Deuxième lecture du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, le Mahatma Gandhi a dit : « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités. »

C’est dans cet esprit que je prends la parole pour appuyer sans équivoque le projet de loi S-15, qui vise à établir des mesures de protection juridiques pour les éléphants et les grands singes en captivité au Canada.

La science nous indique que ces créatures étonnantes ont une conscience de soi, qu’elles sont très sociables et qu’elles ressentent des émotions. Autrement dit, ce sont des êtres sensibles. Les éléphants et les grands singes ont ce genre de caractéristiques et besoins en commun avec les baleines et les dauphins, pour lesquels le Parlement a adopté, en 2019, des mesures législatives destinées à les protéger des effets néfastes de la captivité.

Le moment est venu d’étendre cette protection aux éléphants et aux grands singes en captivité. En Ontario, il n’est même pas nécessaire d’obtenir un permis pour posséder un éléphant ou un grand singe, ce qui comprend les chimpanzés, les bonobos, les gorilles et les orangs-outans. Cette situation n’est plus acceptable, tant pour le bien-être des animaux que pour la sécurité publique.

Je remercie et je félicite les ministres Guilbeault et Virani d’avoir présenté cette mesure législative au Sénat. Ce projet de loi fait suite à l’engagement électoral pris par le Parti libéral en 2021, qui consiste à légiférer sur la protection des animaux sauvages vivant en captivité.

J’aimerais aussi remercier mon collègue, le sénateur Klyne, d’avoir parrainé ce projet de loi et d’avoir amené le Sénat à promouvoir le traitement plus respectueux des animaux sauvages vivant en captivité.

Comme des intervenants précédents l’ont mentionné, le projet de loi S-15 permettra de poursuivre certains objectifs de la loi de Jane Goodall, qui a été rédigée par l’honorable Murray Sinclair en 2020. En parrainant le projet de loi S-15, le sénateur Klyne défend la vision et la volonté du sénateur Sinclair, qui était résolu à protéger d’autres créatures, que la sagesse autochtone nous enseigne à respecter comme toutes nos relations.

Aujourd’hui, je parlerai de quatre sujets : primo, les raisons de protéger les éléphants et les grands singes en captivité; secundo, les différences importantes entre les projets de loi S-15 et S-241, la Loi de Jane Goodall; tertio, la constitutionnalité du projet de loi S-15 et quarto, l’avenir de ce projet de loi.

En ce qui concerne le premier point, comme nous l’a dit le sénateur Klyne, la situation des éléphants est particulièrement préoccupante. Les éléphants en captivité en Amérique du Nord souffrent de graves problèmes de comportement et de santé; on compte deux décès pour chaque naissance. De plus, on sait que l’African Lion Safari, qui est situé près de Hamilton, en Ontario, propose des promenades à dos d’éléphants et qu’il utilise des éléphants dans des spectacles à des fins de divertissement. J’ai été choqué d’apprendre que, en 2021, cet organisme a tenté de vendre des éléphants à un zoo au Texas, même si cette transaction aurait séparé deux paires mère-fille, qui restent normalement ensemble toute leur vie.

Honorables sénateurs, ce n’est pas ainsi que l’on fait preuve de respect envers les animaux sensibles. Je partage l’avis de Mme Jane Goodall, de l’honorable Murray Sinclair, du sénateur Klyne et des spécialistes des éléphants indépendants selon lequel le moment est venu d’éliminer progressivement la captivité des éléphants au Canada.

Dans le cas des grands singes, les sénateurs ont appris que le manque d’accès à l’extérieur était auparavant un problème pour les orangs-outans de Toronto avant l’ouverture d’un nouvel habitat l’année dernière. J’applaudis l’adhésion des zoos de Toronto, Calgary et Granby au principe de la protection juridique des grands singes. Le leadership de ces zoos envoie un message fort au monde sur la nécessité pour l’humanité de protéger ses plus proches parents du monde animal à la fois des conditions de captivité inadaptées et du risque d’extinction. La perte d’une partie de la biodiversité de la planète est, ultimement, une menace pour notre propre survie.

C’est pour ces raisons que le projet de loi S-15 interdira l’ajout d’éléphants ou de grands singes — que ce soit par reproduction ou importation — en captivité à moins qu’un permis ait été délivré en fonction de certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit du bien-être des animaux ou d’un programme de recherche scientifique ou de conservation. Les permis délivrés pourront également être assortis de conditions. Le projet de loi S-15 prévoit que les permis seront octroyés, dans ces seules circonstances précises, au bon jugement du ministre de l’Environnement ou, dans le cas de la reproduction, du gouvernement provincial concerné.

En outre, le projet de loi S-15 interdira que des individus de ces espèces soient donnés en spectacle, ce qui signifie la fin des spectacles d’éléphants qui ont lieu au African Lion Safari.

En plus de prévenir la cruauté envers les animaux, le projet de loi S-15 protégera également la sécurité publique. Les éléphants et les grands singes captifs sont très forts et potentiellement dangereux, certains ayant commis des attaques en Amérique du Nord. Par exemple, au Canada, un éléphant a causé de graves blessures à un entraîneur de l’African Lion Safari en 2019, et il y a eu une attaque mortelle au même endroit en 1989. Cet aspect de la sécurité publique est important sur le plan juridique, et j’y reviendrai avec mon troisième point.

Le projet de loi S-15 permettra la réalisation des mesures que j’ai décrites au moyen de modifications au Code criminel et à la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, qui est administrée par Environnement et Changement climatique Canada. À mon avis, il s’agit d’une façon simple d’apporter les changements justifiés proposés dans le projet de loi, un modèle s’appuyant étroitement sur les dispositions régissant les baleines et les dauphins en captivité comprises dans le Code criminel et la Loi sur les pêches. La logique est la même que celle que nous avons utilisée pour les baleines et les dauphins.

