Deuxième lecture du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada)

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-251, le projet de loi du sénateur Kutcher qui propose d’abroger l’article 43 du Code criminel. Cette disposition autorise les enseignants et les parents — et les personnes qui remplacent les parents — à employer la force, dans une mesure raisonnable, pour corriger un enfant.

Le projet de loi dont nous sommes saisis s’inscrit dans la continuité d’un travail de longue haleine et d’une grande détermination à réaliser cette réforme. Au cours des 30 dernières années, 17 projets de loi ont été déposés, dans les deux Chambres, en vue d’abroger ou de modifier l’article 43, dont celui de notre ancienne collègue la sénatrice Hervieux-Payette.

Pourquoi cette tentative-ci devrait-elle réussir alors que tant d’autres ont échoué? Je proposerai cinq raisons.

Premièrement, l’abrogation de l’article 43 n’est plus seulement une question de droits des enfants. Comme le reconnaît le projet de loi à l’étude, l’abrogation de l’article 43 est une étape nécessaire pour respecter l’engagement du Canada en faveur de la réconciliation, comme le recommande l’appel à l’action no 6 de la Commission de vérité et de réconciliation.

Deuxièmement, ce faisant, le Canada rejoindra un nombre croissant d’États. En 2004, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision historique sur l’article 43 dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général). À l’époque, 15 États interdisaient toute forme de châtiment corporel à l’égard des enfants. Aujourd’hui, ce nombre dépasse les 65, et 27 États supplémentaires se sont :

[…] clairement et publiquement engagés à adopter sans délai une loi interdisant explicitement toutes les formes de châtiments corporels infligés aux enfants, aussi légères soient-elles, dans tous les contextes, y compris à la maison.

Troisièmement, le Canada doit abroger l’article 43 pour être en mesure de respecter ses obligations internationales. Il est vrai, comme on peut le lire dans le jugement rendu par la majorité des juges de la Cour suprême en 2004 dans l’affaire Canadian Foundation, que la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies « n’exige [pas] explicitement que les États parties interdisent toute infliction d’un châtiment corporel à un enfant ».

Par contre, il est aussi vrai que, deux ans plus tard, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a souligné que la convention suppose l’élimination de toute disposition autorisant l’usage d’un certain degré de violence à l’égard des enfants à leur domicile, dans leur famille ou dans tout autre cadre.

Le comité a d’ailleurs mentionné spécifiquement, pour illustrer le genre de dispositions qui doivent être éliminées, celles qui autorisent une « correction raisonnable » — ce que fait justement l’article 43 de notre Code criminel. Ainsi que l’a expliqué le comité, « comme tous les instruments relatifs aux droits de l’homme, la convention doit cependant être conçue comme un instrument vivant, dont l’interprétation évolue dans le temps ».

Quatrièmement, les données probantes concernant l’efficacité des punitions corporelles, ou plutôt leur inefficacité, sont claires et convaincantes. Les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents « ne jouent aucun rôle utile dans leur éducation et, de plus, comportent des risques pour leur développement », comme l’ont déjà souligné des sénateurs qui sont intervenus au sujet de ce projet de loi. Les nombreuses recherches au sujet des « conséquences néfastes des punitions corporelles pour les enfants, tout au long de leur vie, et de leurs méfaits pour la société » devraient d’ailleurs nous faire réfléchir.

Cela m’amène à la cinquième et dernière raison pour laquelle cette tentative d’abrogation de l’article 43 doit réussir. Il s’agit du fait que l’acceptabilité sociale de l’article 43 ne se dirige que dans une seule direction : à la baisse.

Depuis 2004, 673 organismes d’un océan à l’autre ont signé la Déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents. Cette déclaration, qui a été élaborée par « une coalition nationale d’organismes facilitée par le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario », recommande diverses mesures, y compris de « fournir aux enfants la même protection contre les agressions physiques que celle accordée aux adultes du Canada ».

Cela exige l’abrogation de l’article 43, qui prive les enfants — et seulement les enfants — d’une protection égale par rapport aux dispositions du droit pénal sur les agressions.

