Troisième lecture du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Par: L'hon. Marty Klyne

Partager cette publication:

Centennial flame, Ottawa

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole depuis Regina, en Saskatchewan, sur le territoire visé par le Traité no 4, au cœur de la nation métisse.

Chers collègues, récemment, j’ai regardé l’émission Your Morning à CTV pendant laquelle on interviewait Randell Adjei, le premier poète officiel de l’Ontario, qui a été nommé ce printemps. Cet artiste et poète de renom a publié son premier recueil de poésie, intitulé I Am Not My Struggles, en 2018.

Pendant l’entrevue, M. Adjei a parlé d’un des vers de son poème intitulé Brokenness :

Un des vers se lit comme suit : « Si vous ne savez pas ce que c’est que d’être brisé, comment saurez-vous reconnaître la plénitude? Si vous n’avez jamais été brisé, comment saurez-vous mesurer votre croissance? »

J’ai trouvé le poème et je l’ai lu au complet et il m’a touché. Il m’a fait penser au projet de loi C-15 et à la défense des droits des peuples autochtones. Pendant l’entrevue en question, M. Adjei a affirmé que ce poème était :

[…] réellement un rappel pour tous que, peu importe ce que nous vivons […] les difficultés nous définissent. [Il a dit croire] que les difficultés ont pour objectif de nous préparer à ce que nous vivrons plus tard et qu’elles bâtissent notre résilience.

Honorables sénateurs, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones améliore le sort de nombreux peuples opprimés dans le monde. Les injustices du colonialisme et du racisme et les conséquences intergénérationnelles qu’ils entraînent ont été vécues par de nombreux peuples. À mon sens, les mots de M. Adjei s’appliquent aux difficultés vécues par trop de peuples autochtones au Canada et nous montrent que les choses doivent changer.

Le poème me rappelle également que le projet de loi C-15 n’est pas l’œuvre de la bienveillance du gouvernement. La mesure législative est plutôt le fruit de décennies de luttes populaires et d’efforts de la part des Autochtones, d’une organisation politique, de poursuites judiciaires, de manifestations, de commissions, d’enquêtes, de témoignages de survivants et de gains progressifs.

De cet héritage, le projet de loi C-15 incarne une longue et difficile campagne pacifique de pression morale menée par les Autochtones et leurs alliés pour faire respecter nos droits de la personne au Canada, comme ils auraient toujours dû l’être.

Plus récemment, le projet de loi C-15 découle de la détermination d’un député et législateur cri, M. Romeo Saganash, qui a présenté le projet de loi C-262. Ses efforts ont permis de former une coalition de dirigeants, de groupes confessionnels, d’universitaires, de citoyens et de parlementaires anciens et actuels, notamment l’honorable Murray Sinclair et l’honorable Lillian Dyck.

Maintenant, grâce au leadership de la sénatrice LaBoucane-Benson, le temps est venu de terminer cette partie du parcours historique que représentent les dispositions du projet de loi. Le temps est venu d’entreprendre la tâche ardue de bâtir un Canada où la réconciliation n’est pas un rêve, mais une réalité.

La question dont nous sommes saisis, honorables sénateurs, est de savoir si le Sénat dit oui à la réconciliation en adoptant le projet de loi C-15.

Pour certains sénateurs, dire oui à la réconciliation peut signifier reconnaître le droit des Autochtones à l’autodétermination, à la participation et aux terres et aux ressources ancestrales.

Pour d’autres, dire oui à la réconciliation peut signifier admettre le bilan historique et actuel du Canada en matière de violation des droits, y compris le non-respect de traités fondamentaux pour le Canada, la répression de la spiritualité autochtone et les atrocités commises partout au Canada, comme celles à Kamloops.

Pour certains sénateurs ayant des points de vue différents, dire oui à la réconciliation pourrait signifier prendre la décision difficile d’accorder une certaine confiance au gouvernement concernant le plan d’action élaboré conjointement prévu dans le projet de loi C-15, compte tenu de l’historique de violations des droits et de la méfiance permanente.

Bien entendu, j’entends et je respecte les divers points de vue, mais, honorables sénateurs, je vous recommande vivement de dire oui à la réconciliation en appuyant le projet de loi C-15.

Le moment est venu pour l’ensemble des Canadiens d’avancer ensemble en tant que fédération restaurée par les relations de nation à nation, une fédération renouvelée par l’espoir en l’avenir. Le moment est venu, grâce au projet de loi, de donner aux jeunes générations le pouvoir de bâtir un Canada meilleur. Qui plus est, le moment est venu pour nous, sénateurs, de nous montrer à la hauteur de la situation et d’utiliser notre position de parlementaires indépendants pour contribuer à la réussite du plan d’action.

Le Canada ne peut se permettre de laisser passer cette occasion. La nécessité et l’urgence de la réconciliation nous obligent à agir. C’est le moment de le faire.

