Deuxième lecture du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada)

Par: L'hon. Marty Klyne

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L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada). Le projet de loi propose d’abroger la disposition qui autorise le recours aux châtiments corporels pour corriger un enfant au Canada.

Aujourd’hui, j’ajouterai les éléments suivants à notre débat : des renseignements additionnels sur le motif de la Commission de vérité et réconciliation justifiant cette modification, quelques observations sur des détails de politique et des réflexions sur le rôle du Sénat pour donner suite à cet appel à l’action.

D’abord, je remercie le parrain, le sénateur Kutcher, d’avoir défendu cette mesure législative visant à donner suite à l’appel à l’action no 6. Votre savoir et votre compassion en tant que psychiatre de renom permettent d’espérer que nous réussirons enfin à abroger l’article 43. Cette modification fera progresser la réconciliation et profitera aux enfants de partout au Canada.

Le sénateur Kutcher a livré un plaidoyer complet pour l’adoption de ce projet de loi fondé sur des données probantes. Comme il l’a notamment indiqué, les recherches scientifiques montrent que la pratique de frapper les enfants pour les discipliner — ce qui inclut la fessée — augmente le risque qu’ils deviennent agressifs et qu’ils développent des problèmes de santé mentale.

Le sénateur Kutcher nous a dit que, en adoptant le projet de loi et en faisant la promotion de mesures de soutien pour les parents, nous pouvons protéger les enfants contre cette forme de violence en plus d’aider les parents canadiens à apprendre et à appliquer des pratiques éducatives efficaces et beaucoup moins dommageables.

Nous avons aussi appris que le projet de loi S-251 permettra au Canada de rejoindre les rangs de 63 autres pays ayant adopté des lois interdisant les châtiments corporels infligés aux enfants dans toutes les circonstances.

En adoptant ce projet de loi, le Canada respecterait ses engagements internationaux sur le plan juridique relativement à la Convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant, que notre pays a ratifiée en 1991.

Dans son discours, la sénatrice Moodie, une pédiatre de renom, a soutenu le projet de loi S-251. Elle a présenté des témoignages d’experts et des expériences internationales portant sur le sujet. Elle a fait remarquer que dans les pays ayant interdit les châtiments corporels contre les enfants — notamment la Suède, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande —, les interdictions ont entraîné une baisse importante des signalements de cette pratique. En Allemagne et en Finlande, par exemple, cette baisse a atteint près de 50 %.

La sénatrice Moodie a souligné que ces pays conviennent qu’il faut sensibiliser le public et offrir des mesures de soutien adéquates aux familles en plus d’interdire les châtiments corporels. Il s’agit d’un point qui requiert l’attention du Parlement et du gouvernement. J’espère qu’un comité du Sénat pourra examiner ce projet de loi, peut-être en émettant des recommandations pour accompagner à l’abrogation de l’article 43.

Chers collègues, on peut résumer le projet de loi S-251 en trois mots : chaque enfant compte. Il s’agit d’un principe que la société canadienne apprend et s’efforce de respecter.

Dans les médias, nous avons tous été témoins de la vérité de l’histoire de notre pays dans des endroits comme Kamloops, la Première Nation de Cowessess, Cranbrook, l’île Penelakut, la nation crie de Saddle Lake, la Première Nation de Williams Lake et la Première Nation de Keeseekoose. Nous gardons dans nos cœurs les milliers d’enfants qui ne sont jamais revenus des pensionnats et les survivants qui ont été marqués à vie.

Nous les garderons toujours dans nos cœurs.

Les punitions corporelles constituaient une partie importante de la vie dans ces établissements. Les expériences des formes coloniales de discipline ont traumatisé les Autochtones du Canada et elles ont contribué à bâtir un héritage de préjudices multigénérationnels.

Nous savons que l’article 43 du Code criminel est lié aux valeurs des premiers jours de l’ère des pensionnats. Comme le sénateur Kutcher nous l’a dit :

L’article 43 est un anachronisme, un vestige archaïque de lois rédigées en 1892 qui autorisaient le recours à la punition corporelle contre les employés, les épouses et les enfants.