À ce point-ci de la discussion, je crois qu’il serait bon qu’on prenne un moment pour faire l’historique de l’article 43, car on verra tout de suite que ses origines ne sont plus ni pertinentes ni d’actualité.

Les origines de l’article 43 se trouvent dans la version originale du Code criminel, qui a été adoptée par le Parlement du Canada en 1892, peu après la Confédération. À l’époque, l’article 55 inscrivait dans la loi canadienne la règle de common law anglaise dite du « châtiment raisonnable ». Il ne s’agit donc pas d’une invention canadienne, mais, comme je viens de le dire, d’un principe de common law.

Ce principe a vu le jour dans le jugement R. c. Hopley, qui a été rendu en 1860 et qui mettait en cause un enseignant qui a battu à mort un élève adolescent à qui il voulait infliger un châtiment corporel. Il a été accusé d’homicide involontaire.

Même si cet enseignant a été reconnu coupable, l’affaire Hopley reconnaissait qu’il est permis d’infliger « […] un châtiment corporel modéré et raisonnable […] » s’il a pour but de « […] corriger ce qui est mauvais chez l’enfant […] ».

Ce qui est intéressant, c’est que le jugement Hopley s’appuie sur des principes de droit romain, y compris celui de la patria potestas, selon quoi le père a droit de vie et de mort sur ses enfants.

Voici ce qu’on peut lire dans les Commentaires sur les lois anglaises de William Blackstone :

L’ancienne loi romaine donnait au père le droit de vie et de mort sur ses enfants, d’après ce principe, que celui qui a donné peut aussi reprendre […]

Les lois anglaises donnent au père un pouvoir bien plus modéré […], suffisant néanmoins pour contenir son enfant dans l’ordre et dans l’obéissance. Elles lui permettent de corriger raisonnablement son fils mineur, cette correction ayant pour but le bien de l’éducation de l’enfant […] Il peut aussi, pendant sa vie, déléguer une partie de l’autorité paternelle au précepteur ou au maître d’école de son fils, lequel est alors in loco parentis et reçoit du père cette partie de son pouvoir, qui consiste à réprimer et à corriger autant qu’il est nécessaire pour remplir la tâche dont il est chargé.

Bien entendu, la variété des conduites défendables aux termes de l’article 43 depuis la décision de 2004 de la Cour suprême est beaucoup plus restreinte que ce qui a déjà été permis au nom de la « correction raisonnable ». Toutefois, la source de ce principe remonte à l’époque de l’Empire romain, il y a 2 000 ans, lorsqu’un homme était le maître de sa demeure, de sa femme et de ses enfants et qu’il avait le pouvoir ultime en matière de correction, car l’éducation passait par la correction. Heureusement, les enseignants ne sont plus ce genre de personne, comme ma valeureuse leader le sait.

Toutefois, tandis que nous étudions l’avenir de l’article 43, je crois qu’il est important de ne pas oublier le passé. La raison d’être de l’article 43 porte et a toujours porté sur une seule chose : autoriser le châtiment corporel des enfants dans le but de les corriger.

Je voudrais conclure en abordant les craintes que suscite l’abrogation de l’article 43 — c’est-à-dire comment la juge Arbour les a formulées en 2004 — et elle était dissidente —, selon lesquelles :

L’invalidation de l’article 43 […] n’exposera pas les parents et les personnes qui les remplacent à l’application systématique du droit criminel pour le moindre geste qui constitue, strictement parlant, des voies de fait.

Bien sûr, elle se moquait de la menace.

Pour emprunter un exemple au débat, je pense que nous sommes tous d’accord, chers collègues, pour dire qu’aucun parent ne devrait être passible de sanctions pénales pour avoir forcé un enfant réticent à s’asseoir dans un siège d’auto. Cependant, j’espère que nous sommes tous d’accord pour dire qu’aucun parent ne devrait avoir la permission de donner un coup à son enfant après l’avoir installé dans le siège d’auto.