Compte tenu de l’importance du projet de loi C-15 et du peu de temps qu’il nous reste avant la sanction royale, je vais vous faire part, chers collègues, de trois réflexions sur la voie à suivre.

À mon avis, le Sénat devrait adopter le projet de loi rapidement et sans amendement afin d’éviter tout risque pour le projet de loi. Tout problème peut être résolu au moyen du plan d’action élaboré conjointement et fondé sur les distinctions, avec un examen et un soutien continus du Sénat, surtout au sein du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Pour répondre aux allégations du sénateur Patterson et aux autres personnes qui s’opposent à ce projet de loi, je précise que le projet de loi C-15 n’empêchera pas les nations titulaires de droits d’interagir directement avec le gouvernement si elles le souhaitent, par exemple aux tables de négociation de traités, plutôt que de s’en remettre au plan d’action. Le projet de loi C-15 n’impose aucune obligation aux nations de participer au plan d’action. La participation à ce dernier est volontaire.

Même si des nations pourraient être réticentes par rapport à l’approche du projet de loi C-15, ce n’est pas une raison pour freiner les autres nations qui voudraient y recourir pour faire valoir leurs droits. À mon avis, ce projet de loi est prometteur et utile.

Deuxièmement, au chapitre de la réputation du Sénat, cette institution doit penser aux conséquences de ne pas adopter le projet de loi C-15 ou de nuire indûment à son adoption. Après l’expérience du projet de loi C-262, et maintenant que les Canadiens ont voté en faveur de ce projet de loi dans le cadre des élections fédérales de 2019, le Sénat ne doit pas faire obstacle à la réconciliation. En effet, en appuyant les efforts pour mener à bien le plan d’action, le Sénat devrait travailler encore plus fort pour apporter une contribution positive et de grande valeur.

Troisièmement, le Sénat devrait tenir compte du fait que le projet de loi C-15 aidera à inclure davantage les Autochtones dans l’économie, contrairement à ce que les opposants au projet de loi allèguent. Comme je l’ai mentionné il y a plus de deux ans concernant le projet de loi C-262, j’appuie pleinement l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je ne pourrais penser autrement à la lumière des décennies que j’ai passé à collaborer avec les peuples autochtones du Canada, qui cherchent à améliorer leur avenir en misant sur l’autodétermination tout en conservant, protégeant et, parfois, rétablissant leur héritage culturel et leurs valeurs communautaires.

De nombreuses communautés connaissent un succès considérable qui peut être reproduit ailleurs, notamment au moyen de l’excellent travail des associations nationales d’entreprises autochtones et des organismes nationaux de développement économique des Autochtones.

Sur ce point, je me reporte aux témoignages présentés à la Chambre des communes et au Sénat — plus récemment au Comité des peuples autochtones. Le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, le Conseil national de développement économique des Autochtones et l’Association nationale des sociétés autochtones de financement ont indiqué qu’ils étaient fortement en faveur de l’adoption sans délai du projet de loi C-15.

Fait important, les dirigeants de ces organisations, soit Tabatha Bull, Dawn Madahbee Leach et Shannin Metatawabin, ont souligné la nécessité d’inclure la réconciliation économique dans le plan d’action. Selon eux, la prospérité et la reconnaissance des droits des Autochtones sont inextricablement liées. Ils estiment que l’adoption du projet de loi C-15 enverra un puissant message aux entreprises canadiennes, ce qui contribuera à établir des normes culturelles qui défendent les droits des Autochtones et l’inclusion économique et encouragera le secteur privé à répondre à l’appel à l’action numéro 92 de la Commission de vérité et réconciliation, qui porte sur les entreprises et la réconciliation.

Les mesures concrètes que peuvent prendre le secteur privé incluent l’accès équitable des Autochtones aux emplois, des possibilités de formation et d’éducation supplémentaires en vue d’obtenir une main-d’œuvre représentative qui reflète la démographie du Canada et des formations pour la direction et le personnel des entreprises sur les compétences interculturelles, la résolution des conflits, les droits de la personne et la lutte contre le racisme.

Alors que la responsabilité des entreprises comprend, de plus en plus souvent, des volets consacrés à l’environnement, aux responsabilités sociales et à la gouvernance, et que ces aspects ont de l’importance dans de nombreux marchés boursiers, les connaissances autochtones devraient aussi être reconnues à leur juste valeur et combinées à la science et à la gouvernance d’entreprise de manière à produire des résultats inclusifs et holistiques. Les entreprises devraient acquérir une sensibilité aux attentes de la société et du marché du travail, participer à la réconciliation et faire du Canada un meilleur pays.

Les organismes de développement économique et les entreprises autochtones ont aussi souligné l’importance de la reconnaissance des droits pour la création de réels partenariats d’affaires avec les nations autochtones dans le contexte du développement des ressources, ce qui passe notamment par un rôle de propriétaire, un rôle de gestionnaire, de la formation professionnelle et des engagements en matière d’emploi. Les approches de ce genre peuvent procurer plus de certitude aux investisseurs et réduire les risques de poursuites.

