L’honorable Peter Harder : Merci, Votre Honneur, permettez-moi d’ajouter ma voix à celle de mes collègues pour vous féliciter de votre nomination. Vous avez dit plus tôt que vous aviez de grands souliers à chausser, mais votre prédécesseur n’a jamais porté de souliers à talons hauts.
Avant de commencer, je veux souligner que nous tenons nos délibérations sur le territoire non cédé de la Première Nation algonquine anishinaabeg. Cette reconnaissance est particulièrement à propos, puisque je prends la parole au sujet de l’interpellation récemment lancée par notre collègue le sénateur Klyne, de la Saskatchewan, dont le pseudonyme sur Twitter est @Mister_Regina.
L’objectif de cette interpellation est de mettre en lumière les grandes réussites des entreprises dirigées par des Autochtones dans tout le Canada dont on ne parle pas assez. Je suis ravi que tant de collègues, y compris le sénateur Tannas qui vient de terminer son intervention, abordent cette question du point de vue de leur région.
En tant que sénateurs, je considère que nous sommes membres du plus privilégié des groupes de réflexion au pays et que nous pouvons faire beaucoup pour inspirer les Canadiens autochtones qui souhaitent créer leur propre entreprise ou apporter leur contribution en tant qu’employés, chercheurs, collaborateurs ou autres. Rien que dans ma province, l’Ontario, le répertoire des entreprises autochtones du Canada compte 526 entreprises de tous types et de toutes tailles.
Comme beaucoup d’entre nous le savent, les entrepreneurs qui dirigent une entreprise autochtone se heurtent souvent à des difficultés que les autres entreprises ne rencontrent pas. Compte tenu de cette réalité, on peut être sûr qu’un grand nombre de ces 526 entreprises ont surmonté de grandes difficultés pour arriver là où elles sont. Il serait facile d’en sélectionner une ou deux pour les féliciter. Mais au lieu de me contenter de donner des exemples de ces réussites, j’ai pensé passer un peu de temps à discuter des problèmes que les entreprises autochtones rencontrent pour que le nombre de 526 continue d’augmenter dans cette province.
À propos, comme le sénateur Tannas l’a déjà mentionné, il y a environ 50 000 entreprises autochtones au Canada.
J’aimerais parler un peu de la main-d’œuvre autochtone potentielle de ce pays, qui, comme nous le savons tous, est trop souvent inexploitée et sous-utilisée. Une grande partie des Canadiens autochtones sont jeunes, dynamiques et créatifs, mais nous ne tirons pas le meilleur parti de cette richesse. Dans les milieux d’affaires, la réussite commence bien sûr par l’éducation. Je m’empresse d’ajouter qu’une bonne éducation n’est en aucun cas essentielle pour diriger une entreprise prospère. D’ailleurs, je pense que nous devrions valoriser davantage les métiers au Canada, mais c’est un débat pour un autre jour.
Il se trouve que le pourcentage d’Autochtones ayant obtenu un diplôme d’études postsecondaires continue d’être bien inférieur au reste de la population. Par exemple, en 2016, 52 % des femmes autochtones possédaient un diplôme d’études postsecondaires. Sur ce nombre, 14 % étaient titulaires d’au moins un baccalauréat. En comparaison, 46 % des hommes autochtones possédaient un diplôme d’études postsecondaires, et 8 % d’entre eux étaient titulaires d’au moins un baccalauréat.
Comparez ces chiffres à ceux du reste du Canada, où 67 % des femmes ont obtenu un diplôme d’études postsecondaires, et 32 % sont titulaires d’au moins un baccalauréat. Chez les hommes non autochtones, ces pourcentages ne sont que légèrement inférieurs, s’élevant à 64 % et à 27 % respectivement. Il s’agit là d’écarts importants, et c’est notre pays qui en sort perdant.
Bien que le taux de chômage des Canadiens autochtones en 2022 soit inférieur à celui de l’année précédente, l’écart entre le Canada autochtone et le reste du pays est encore trop important. En 2022, par exemple, 8 % des Canadiens autochtones étaient au chômage par rapport à 5,2 % des Canadiens non autochtones. Cela représente un écart de près de trois points.
Enfin, j’aimerais parler des Canadiens autochtones dans les domaines des STIM, soit la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques, où continue de se dérouler une bonne partie de la croissance de l’emploi dans notre pays.
Tout d’abord, en ce qui concerne les STIM, soulignons qu’environ 4 % des adultes canadiens sont autochtones, mais que moins de 2 % des personnes travaillant dans ces domaines sont des adultes autochtones canadiens.