De même, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’aucun enseignant ne devrait être sanctionné pénalement pour être intervenu afin de mettre fin à une bagarre ou pour avoir demandé à un élève perturbateur de quitter la classe.

Cela m’est arrivé par le passé. On m’a demandé d’aller dans le couloir plusieurs fois. Je me comporte beaucoup mieux maintenant.

Toutefois, j’espère que nous sommes tous d’accord pour dire qu’aucun enseignant ne devrait avoir la permission de « sortir la règle » — ou pire — comme c’était le cas il n’y a pas si longtemps.

Je me souviens que les religieuses utilisaient la règle en classe. Elles nous demandaient de nous avancer et de tendre la main, puis elles la frappaient.

Les rapports avec les enfants, que ce soit à titre de parents ou d’enseignants, impliquent une gamme de contacts physiques qui sont loin de correspondre aux types de comportements qui nous viennent à l’esprit lorsqu’il est question de châtiments corporels. C’est indéniable. Il convient alors de se demander si le droit pénal et la procédure pénale, tels qu’ils sont structurés actuellement, permettraient d’inculper ceux qui ne font qu’agir à titre préventif.

Il convient peut-être de laisser au comité le soin de donner une réponse précise à cette question dans le cadre de son étude. Toutefois, je voudrais souligner que, selon les observations de la Cour suprême, et d’après l’expérience d’autres pays qui ont abrogé des dispositions semblables à l’article 43, cela n’a pas eu de telles conséquences.

En 2004, lorsque la majorité des juges de la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de l’article 43, trois des neuf juges n’étaient pas d’accord. La juge Arbour, notamment, s’est efforcée de répondre à la question de savoir ce qui, dans le droit canadien, protégerait les parents et les enseignants malgré l’abrogation de l’article 43.

Elle a estimé que « [l]es moyens de défense de common law fondés sur la nécessité et le principe de minimis protègent suffisamment ceux et celles, parmi eux, qui adoptent un comportement excusable ou anodin ».

Il convient également de tenir compte du rôle important — et efficace — du pouvoir discrétionnaire des procureurs pour ce qui est d’écarter les cas anodins et insignifiants.

De la même manière, l’article 34 du Code criminel porte sur la défense de soi-même ou des autres. On peut intervenir pour se protéger soi-même ou protéger une autre personne; c’est un motif de défense. Dans le cas d’un enseignant qui interviendrait pour séparer deux élèves qui se battent, par exemple, il est difficile de voir quelle protection supplémentaire l’article 43 ajouterait à celle déjà conférée par l’article 34 du Code criminel.

Ailleurs sur la planète, l’expérience récente de la Nouvelle-Zélande, qui a abrogé une disposition semblable, a montré que la Couronne ne poursuivait pas les enseignants qui ont séparé des élèves qui se battaient. D’ailleurs, en 2007, la Nouvelle-Zélande est même allée plus loin. Elle a modifié la Loi sur les crimes de façon à interdire tous les châtiments corporels des enfants, y compris à la maison. Cette mesure ciblait les parents.

Il y a également la Cour suprême d’Israël qui, en 2000, a supprimé la défense fondée sur le concept de correction raisonnable, qui provenait des fondements en common law du droit du pays et avait subsisté jusqu’alors. La cour avait alors affirmé que, « dans les cas insignifiants qui ne justifient pas l’application de la loi dans le cadre de la justice pénale », le tribunal a invoqué les mécanismes du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, la règle de minimis et le principe de nécessité.

En conclusion, je crois que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles devrait étudier attentivement le projet de loi, apaiser les inquiétudes soulevées par certaines associations d’enseignants, essayer de mettre les choses en contexte et rappeler à la population que l’article 43 peut être abrogé sans que cela cause une catastrophe.

Chers collègues, je crois qu’il est temps de faire savoir aux Canadiens que le châtiment corporel n’est pas la bonne façon d’éduquer un enfant. Ce n’est pas ainsi qu’on éduque un enfant de nos jours. Peut-être que les Romains estimaient que c’était la bonne façon de faire, mais je crois que nous devrions nous détacher de ces vieilles sources. Merci beaucoup. Meegwetch.

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