégée ne pourraient pas devenir résidents permanents tant qu’ils font l’objet de sanctions.

Le mépris des conventions internationales et des principes fondamentaux des droits de la personne des individus visés par des sanctions ne servira pas leurs intérêts.

Nous devons respecter des normes plus strictes. Or, le projet de loi S-8 fera en sorte qu’il sera plus facile de tenir ceux qui violent les droits de la personne hors du Canada. Il s’agit là d’une approche ferme, mais équilibrée.

Par ailleurs, si une personne interdite de territoire en raison de sanctions était visée par des mesures de renvoi, elle pourrait demander un examen des risques avant renvoi afin de pouvoir bénéficier d’une juste évaluation des risques auxquels l’expose un renvoi du Canada.

Comme les sanctions sont le reflet direct des politiques gouvernementales, d’autres modifications sont proposées dans le but de réduire les moyens de contourner l’interdiction de territoire pour sanctions prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Je crois que la levée des sanctions permet d’en éviter les conséquences. C’est pourquoi le projet de loi prévoit accorder au ministre le pouvoir de prendre des mesures de renvoi en raison de l’interdiction de territoire pour sanctions. De plus, selon les modifications proposées, les personnes interdites de territoire pour sanctions ne pourraient interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration ou présenter une demande de résidence permanente pour motif d’ordre humanitaire.

Toute demande de recours liée à des sanctions devrait être adressée à l’entité qui a imposé les sanctions. Par exemple, les personnes qui sont interdites de territoire en raison de sanctions imposées par le Canada pourraient demander au ministre des Affaires étrangères d’être retirées de la liste, comme le permet le régime des sanctions. De plus, comme c’est le cas de toutes les décisions prises en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour fédérale sera toujours habilitée à mener une révision judiciaire des déterminations d’interdiction de territoire pour sanctions.

Ce projet de loi propose des modifications corrélatives à la Loi sur les mesures d’urgence et à la Loi sur la citoyenneté afin de maintenir et de clarifier les pouvoirs actuels concernant l’interdiction de territoire des personnes visées par des sanctions dans ces lois.

Honorables sénateurs, maintenant, plus que jamais, nous devons tâcher d’harmoniser le régime de sanctions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec celui de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Les modifications que propose ce projet de loi sont une mesure que le Canada se doit de prendre pour sanctionner fermement les ressortissants étrangers qui font partie du régime russe, qui sont d’importants alliés du régime, ou qui enfreignent les droits de la personne de la même façon.

Ce projet de loi donnera au Canada des pouvoirs bien nécessaires pour mieux arrimer les sanctions gouvernementales et les pouvoirs nécessaires afin que nos agents de l’immigration puissent refuser l’accès au Canada. Il nous permettra aussi de contribuer à des mesures concertées avec nos partenaires internationaux.

Chers collègues, aucune autre solution que celle de modifier les lois ne permettra d’harmoniser parfaitement les sanctions contre les ressortissants russes et l’interdiction de territoire.

Le projet de loi dont est saisi le Sénat aujourd’hui offre une approche globale et prudente qui permettrait au gouvernement de réagir à l’agression perpétrée par le régime russe avec des sanctions appropriées en matière d’immigration. Il indiquera clairement que le vaste régime de sanctions du gouvernement du Canada a des implications graves non seulement du point de vue économique, mais aussi du point de vue de l’immigration et de l’accès au Canada.

J’exhorte le Sénat à faire progresser l’étude de ce projet de loi le plus rapidement possible pour qu’il soit renvoyé au comité. Merci.

 

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