Les organisations en question ont aussi mentionné que le Canada a l’habitude de faire délibérément subir aux peuples autochtones une discrimination économique, ce qu’il a fait notamment en détruisant les économies traditionnelles dans un esprit de colonisation; en empêchant les nations autochtones d’avoir accès aux terres et aux ressources qui leur revient; en imposant des restrictions économiques racistes aux personnes et aux communautés au moyen de la Loi sur les Indiens; en excluant politiquement les Autochtones de l’élaboration des politiques économiques publiques; en adoptant des politiques qui laissent des séquelles, comme celles qui concernent les pensionnats autochtones et les autres programmes d’assimilation, que le Sénat avait l’habitude d’approuver; en sous-finançant les éléments essentiels à un niveau de vie de base, les services communautaires et l’infrastructure; et en laissant aux Autochtones peu d’occasions d’avoir accès à une éducation de qualité, au développement des compétences et au capital.

Beaucoup de gens sont d’avis que, si les traités étaient respectés et concrétisés, les peuples autochtones contribueraient grandement à l’économie canadienne. L’autonomie et l’indépendance de ces peuples leur permettraient de tenir leurs cérémonies, de pratiquer leurs cultures, de s’exprimer dans leurs langues et d’afficher fièrement leur identité comme nations pouvant apporter leur contribution au sein de la fédération. Au lieu de cela, ils doivent mener des campagnes et entamer des poursuites pour faire respecter les traités. Il n’y a pas un traité numéroté qui ne fait pas mention de l’éducation, mais ce n’est que récemment que l’on s’emploie à combler l’écart par rapport au reste du pays en ce qui a trait au financement par élève et à l’accès à l’éducation.

Les politiques précédentes ont créé des obstacles permanents qui empêchent les autochtones de participer pleinement à l’économie canadienne. Je peux très bien comprendre que cela ait empêché ce pays de réaliser son plein potentiel, et je ne parle même pas des injustices que cette situation a créées.

Le gouvernement devrait prendre des mesures concrètes, y compris fournir des ressources et renforcer les capacités, permettre à toutes les nations d’exercer leur droit à l’autodétermination, et leur donner les moyens d’être concurrentielles et de saisir les possibilités qui s’offriront à elles. Sinon, on maintiendra le statu quo; il n’y aura pas d’accès à des services de formation et de perfectionnement de qualité, et les difficultés d’accès au capital continueront de faire obstacle à l’autonomie et à l’indépendance des nations.

Le plan d’action sera essentiel à la réconciliation économique. J’encourage le gouvernement et tous les sénateurs à ne jamais oublier d’inclure les organisations d’affaires autochtones dans la conception des politiques et à étudier les questions économiques en tenant compte du point de vue des Autochtones. On pourra ainsi promouvoir la prospérité des communautés autochtones et de l’ensemble du pays.

En terminant, chers sénateurs, pour garder l’œil sur l’objectif, je vais citer la déclaration de l’honorable Murray Sinclair, qu’il a faite lors de la présentation du projet de loi C-15 en décembre dernier. En tant qu’érudit de l’histoire canadienne et source d’inspiration pour de nombreux sénateurs, moi le premier, le sénateur Sinclair a dit :

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est au cœur même des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. […] À divers égards, l’adoption de ce projet de loi marquera seulement le début du difficile travail de réconciliation, car il faudra rendre de nombreuses lois fédérales conformes aux droits inhérents des peuples autochtones. Tout dépendra de la mise en œuvre. Ce projet de loi représente toutefois un engagement au plus haut niveau de bâtir le Canada qui aurait toujours dû exister et que nous bâtirons maintenant ensemble. […]

Le dépôt par le gouvernement du projet de loi C-15 représente un pas profondément émouvant et encourageant vers la réconciliation. Je suis convaincu que notre pays est désormais engagé dans la bonne voie, et je me réjouis à la perspective de l’adoption de ces mesures législatives. Ce jour qui se dessine aujourd’hui à l’horizon sera une occasion de célébrer.

Honorables sénateurs, le mot « célébrer » est bien choisi. Après la pandémie, nous le mériterons bien. Cette année, après l’adoption du projet de loi C-15, la 154e fête du Canada sera la plus belle à ce jour, quoique sombre et propice à la réflexion à plusieurs égards, à la lumière du poids de la véritable histoire de notre pays. Quoi qu’il en soit, avec cette loi, le Parlement et les Canadiens que nous représentons auront accepté la vérité et accueilli la réconciliation. Chers collègues, cela n’est pas une mince affaire.

J’exhorte les sénateurs d’adopter le projet de loi C-15 dès que possible. Merci. Hiy kitatamîhin.

Partager cette publication: