Troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir) – Sen. Cordy

Par: L'hon. Jane Cordy

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L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

Comme l’a dit le sénateur Munson hier soir, il n’est pas toujours facile de parler de l’aide médicale à mourir. J’ajouterais que beaucoup de gens sont mal à l’aise avec l’idée générale de la mort et, en particulier, avec l’aide médicale à mourir.

Je tiens d’abord à remercier mes collègues des propos réfléchis qu’ils ont tenus sur ce projet de loi. Des collègues ont raconté des récits personnels très émouvants et ont inspiré de nombreux échanges invitant à la réflexion, en s’appuyant sur leur expérience, leur conscience et leur étude du projet de loi, sans oublier les consultations qui ont été menées sur le sujet. Les débats se sont concentrés sur des questions fondamentales : la préservation de l’autonomie personnelle et la protection de la vie, en particulier celle des personnes les plus vulnérables de notre société. Je remercie tout particulièrement la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc, qui a fait un excellent travail. Je remercie aussi la vedette, le champion et l’expert du groupe progressiste, le sénateur Dalphond, qui a répondu patiemment à toutes les questions de notre caucus sur le projet de loi C-7.

Le Sénat a une longue histoire de débats réfléchis sur les questions de mort et de fin de vie, notamment sur l’aide médicale à mourir, les soins palliatifs et la protection des Canadiens vulnérables, ainsi que sur les droits individuels et collectifs garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, le rapport final De la vie et de la mort que le Comité spécial du Sénat sur l’euthanasie et l’aide au suicide a publié en juin 1995 portait sur les mêmes questions. À l’époque, les sénateurs, tout comme la population canadienne, étaient profondément divisés sur le sujet de l’aide médicale à mourir. Cela dit, les sénateurs étaient unanimes en ce qui concerne la nécessité de protéger les Canadiens vulnérables, d’accroître la disponibilité des soins palliatifs intégrés pour soutenir les personnes en fin de vie et de reconnaître les directives médicales anticipées pour guider les mandataires chargés de prendre les décisions au sujet de la santé d’un être cher qui n’a plus la capacité de le faire.

Honorables sénateurs, cette étude date de 1995, il y a plus de 25 ans. Ce rapport sénatorial de 1995 a eu une incidence durable à plusieurs égards. C’était le premier rapport national à présenter un glossaire uniforme de termes, qui a ensuite été utilisé dans des cours sur l’éthique médicale et le droit de la santé. Il a mené à plusieurs initiatives nationales visant à améliorer les soins palliatifs et à reconnaître la planification préalable de soins. Il a aussi entraîné la mise en place d’importantes mesures de soutien comme le programme de prestations de compassion du régime d’assurance-emploi. Par ailleurs, et c’est peut-être le plus important, le rapport a ouvert la voie à un débat national qui s’est poursuivi pendant de nombreuses années. En fait, bon nombre des mesures de sauvegarde requises pour l’aide médicale à mourir, qui étaient décrites dans le rapport de 1995, font partie des mesures de sauvegarde actuelles dans le Code criminel.

En juin 2016, 21 ans après le rapport de 1995, le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), a décriminalisé l’aide médicale à mourir. Le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis cherche essentiellement à supprimer la mort raisonnablement prévisible comme critère d’admissibilité, et il donne suite à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon. Le projet de loi a évolué grâce à de vastes consultations auprès des Canadiens. Honorables sénateurs, ceux d’entre nous venant de la Nouvelle-Écosse connaissent très bien l’histoire d’Audrey Parker.

En tant que parlementaires, peu importe nos croyances et nos sentiments concernant l’aide médicale à mourir, nous devons représenter les Canadiens, qui ont des opinions et des idées variées au sujet de cet enjeu. Les tribunaux ont décidé que l’aide médicale à mourir était un droit pour les Canadiens et, en tant que législateurs, nous devons respecter cette décision et aborder la question et le projet de loi en conséquence. Notre tâche est de nous assurer que le projet de loi répond aux exigences établies dans l’arrêt Truchon, qu’il respecte les droits des individus et protège adéquatement les plus vulnérables d’entre nous.