Dans le domaine de la technologie, on constate un écart comparable. Parmi les Autochtones énumérés au Canada, la participation aux professions en technologie s’élevait à 2,2 % en 2016, ce qui équivaut à environ 13 000 personnes au total, ce qui est bien inférieur à la proportion d’Autochtones dans la population canadienne.
Ces faibles chiffres compliquent les choses pour les entreprises autochtones, même celles qui, animées par les meilleures intentions qui soient, veulent embaucher des travailleurs autochtones. Prenons par exemple l’expérience de David Yeo, président et fondateur de Dalian Enterprises Inc., une entreprise autochtone de cybersécurité établie à Ottawa. L’entreprise est constamment à la recherche de diplômés autochtones en technologie et entretient des relations étroites avec des établissements comme le Collège Algonquin, dans l’Ouest d’Ottawa. Mais il n’est pas facile d’embaucher à partir de ces bassins.
Il arrive trop souvent que David ait un œil sur un diplômé autochtone, mais qu’il le voie se faire recruter par une entreprise plus importante. Dans d’autres cas, les candidats autochtones retournent dans leur réserve d’origine après l’obtention de leur diplôme. Cette pierre d’achoppement est devenue un peu plus facile à surmonter récemment, étant donné l’importance nouvelle accordée au travail à domicile. M. Yeo suggère également que les jeunes autochtones désireux d’être embauchés s’auto-identifient. C’est un problème que nous rencontrons également dans la population active.
M. Yeo, descendant du chef Robert Franklin de la Première Nation d’Alderville, qui fut l’un des premiers signataires du traité Williams de l’Ontario en 1923, a créé Dalian en 2001. Étant un ancien combattant de l’Afghanistan et d’autres conflits, M. Yeo est aujourd’hui spécialisé dans les infrastructures de cybersécurité et les projets de centres de données au sein du gouvernement fédéral. Vingt-deux ans après sa création, Dalian compte plus de 200 experts en la matière intégrés à divers ministères. Durant cette période, l’entreprise a été une partenaire de confiance du gouvernement et elle est titulaire d’une attestation de sécurité d’installation de niveau très secret, la plupart des membres du personnel ayant une cote de sécurité de niveau secret ou plus.
L’intérêt de M. Yeo pour la technologie vient du fait que son école secondaire de Port Hope, en Ontario, a été l’une des premières à recevoir des ordinateurs et des unités centrales pour les inclure dans le programme scolaire. C’est ce qui a forgé son amour pour ce domaine et qui l’a incité à s’inscrire à l’université pour étudier l’informatique. Voilà qui démontre encore une fois l’importance de l’éducation.
Avant de conclure, j’aimerais prendre un moment pour mentionner l’importance de divers organismes de développement dans les réserves dont le rôle dans la promotion du développement des entreprises ne peut être ni sous-estimé ni sous-apprécié. Il s’agit notamment d’organisations dynamiques et progressistes telles que la Whitecap Development Corporation, située au sud de Saskatoon, la bande indienne d’Osoyoos, en Colombie-Britannique, et la Membertou Development Corporation, en Nouvelle-Écosse. Cette dernière a contribué à créer l’une des Premières Nations les plus prospères du pays. Elle compte plusieurs divisions qui vont des services sociaux et du logement aux programmes éducatifs, y compris les études en entrepreneuriat. Une fois de plus, on met l’accent sur l’éducation.
Membertou compte également parmi ses conseillers notre collègue l’ancien sénateur Dan Christmas, qui vient de prendre sa retraite et dont les conseils avisés sur les questions relatives aux entreprises autochtones ne peuvent que renforcer la contribution de Membertou dans le monde des affaires. Nous avons besoin de plus de personnes comme lui pour encourager les Canadiens autochtones à se lancer en affaires.
En résumé, les priorités et les objectifs des Autochtones du Canada changent avec le temps. Pendant un certain temps, la promotion de leurs droits a tenu le haut du pavé. À d’autres moments, la négociation de traités et l’autonomie gouvernementale semblaient être au sommet de la liste. Aujourd’hui, il me semble qu’ils mettent l’accent sur le développement des entreprises et l’entrepreneuriat, et c’est une bonne chose. En tant que sénateurs, nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour encourager cet esprit.
Dans cet esprit, je remercie le sénateur Klyne de cette interpellation et j’invite les autres sénateurs à participer à cet important débat.