L’honorable Michèle Audette : Merci à mes deux collègues de s’exprimer sur un sujet qui est complexe, sur une partie de l’histoire du Canada qui est complexe, mais qui est encore très palpable pour la plupart des peuples autochtones.
Je suis fière d’être moitié Innue et moitié Québécoise. Je le sens au quotidien. Mon fils fait partie du peuple Gitxsan, qui est voisin du peuple haïda. J’ai été accompagnée par une grand-mère spirituelle pendant l’enquête nationale, soit Bernie William Poitras, qui vient de cette grande nation, qui est une douce guerrière issue d’une lignée familiale depuis des millénaires, qui est une matriarche, mais aussi une cheffe héréditaire.
Vous comprendrez que ma position — je vais le faire avec douceur et avec amour — est de nous rappeler collectivement que la réconciliation est un bout de vérité que nous seuls, les peuples autochtones, pouvons détenir. Par la tradition orale, nous la partageons depuis des décennies, depuis des siècles. Je me dois de nous rappeler collectivement à quel point il est important de signer ces ententes. Le droit à l’autodétermination est la première chose que j’avais lorsque je suis arrivée dans cette Chambre. J’avais un médaillon fait avec une peau de caribou où on pouvait lire « éducation, justice, droit à l’autonomie gouvernementale ». C’est très important.
En même temps, rappelons-nous que, dans ce même espace, le colonialisme nous a fait mal — surtout aux femmes autochtones. Ma mère, en épousant le plus beau Québécois, a été expulsée de son territoire. C’est la même chose pour les langues et ainsi de suite. Ce sont toutes des choses que l’on apprend au fil du temps.
Le mois de février est le mois de l’amour, mais il est aussi, pour les familles qui ont perdu un être cher, un moment où l’on réfléchit. Ce mois est pour ceux et celles qui ont perdu une sœur, un frère, une maman, et cetera. En février dernier, j’étais sur le territoire de ces matriarches, dans le Nord de la Colombie-Britannique. Elles m’ont saisie pour me dire : « Ce projet de loi va nous faire mal, parce qu’on ne nous a pas écoutées. » Je leur ai exprimé dans mes mots à moi qu’en même temps, 50 ans plus tard, il faut aller de l’avant, même si ce n’est pas parfait, même si ce n’est pas ce qu’on aurait espéré comme peuple, comme société ou comme pays. Alors, comment pouvaient-elles se faire entendre? Elles ont essayé de se faire entendre dans le cadre de nos structures ici, au sein du Sénat, mais leur voix n’a pas résonné. Elle n’a pas résonné pour toutes sortes de raisons. Je prends la parole pour elles aujourd’hui. Cinquante ans de colonialisme et de débat pour ce beau grand peuple haïda, pour enfin arriver à quelque chose.
Rappelons-nous que ces femmes ont 12 000 ans de droits, de règles, de protocoles et de fierté pour leur peuple. Je me suis souvent fait dire par des membres de gouvernements que j’ai rencontrés ici : « Oui, mais c’est entre vous, tout cela. Il faut que cela se règle entre vous. » Ce n’est pas entre nous qu’on a imposé une loi coloniale.
Vous comprendrez que je vais m’abstenir, mais vous, dans le plus profond de votre cœur, dans vos valeurs à vous, vos croyances, si vous voulez soutenir cette initiative, cela vous appartient, et tant mieux. Je ne vous demande pas de rester avec moi à ce sujet, mais comprenez bien que les prochaines nations qui témoigneront devant nos comités, pour qu’on puisse adopter avec elles des projets de loi pour assurer leur pleine autonomie… Rappelez-vous toujours qu’il y a des voix silencieuses que l’on doit entendre. C’est notre responsabilité.
Il y a tant de voix que nous connaissons qui pensent faire du bien. Je suis l’une d’entre elles, bien sûr. Je pense avoir fait preuve de diligence raisonnable. Au sein de leur propre nation, de la même nation, il y a probablement un groupe de voix que nous devons faire entendre au comité. J’espère donc que vous comprenez ma décision de m’abstenir parce qu’il y a des voix qui n’ont pas été entendues. Disons que le prochain projet de loi ou le prochain […] concerne ma nation. Même là, j’aurais hâte que ses membres viennent ici pour que je leur pose les mêmes questions : Qu’en est-il des femmes autochtones? Où sont-elles? Prennent-elles part au processus? Ont-elles rêvé de cette vision que vous avez et que vous nous présentez au Sénat? Ont-elles participé avec vous à la rédaction de cette mesure législative ou à la création de cette vision?
Nous devons faire preuve de diligence raisonnable. Nous avons cette responsabilité. Je remercie toutes les personnes ici présentes qui ouvrent leur esprit et leur cœur à cette initiative, mais n’oublions pas que beaucoup d’entre nous ne peuvent pas venir obtenir des réponses ou exposer ou révéler la vérité. Merci.