Troisième lecture du projet de loi C-30, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (majoration temporaire du crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée)

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East and West block of Parliament, Ottawa

L’honorable Diane Bellemare : Chers collègues, je vais tenter d’être brève, mais je tiens à m’exprimer dans le cadre de la troisième lecture du projet de loi C-30. Avant de commencer, j’aimerais féliciter tous mes collègues qui ont parlé avant moi de ce projet de loi de nature budgétaire. Les discours ont tous été très intéressants et ont soulevé d’importantes questions. Je partage plusieurs des préoccupations soulevées, en particulier celles qui ont trait à l’absence d’une étude approfondie en comité de ce projet de loi.

Comme je l’ai dit à la ministre Freeland lors du comité plénier, je vais voter pour ce projet de loi. Néanmoins, j’aimerais partager avec vous certaines préoccupations qui pourraient faire l’objet d’études plus approfondies à l’avenir. Mes commentaires visent à poser un regard critique, néanmoins constructif, sur la stratégie du gouvernement pour faire face à cette période d’inflation.

Plusieurs collègues qui ont pris la parole hier lors de la deuxième lecture ont rappelé le diagnostic que posent les experts quant aux causes de l’inflation que nous connaissons depuis maintenant plus d’un an. Toutes les grandes institutions internationales de recherche comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les banques centrales comme la Banque du Canada, ainsi que les experts de la macroéconomie que le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie entend depuis quelques semaines au sujet de l’état de l’économie, s’entendent pour attribuer les causes de l’inflation à des problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement.

En d’autres mots, l’inflation actuelle est un problème d’offre plutôt qu’un problème de demande. Ainsi, n’eussent été des perturbations que l’on connaît depuis 2020 dans les chaînes d’approvisionnement, il n’y aurait pas d’inflation au-delà des cibles visées par la banque centrale.

L’offre de biens et services a été perturbée par un ensemble de facteurs, comme l’arrêt temporaire de la production causé par la pandémie, par la guerre en Ukraine ainsi que par des considérations climatiques particulières qui ont contribué à réduire la production de certaines denrées. Nous osons tous espérer que ces facteurs sont de nature temporaire, c’est pourquoi les banques centrales ont affirmé que l’inflation serait temporaire.

L’OCDE, dans son dernier rapport daté de septembre 2022, affirme toujours que les causes de l’inflation sont temporaires. Selon les perspectives économiques de l’OCDE, l’inflation frappe l’économie mondiale et s’est généralisée au-delà des secteurs de l’alimentation et de l’énergie, mais elle va fléchir. Cependant, certains problèmes d’approvisionnement, principalement en gaz, pourraient perdurer en raison du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Pour l’instant, comme le confirment les banques centrales, les anticipations inflationnistes ne se sont pas emballées. Les témoins que nous avons entendus jusqu’à ce jour au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie confirment qu’il n’y a pas d’inflation salariale au Canada.

Toutefois, malgré le fait qu’on puisse penser que l’inflation que l’on connaît est temporaire, les prix qui ont augmenté risquent de demeurer à leur niveau le plus élevé. En d’autres mots, même si la hausse des prix se stabilise, ceux-ci seront plus élevés que par le passé. Il faudra beaucoup de concurrence sur les marchés pour que les prix redescendent. Comme les salaires augmentent dans plusieurs secteurs pour maintenir le pouvoir d’achat, la baisse des prix devient moins probable. Bref, quand l’inflation se stabilisera, ce sera à un niveau de prix plus élevé. J’insiste là-dessus. Vous verrez pourquoi.

L’inflation fait des perdants, notamment parmi les citoyens les plus vulnérables, qui ont généralement des revenus fixes. Le projet de loi C-30 s’adresse aux personnes et familles dont les revenus augmentent peu et qui peinent à joindre les deux bouts. Toutefois, l’inflation fait aussi des gagnants. Parmi ces gagnants, on retrouve les gouvernements, notamment le gouvernement fédéral, dont les revenus augmentent en raison de l’inflation. C’est le cas des revenus issus de la taxe sur les produits et services qui ont augmenté de manière importante et, fort probablement, de manière permanente.