Dans les efforts que nous déployons pour protéger les plus vulnérables de la société, le défi est de nous assurer que l’aide médicale à mourir ne devienne pas une solution de rechange ni une solution par défaut que les personnes choisissent parce qu’ils n’ont pas d’accès équitable et rapide à des mesures adéquates pour alléger leurs souffrances. Nous devons nous assurer que la pauvreté, l’itinérance, le racisme systémique ou le manque de soins pour les personnes handicapées et de soins de santé ne poussent personne à croire que l’aide médicale à mourir est la seule solution.

Comme l’a expliqué le 23 novembre 2020 la Dre Neilson, présidente de l’Association des psychiatres du Canada, devant le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lors de l’étude préalable du projet de loi C-7 :

[…] l’accès équitable à des services cliniques est une mesure de protection essentielle pour faire en sorte que les gens ne demandent pas l’aide médicale à mourir en raison d’une absence de traitements, de mesures de soutien ou de services offerts et comme option de rechange à la vie.

D’autres témoins ayant comparu au comité sénatorial ont souligné à quel point les déterminants sociaux de la santé, notamment la pauvreté et l’impossibilité d’avoir un logement adéquat, ont d’importantes répercussions négatives sur l’accès satisfaisant à des soins palliatifs ou à d’autres types de soins de santé. Ainsi, les solutions de rechange à l’aide médicale à mourir pourraient ne pas être accessibles aux personnes les plus marginalisées. En tant que parlementaires, nous avons un défi à relever, car bon nombre des soutiens sociaux, économiques et de santé relèvent de la compétence provinciale. Cependant, cela ne veut pas dire que nous n’avons aucune responsabilité à assumer à cet égard.

Nous savons qu’il y a une pénurie de services dans de nombreuses régions au Canada. Dans beaucoup de collectivités, ce sont surtout les personnes handicapées qui doivent composer avec cette réalité. La crise qui sévit actuellement dans les quatre coins du pays en raison du manque de logements abordables a fait en sorte qu’un nombre accru de Canadiens doivent vivre dans des logements inadéquats ou dangereux, que de jeunes handicapés doivent habiter dans des foyers de soins de longue durée avec des gens beaucoup plus vieux qu’eux et qu’il y a un manque de logements supervisés et de soutiens communautaires au Canada.

Un témoin ayant comparu devant le comité, Jonathan Marchan, président de la Coop ASSIST, coopérative panquébécoise qui s’adresse aux personnes handicapées qui souhaitent accéder à une vie autonome, a affirmé que « la mort sans dignité n’existe pas sans la vie dans la dignité ». Il a ajouté ceci :

Il ne peut y avoir de mort dans la dignité, ni de liberté de choix tant que nous sommes forcés de vivre dans des établissements, qu’on nous fait sentir comme des fardeaux, tandis que nous sommes victimes de discrimination et de violence systémique à tous les niveaux.

L’accès à l’aide médicale à mourir représente un changement sociétal fondamental, et comme avec tout changement de cette envergure, nous devons mener un examen approfondi afin de veiller à ce que l’objectif législatif soit bel et bien atteint. C’est particulièrement le cas que lorsqu’il s’agit de changements fondamentaux qui ont des conséquences irréversibles. Il ne s’agit donc pas d’un débat abstrait sur les droits, mais d’un débat à dimension très humaine qui a une incidence sur la vie de nos voisins, de nos amis, des membres de notre famille et de nos concitoyens en général.

Honorables sénateurs, nous devons remédier aux lacunes dans les données recueillies et déterminer les répercussions néfastes que le régime actuel de l’aide médicale à mourir peut avoir sur les membres les plus vulnérables de notre société. Nous devons nous efforcer de mieux comprendre la portée des services offerts aux bénéficiaires de l’aide médicale à mourir et de savoir si ces services sont adéquats. Par exemple, nombreux sont ceux, y compris parmi les fournisseurs de soins de santé, qui pensent que les soins palliatifs ne sont disponibles que dans les derniers mois et les dernières semaines de la vie d’un patient, lorsque le traitement curatif n’est plus accessible. Par conséquent, on a souvent recours trop tard aux soins palliatifs, ce qui limite la capacité de ces soins à prévenir et à soulager les souffrances. Lorsqu’à l’inverse, on adopte une approche palliative des soins, on peut aider les patients à un stade précoce de leur maladie. Une telle approche peut être employée dès le diagnostic, au moment où le patient peut avoir encore plusieurs années à vivre.