Honorables sénateurs, j’aimerais citer deux extraits du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, afin d’éclairer notre débat d’un point de vue historique. Dans le volume 4, intitulé Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués, un passage explique le choc culturel subi par les Autochtones qui ont été soumis à des punitions corporelles :

Les Églises et les ordres religieux qui administrent les pensionnats du Canada ont de solides conceptions imbriquées de l’ordre, de la discipline, de l’obéissance et du péché. Ils croient que les êtres humains sont des créatures déchues et pécheresses qui doivent mériter leur salut en obéissant à Dieu pour maîtriser leur nature. L’approche de la discipline qu’utilisent les pensionnats repose sur les textes sacrés : le châtiment corporel est une façon autorisée par la Bible de maintenir l’ordre, mais également de mettre les enfants sur le droit chemin. Le recours au châtiment corporel infligé par les dirigeants religieux recueille le soutien des pédagogues bureaucrates du XIXe siècle comme Egerton Ryerson, qui croit que l’opposition au châtiment corporel est « contraire aux Écritures ».

Le rapport dit également ceci :

Cependant, historiquement, le châtiment corporel n’est pas aussi acceptable chez les peuples autochtones. Le grand nombre de plaintes de parents, combinées à la difficulté constante des écoles à recruter des élèves, montre les occasions où la discipline imposée par les écoles dépasse ce qui serait acceptable dans les collectivités européennes ou autochtones.

Les élèves sont punis parce qu’ils n’ont pas terminé leurs leçons, parce qu’ils mouillent leur lit, parce qu’ils parlent sans y être autorisés, parce qu’ils lancent des pierres sur la clôture du pensionnat, parce qu’ils agissent de façon immorale, parce qu’ils refusent de manger leur repas, parce qu’ils parlent leur propre langue, parce qu’ils négligent leurs corvées et parce qu’ils volent (souvent de la nourriture).

Dans le volume 5, Les séquelles, on apprend comment les punitions infligées par les colonialistes étaient contraires à l’éducation traditionnelle des Inuits :

L’art parental traditionnel repose sur les liens de parenté, et sur les croyances culturelles et spirituelles. Les Inuits croient qu’un nouveau-né à qui on donne le nom d’un parent défunt prend possession de l’âme ou l’esprit de ce défunt, et que la relation des parents avec l’enfant s’en ressent. Selon Pauktuutit, l’association nationale des femmes inuites, il « serait jugé inconvenant […] de donner des ordres à un enfant, car cela reviendrait à donner des ordres à un aîné ou à un autre adulte, brisant ainsi une importante règle sociale de la culture inuite ».

L’ignorance de cet aspect de la culture inuite a incité bien des non-Autochtones, notamment des administrateurs de pensionnats et des agents de protection de l’enfance, à porter des jugements entachés de préjugés culturels. Les parents inuits leur paraissaient souvent laxistes à l’extrême et peu enclins à la discipline. Dans les pensionnats, au contraire, les enseignants s’efforçaient de maîtriser le comportement de l’enfant au moyen du châtiment corporel et d’autres mesures disciplinaires rudes, peu au goût des parents inuits.

Honorables sénateurs, la Commission de vérité et réconciliation recommande l’abrogation de l’article 43 avec l’appel à l’action no 6, comme l’a souligné le sénateur Kutcher :

La Commission croit que les châtiments corporels sont des reliques d’un passé révolu qui n’ont plus leur place dans les écoles et les foyers canadiens.

En abrogeant l’article 43 pour répondre à l’appel à l’action no 6, nous pouvons condamner les punitions corporelles étrangères à la culture ancestrale des Autochtones qui ont été infligées historiquement à leurs enfants par les autorités coloniales. Une telle décision du Parlement constituerait un geste important pour la réconciliation — après les excuses unanimes présentées par le Sénat le 29 septembre dernier, au moyen d’une motion de la sénatrice McCallum, pour le rôle du gouvernement du Canada dans le système des pensionnats autochtones.

Par ailleurs, en adoptant le projet de loi S-251, le Parlement fédéral veillerait à protéger tous les enfants du Canada contre la peur, la douleur et l’humiliation des punitions corporelles. Un rôle clé du Sénat est de protéger les personnes vulnérables dans notre pays et il est temps d’agir.

J’aimerais ajouter quelques observations judicieuses, du moins je l’espère, sur les aspects juridiques : en 2004, la Cour suprême du Canada a conclu à la constitutionnalité de l’article 43, en précisant qu’elle interprète l’article comme une restriction sur les formes de punitions corporelles acceptables envers les enfants. La Cour suprême a déclaré que l’article 43 ne permet d’employer qu’« une force légère — ou ayant un effet transitoire et insignifiant. » De telles punitions ne peuvent être utilisées que sur des enfants de 2 à 12 ans. Les enseignants peuvent employer une force raisonnable pour expulser un enfant de la salle de classe. Cependant, la loi interdit de frapper ou de gifler un enfant au visage où à la tête, d’utiliser un objet pour frapper un enfant, et d’infliger une punition corporelle sous l’effet de la colère ou sur un enfant ayant une déficience cognitive.