J’aimerais maintenant parler des stratégies préconisées par l’OCDE et les experts afin de traverser cette période temporaire d’inflation. La principale mesure suggérée est la réduction de la demande globale dans le but d’atténuer les pressions exercées sur les prix causées par des problèmes d’offre. C’est pourquoi les autorités comme l’OCDE et le Fonds monétaire international préconisent une hausse des taux d’intérêt afin de réduire la demande et ainsi d’alléger la pression exercée sur les prix. C’est justement ce que fait la Banque du Canada et la plupart des banques centrales.

De plus, ces mêmes organismes proposent l’adoption de mesures temporaires de transfert de revenus pour soutenir le pouvoir d’achat des personnes à faible revenu. C’est exactement ce que font le gouvernement fédéral, la banque centrale du Canada et bien des gouvernements. Le projet de loi C-30 s’inscrit donc dans la logique des recommandations de l’OCDE.

Cette stratégie est-elle vraiment efficace? Y a-t-il d’autres solutions?

Plusieurs commencent à douter de l’efficacité de cette stratégie. Différents instruments existent pour réduire temporairement la demande, et la politique monétaire n’est pas le seul instrument. Dans un contexte d’inflation causée par des problèmes de chaînes d’approvisionnement qui perdurent, l’utilisation de la politique monétaire peut être très coûteuse. Cette approche s’apparente au recours à une chimiothérapie agressive pour traiter un cancer localisé à un stade peu avancé, ce qui risque de tuer le patient.

Plusieurs économistes considèrent cette stratégie comme étant dangereuse. Les témoins qui ont témoigné au Comité permanent des banques, du commerce et de l’économie nous ont fait part de leurs doutes. David Dodge, ex-gouverneur de la Banque du Canada, a clairement affirmé qu’à moyen terme, il fallait se concentrer sur l’augmentation de l’offre et a reconnu qu’à court terme, des mesures fiscales pourraient aussi aider à réduire la demande.

Le professeur Trevor Tombe, de l’Université de l’Alberta, que le sénateur Woo a cité, remet également en question les effets pervers des taux d’intérêt pour enrayer une inflation causée par des problèmes d’offre. Selon son étude et d’autres études semblables qu’il a citées, la hausse du taux d’intérêt peut causer des effets boomerang sur le taux d’inflation. L’économiste Jim Stafford a également partagé ses inquiétudes quant à l’utilisation de la politique monétaire pour enrayer l’inflation.

En fait, une hausse rapide et substantielle des taux d’intérêt peut réduire la demande, mais elle peut aussi exacerber la hausse du prix des loyers et d’autres prix et services. Elle pourrait même nuire à la capacité de notre système de production de résoudre les problèmes d’offre et de soutenir les investissements nécessaires liés aux changements climatiques. Selon David Dodge, le seul avantage du recours à la politique monétaire pour réduire la demande, c’est qu’elle est rapide. Elle dégage également les élus de cette responsabilité.

Quant aux mesures provisoires de soutien des revenus des ménages préconisées également par l’OCDE, elles sont par définition temporaires. On peut même s’interroger sur leur effet thérapeutique réel pour les plus vulnérables, lorsqu’on sait que de nombreuses personnes ne font pas de déclaration de revenus et ne peuvent en bénéficier. Ces mesures sont néanmoins bien visibles d’un point de vue politique et leur coût est temporaire.

J’ai consulté les derniers rapports financiers du ministère des Finances, notamment La revue financière de mars 2022. Pour l’année 2021-2022, les revenus de la TPS atteignent 45,5 milliards de dollars, soit une hausse de 48,9 % par rapport à l’année précédente. Évidemment, l’inflation n’est pas la seule cause de cette augmentation de revenus et elle s’explique également par un retour à la normale de la consommation post-COVID.