Selon le Premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada, qui a été publié en juillet 2020, 82 % des personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir en 2019 ont déclaré avoir reçu un certain niveau de soins palliatifs. Cependant, 31,4 % des personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir ont reçu des soins palliatifs pendant moins d’un mois, dont la moitié pendant moins de deux semaines, et 16,2 % n’ont reçu aucun service de soins palliatifs. De plus, selon le rapport, les données ne traitent pas du caractère adéquat des services offerts. Ces personnes ont-elles été dirigées vers des services suffisamment tôt dans leur maladie? Les services diffèrent d’une région à l’autre au Canada, les régions rurales et éloignées n’ayant souvent pas le même niveau d’accès aux services. Les temps d’attente peuvent varier considérablement d’un bout à l’autre du pays. Quelle a été l’incidence de cette réalité sur la décision des personnes qui ont demandé l’aide médicale à mourir? Les services ont-ils été offerts en tenant compte des particularités culturelles? Avons-nous suffisamment veillé à offrir les mesures d’aide nécessaires pour garantir que la décision de demander l’aide médicale à mourir soit réellement fondée sur un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause?

Honorables sénateurs, nous avons besoin d’autres données pour veiller à ce que les dispositions assurent une protection adéquate. Je suis particulièrement frappée par la nécessité de mieux comprendre les effets de l’amendement de la sénatrice Wallin en matière de consentement préalable. Bien sûr, je suis en faveur de la planification préalable des soins et du processus qui permet d’établir qui parlera en mon nom quand je ne pourrai plus le faire moi-même. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon intervention sur cet amendement, je crois que nous devons étudier davantage la question pour comprendre le lien entre les directives prévues dans la planification préalable des soins et le consentement préalable à l’aide médicale à mourir.

Bien que j’aie voté contre l’amendement de la sénatrice Wallin, je respecte son travail soutenu dans le dossier de la démence. Ainsi, je salue la motion d’amendement du sénateur Tannas demandant qu’un examen complet des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et de l’application de celles-ci soit fait par le comité mixte constitué à cette fin par les deux chambres du Parlement dans les trente jours suivant la date de sanction. Il devait y avoir un examen parlementaire du projet de loi C-14, qui n’a malheureusement pas eu lieu. L’adoption du projet de loi ne devrait pas mettre un terme aux débat et discussions sur l’aide médicale à mourir. J’espère que l’autre chambre acceptera cet amendement.

Que l’autre endroit accepte ou non l’amendement du sénateur Tannas, je pense que le Sénat devrait entamer une étude plus approfondie de ce projet de loi, comme l’a proposé le sénateur Gold. Comme je l’ai dit au début de mon intervention, le Sénat contribue depuis longtemps à la politique publique en la matière. Ayant été membre de plusieurs des comités qui ont étudié ces questions, j’ai pris la parole à plusieurs reprises pour signifier mon ferme soutien aux efforts de ceux qui travaillent pour aider les Canadiens mourants à bien vivre jusqu’à la fin de leur vie, qu’ils aient ou non choisi l’aide médicale à mourir.

Honorables sénateurs, j’appuierai le projet de loi C-7. Je le ferai pour respecter le souhait de ceux qui choisissent de recevoir l’aide médicale à mourir dans le cadre de ce que je considère être un système d’évaluation rigoureux qui leur permettra de mourir dans la dignité. À l’instar de la sénatrice Moodie, je crois que l’aide médicale à mourir est un sujet qui sera très débattu et très contesté pendant bien des années encore. Je crois également que les contestations judiciaires liées à l’aide médicale à mourir seront plus nombreuses dans les années à venir.

Honorables sénateurs, je vous remercie de vos nombreux témoignages passionnés et personnels. Je les ai écoutés attentivement. En fait, j’en ai relu beaucoup. Vous avez tous été à la hauteur du sérieux que méritent ces mesures législatives. Merci.

Des voix : Bravo!

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