Deuxième lecture du projet de loi S-217, Loi modifiant le Code canadien du travail (contrats successifs de fourniture de services)

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, permettez-moi de prendre quelques minutes aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-217, un projet de loi très court, car il ne compte qu’un seul article, qui vise à modifier l’article 47.3 du Code canadien du travail afin d’accorder une protection salariale aux travailleurs dans les aéroports en cas de roulement de contrat, que l’on appelle en anglais contract flipping.

Je vais commencer par expliquer pourquoi on en est arrivé au dépôt de ce projet de loi. L’externalisation du travail est une pratique courante dans les aéroports canadiens. Cela commence par une demande de propositions, ou DDP, faite par l’administration portuaire pour l’exécution de certains travaux tels que l’entretien du terrain d’aviation, des travaux mécaniques, la manutention des bagages, le contrôle de sécurité avant embarquement, la plomberie, le ravitaillement en carburant, la sécurité et le service à la clientèle à bord et à l’extérieur. Le contrat de service est ensuite attribué au meilleur soumissionnaire, généralement pour une période de trois ans.

À la fin du contrat, l’administration aéroportuaire peut décider de ne pas le prolonger, quelle qu’ait été la qualité des services fournis. L’administration aéroportuaire passera alors par un autre processus de DDP et attribuera le contrat à un autre entrepreneur en faisant éventuellement faire des économies à l’aéroport ou en lui permettant d’obtenir d’autres avantages, mais potentiellement sur le dos des travailleurs. C’est ce qu’on appelle communément un roulement de contrat et c’est une source d’incertitude dans les aéroports.

Lorsqu’un contrat est attribué à un nouvel entrepreneur, les employés de l’autre entrepreneur sont souvent licenciés ou réengagés par le nouvel entrepreneur afin de conserver les connaissances et l’expertise et d’éviter toute interruption de service. En vertu de la loi fédérale, étant donné qu’il n’y a pas de relation contractuelle entre les deux entrepreneurs, toute convention collective existante n’est pas contraignante pour le nouvel entrepreneur. Par conséquent, les travailleurs qui étaient auparavant syndiqués perdent leur représentation syndicale ainsi que tous leurs droits acquis, y compris le salaire, l’ancienneté et les prestations. En cas de roulement de contrat, les travailleurs sont souvent réembauchés par le nouvel entrepreneur pour effectuer les mêmes tâches, mais à un salaire moindre et avec moins de prestations que ceux qu’ils étaient habitués à recevoir de l’ancien entrepreneur.

J’ai été alerté de ce problème de roulement abusif de contrat en 2019, lorsque plus d’une centaine de travailleurs responsables de la fourniture de carburant aux aéronefs à l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau ont perdu leur emploi à l’arrivée d’un nouveau sous-traitant qui a remplacé Swissport International Ltd. — Fuelling Services. Les services ont été par la suite offerts de manière continue par l’entremise d’un nouveau sous-traitant, Trans-Sol Aviation Service (TSAS), qui est maintenant le deuxième plus gros employeur non syndiqué à offrir des services à l’aéroport de Montréal.

Les voyageurs n’ont subi aucune interruption de services liée à ce roulement de contrat de service, mais le tout s’est fait sur le dos des employés syndiqués de Swissport, qui ont dû se tourner vers l’assurance-emploi ou ont été réembauchés par le nouveau sous-traitant avec des conditions de travail moindres que celles qu’ils avaient auparavant.

Dans le secteur du transport aérien, la pratique du roulement abusif de contrat est de plus en plus fréquente. Cela signifie que les travailleurs ayant acquis des avantages sociaux au fil du temps s’en voient désormais privés et voient leur salaire réduit pour un travail équivalent, et ce, avec des conséquences parfois dramatiques pour eux et leur famille, puisqu’ils doivent toujours faire face au même niveau de vie auquel ils étaient habitués, sans bénéficier des mêmes revenus.

Malheureusement, l’application de l’article 47.3 du Code canadien du travail est très restreinte. Seuls les employés chargés du contrôle de sécurité avant l’embarquement profitent de sa protection, laquelle se limite aux salaires. Les dispositions visant à offrir une rémunération égale ont été ajoutées au code lorsque l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien a été créée et s’est vu confier le mandat de procéder — soit directement ou par l’intermédiaire de sous-traitants — au contrôle des voyageurs. La protection a été ajoutée pour éviter que les travailleurs spécialisés dans ce genre de tâche subissent une baisse de salaire et quittent l’aéroport, créant ainsi une perte d’expertise et d’effectifs, peu importe l’entrepreneur à qui l’on confie le processus de contrôle.

De nombreuses propositions ont été faites pour élargir la portée de l’article 47.1 du Code du travail au-delà des travailleurs affectés aux services de contrôle de sécurité avant l’embarquement, afin d’inclure tous les autres employés des services d’aéroports travaillant pour un fournisseur externe.

C’est ce que vise le projet de loi S-217. Le projet de loi vise à étendre la protection à tous les employés qui travaillent dans les aéroports, y compris les plombiers, les mécaniciens, les employés chargés de la manutention des bagages et ceux chargés de l’horaire des équipages. Les dispositions indiquent que la liste des services qui figure dans le projet de loi n’est pas exhaustive ou limitée.

J’ai déposé le projet de loi S-217 l’automne dernier, en espérant qu’il mènerait à des changements réglementaires et qu’il élargirait la portée des dispositions en matière de rémunération égale de l’article 47.3, puisque le gouvernement a le pouvoir d’élargir cette protection par décret.

Le budget de 2021 déposé il y a deux semaines dépasse mes attentes. Le gouvernement y annonce son intention de présenter un projet de loi qui prolongerait la protection de la rémunération égale à un plus grand nombre d’employés. Il souligne aussi ceci :

Ainsi, lorsqu’un contrat de service change de mains, les employés touchés ne seront pas moins rémunérés s’ils sont mis à pied puis réembauchés pour effectuer le même travail qu’ils faisaient auparavant.

Je signale avec plaisir que le gouvernement propose des modifications législatives en ce sens dans le projet de loi C-30, la Loi d’exécution du budget. J’ose croire que celle-ci a de meilleures chances d’être adoptée que mon projet de loi S-217. C’est donc la première et la dernière fois que je mentionne le projet de loi S-217, car j’espère qu’il deviendra inutile dans quelques semaines, ce qui me ravit.

Cela dit, bien que la protection des salaires proposée dans le projet de loi C-30 représente un pas dans la bonne direction pour contrer les effets pervers du roulement des contrats de service, il reste que d’autres mesures pourraient être ajoutées au Code canadien du travail pour favoriser non seulement le salaire, mais aussi la sécurité d’emploi et le maintien d’avantages acquis par la négociation collective. C’est une question que je continuerai d’étudier, et j’espère que le gouvernement en fera de même en étroite collaboration avec les syndicats.

Merci, meegwetch.

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