En revanche, si on compare l’année 2021-2022 aux années précédant la pandémie, on constate néanmoins une hausse importante des revenus issus de la TPS. Les tableaux de référence financiers publiés annuellement indiquent que, pour l’année financière 2019-2020, soit l’année qui précède l’arrivée de la COVID, les revenus de la TPS atteignaient 37,4 milliards de dollars, et, bon an mal an, les revenus étaient semblables au cours des cinq années précédentes.

Lorsqu’on compare les années pré-COVID à l’exercice financier qui s’est terminé en mars 2022, on constate une augmentation de revenus pour le gouvernement fédéral de 8,1 milliards de dollars ou de 21,7 %. Cette augmentation sera permanente. Lorsque l’inflation se stabilisera, les revenus de la TPS augmenteront moins rapidement, mais ils demeureront élevés, car les prix, eux, ne diminueront pas.

Dans une telle perspective, le projet de loi C-30, qui, selon l’étude du Bureau du directeur parlementaire du budget, propose une aide temporaire d’une valeur de 2,6 milliards, constitue une mesure bien sobre par rapport aux revenus qu’a engrangés le gouvernement au chapitre de la TPS. Le gouvernement aurait pu en faire davantage en rendant l’aide permanente, car les revenus des groupes vulnérables n’augmentent pas, et les prix ne diminuent pas. Ainsi, le gouvernement aurait pu réduire temporairement la TPS d’un montant équivalant à l’accroissement des revenus. Une baisse de la TPS aurait eu un effet sur l’inflation, car elle aurait permis une baisse du coût du panier de consommation.

La France, comme d’autres pays européens, a fait le choix de réduire les tarifs et les prix de l’électricité et du gaz. Selon une étude de l’Institut national de la statistique de France, cette mesure a permis de réduire le taux d’inflation de trois points de pourcentage, passant d’un taux d’inflation de 8 % à 5,1 %. Il s’agit d’une mesure importante.

Somme toute, le gouvernement fédéral a suivi les recommandations de l’OCDE, qui suggère l’adoption de mesures temporaires de soutien du revenu plutôt qu’une réduction de taxes. Cependant, est-ce suffisant pour les ménages canadiens moins nantis qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts? Je n’en suis pas certaine.

Par ailleurs, ce sont ces mêmes groupes à faible revenu qui subiront une large part des coûts économiques de la politique monétaire, parce qu’il faut le dire. La politique monétaire baisse les taux d’intérêt, mais elle engendre d’autres coûts.

Comme vous le savez, la politique monétaire du Canada ralentira l’économie alors que le ralentissement est déjà amorcé. C’est déjà le cas aux États-Unis où, techniquement, on connaît déjà deux trimestres consécutifs de contraction de la production. Ce sont généralement les groupes les plus vulnérables qui font les frais d’un ralentissement économique. Vous le savez, un ralentissement économique est accompagné de pertes d’emplois. Les prestations de l’assurance-emploi augmentent et, encore là, ce sont les travailleurs à plus faibles revenus ainsi que les petites entreprises qui, proportionnellement, paient beaucoup plus que les autres groupes les frais de l’assurance-emploi. Est-ce équitable? Poser la question, c’est y répondre.

Enfin, tout comme d’autres sénateurs et à l’instar de la sénatrice Dupuis, j’aurais aimé connaître les études du gouvernement qui ont amené celui-ci à choisir la stratégie actuelle. J’aurais aimé connaître les impacts régionaux et les impacts de l’analyse comparative entre les sexes plus d’une telle stratégie. Somme toute, mes commentaires visent à mettre en doute l’information que l’on reçoit des organismes au sujet de la lutte contre l’inflation et à favoriser plus de créativité à l’avenir.

Bien qu’on ait pu faire mieux, je voterai en faveur du projet de loi C-30, parce que des familles en ont besoin. Toutefois, je crois que les mesures budgétaires comme le projet de loi C-30 ne sont qu’un analgésique de courte durée pour soulager les effets d’un problème qui nécessite l’adoption de mesures stratégiques du côté de l’offre, pour faire face de manière responsable et durable aux problèmes d’approvisionnement. J’exhorte le gouvernement à nous montrer sa stratégie du côté de l’offre.

Je vous remercie de votre écoute. Meegwetch.

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