Pendant le débat, le sénateur Plett a dit craindre que l’abrogation de l’article 43 puisse rendre criminel le fait de prendre un enfant qui pique une crise de colère et de l’asseoir dans un siège d’auto ou ailleurs dans la voiture. Je réagis à ces préoccupations avec un optimisme fondé sur le sens commun. Je ne voudrais pas criminaliser le geste que le sénateur Plett décrit, qui m’apparaît être un geste acceptable de la part de parents. D’après ce que je comprends, l’abrogation de l’article 43 vise plutôt à éliminer l’usage de la force à des fins de correction. Ainsi, le projet de loi interdirait la fessée et d’autres gestes semblables qui visent à influencer le comportement de l’enfant par un emploi négatif de la force associé à la peur, à la douleur ou à l’embarras.

Le projet de loi S-251 n’a pas pour but de criminaliser l’emploi accessoire de la force par des parents ou des enseignants qui cherchent à s’acquitter de leurs responsabilités légitimes, par exemple à assurer le transport sécuritaire d’un enfant. Selon moi, les exemples présentés pendant le débat appartiennent à cette dernière catégorie; ils ne décrivent pas un usage de la force qui serait punitif ou dissuasif.

En 2017, pendant le débat sur le projet de loi S-206 — la dernière version de la mesure à l’étude — son nouveau parrain, le sénateur Sinclair, a fourni les précisions que voici :

[…] nous ne devons pas oublier que les contacts physiques mineurs ne sont de toute façon pas criminalisés, en vertu du principe dit de minimis. Si une infraction est à ce point mineure, elle ne mérite pas l’attention du droit criminel ni une sanction.

La loi reconnaît également que certains recours à la force sont socialement et légalement acceptables. Pour attirer l’attention de quelqu’un, par exemple, il faut parfois toucher cette personne à l’épaule ou au bras. Un match de boxe ou une mise en échec au hockey ne sont pas des agressions, car il y a consentement. Le contact physique accidentel n’est pas illégal, pas plus que l’usage d’une force raisonnable pour se défendre ou se protéger ou pour défendre ou protéger une autre personne, voire un bien.

L’article 43 prévoit que, si on agresse un enfant à des fins de correction de son comportement, on peut avoir une défense particulière si on fait usage d’une force raisonnable. La société commence à accepter qu’aucun degré de force n’est raisonnable.

Chers collègues, il me semble qu’il faudrait se pencher sur des préoccupations d’ordre pratique au comité, qui pourrait émettre des observations ou même proposer un amendement afin d’établir avec davantage de certitude dans le Code criminel ce qui est ou n’est pas permis tout en abrogeant l’article 43. Par contre, cette abrogation est nécessaire afin d’éliminer les impositions négatives de force que nous voulons cibler, comme la fessée, qui est actuellement permise par l’article 43. Un comité devrait entreprendre un tel effort constructif afin que le Sénat ne propose pas une loi qui irait à l’encontre du bon sens tout en interdisant les châtiments corporels contre les enfants. Je recommande donc le renvoi rapide du projet de loi S-251 au comité, comme le Sénat l’avait fait avec le projet de loi S-206 en 2018.

Je veux maintenant parler du rôle du Sénat dans la réponse à cet appel à l’action. Sur le plan législatif, l’appel à l’action no 6 est peut-être celui auquel il est le plus simple de répondre. Avec la Chambre des communes, le Sénat est l’un des deux organes ayant un pouvoir de décision et une responsabilité en la matière. Nous sommes aux commandes — et si nous n’agissons pas, personne ne le pourra.

Ces dernières années, le Sénat a obtenu des résultats en répondant aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation : nous avons adopté des projets de loi visant à protéger et à raviver les langues autochtones, à rétablir la compétence autochtone en matière de services à l’enfance et à la famille, à faire respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, à instaurer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et à réaliser un nouveau serment de citoyenneté.

Nous avons également reçu — de l’autre endroit — le projet de loi C-29, un projet de loi émanant du gouvernement parrainé par la sénatrice Audette, qui vise à établir un conseil national de réconciliation, répondant ainsi aux appels à l’action no 53 à 56. De nombreux sénateurs ont exprimé leur détermination à en faire plus. Je souhaite en faire plus. Le projet de loi S-251 nous en donne l’occasion. Montrons au Canada et au monde entier que chaque enfant compte. Merci. Hiy kitatamihin.

Des voix : Bravo!

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