Je passe maintenant à mon deuxième point, soit les différences considérables qui existent entre le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241, Loi de Jane Goodall. Comme le sénateur Klyne nous l’a expliqué, il y a des liens entre ces deux mesures, mais elles sont bien distinctes. Même les dispositions semblables sont rédigées de manière différente et s’appuient sur des politiques considérablement différentes. Pensons, par exemple, au fait que le projet de loi S-15 n’interdit pas la possession et le transport de matériel reproductif ni les tours d’éléphant, qu’il ne prévoit pas que les provinces puissent octroyer des permis pour autoriser des spectacles à des fins de divertissement, ni de mécanismes visant à faire respecter les conditions des permis.

Ajoutons que le projet de loi S-241 a une portée beaucoup plus vaste que le projet de loi S-15, puisqu’il couvre plus de 800 espèces sauvages, dont les grands félins, les ours, les loups, les lions de mer, certains singes et les reptiles dangereux. Il prévoit également un mécanisme permettant d’ajouter une espèce sauvage à la liste des espèces couvertes ou de l’en retirer. De plus, le projet de loi S-241 contient des dispositions concernant la détermination de la peine; elles prévoient que, dans les cas d’infraction concernant des animaux en captivité, les animaux seront relogés avec dépens, d’une manière similaire à la saisie et à la disposition de biens.

Autre élément important, le projet de loi S-241 contient un cadre complexe concernant les « organismes animaliers ». Ce cadre permet aux zoos respectant les normes les plus rigoureuses ainsi que d’autres critères d’importer, et de faire se reproduire, les nombreuses espèces sauvages qui figurent dans le projet de loi S-241 mais pas le projet de loi S-15.

On peut même constater la différence entre les deux mesures d’une façon très concrète : le projet de loi S-15 contient 9 pages et le projet de loi S-241, 29. Il suffirait donc de les peser pour savoir qu’ils sont décidément très différents.

Il est important de tenir compte de certaines de ces différences au cours des débats et du travail en comité, dans le but d’adopter ce qui sera, je l’espère, le meilleur projet de loi possible.

Je passe maintenant à mon troisième point sur le projet de loi S-15, qui concerne la constitutionnalité du projet de loi. Honorables sénateurs, à mon avis, ce projet de loi consiste à appliquer de façon directe les pouvoirs fédéraux en matière pénale qui portent sur la prévention de la cruauté envers les animaux et la protection de la sécurité publique et, dans une moindre mesure, les pouvoirs fédéraux en matière de commerce qui touchent le commerce international.

Sur ce point, je renvoie les sénateurs à une lettre au sujet des projets de loi S-241 et S-15 que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a reçue de six professeurs de différentes régions du pays, à l’initiative de la professeure Angela Fernandez et de Krystal-Anne Roussel, chargée de recherche en droit animalier à la Faculté de droit de l’Université de Toronto. La lettre dit ceci :

La Cour suprême a souligné à plusieurs reprises que le pouvoir de légiférer en matière de droit criminel est le plus étendu et le plus flexible des pouvoirs législatifs du Parlement. En l’espèce, aucune définition extensive du droit criminel n’est nécessaire pour soutenir la validité de cette loi. L’objectif principal de la loi, soit interdire et sanctionner les comportements dangereux et contraires à l’éthique, s’inscrit parfaitement dans le champ d’application traditionnel du droit criminel fédéral.

Honorables sénateurs, je suis sûr que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est prêt à considérer toutes les observations à ce sujet. Je crois que le comité est une tribune adéquate, même si ce n’est pas le seul à pouvoir étudier un projet de loi visant à prévenir la cruauté envers les animaux par application du droit pénal du Canada.

Chers collègues, j’en viens maintenant à mon dernier point : le chemin parcouru pour adopter ce projet de loi. Comme le sénateur Klyne l’a évoqué dans son discours sur le projet de loi S-15, le processus de législation gouvernementale sur la captivité des animaux sauvages au Parlement a été lent et difficile, surtout lorsqu’il s’agissait de projets de loi d’initiative parlementaire de sénateurs ou de députés.

Le Sénat examine des projets de loi sur la captivité des éléphants et des grands singes depuis la fin de 2020. Le projet de loi S-241 a été le projet de loi le plus débattu au Sénat à l’étape de la deuxième lecture au cours de la présente législature avec 17 interventions et plus de cinq heures de débat sur une période de 14 mois. Avant cela, l’adoption du projet de loi sur la captivité des baleines a fait l’objet du plus long processus d’adoption d’un projet de loi dans l’histoire du Parlement, soit trois ans et demi.

Cependant, malgré ce qui semble être un large soutien en faveur d’une protection accrue de la faune sauvage en captivité, les sénateurs n’ont pas encore eu l’occasion d’entendre les témoignages de scientifiques, de zoos accrédités ou d’organisations non gouvernementales de protection des animaux au sujet de la législation. Je parle du projet de loi S-241. Si des arguments peuvent être présentés contre ce projet de loi, qu’ils soient étudiés en comité. Comme pour tous les projets de loi, les faits doivent prévaloir et être pris en considération dans notre processus d’amendement et dans le vote final.

Chers collègues, je vous invite à conclure la deuxième lecture du projet de loi S-15 dès que possible et à le renvoyer au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il l’étudie en profondeur à titre de mesure de droit criminel, afin que cela ne dure pas encore plusieurs mois.

L’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige un vote à la majorité au Sénat. Je crois qu’une majorité de cette Chambre a entendu les appels de la Dre Jane Goodall, de l’honorable Murray Sinclair, du sénateur Klyne et de bien d’autres et qu’elle est prête à renvoyer ce projet de loi au comité. Merci.

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