Deuxième lecture du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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L’honorable Pierre J. Dalphond propose que le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole au sujet du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, en tant que parrain de cette mesure.

Ce projet de loi de 25 pages prévoit moderniser le processus de plaintes concernant la conduite d’environ 1 200 juges de nomination fédérale siégeant à la Cour suprême du Canada, aux cours d’appel provinciales, à la Cour d’appel fédérale, aux cours supérieures provinciales et territoriales, à la Cour fédérale et à la Cour canadienne de l’impôt.

Ceux d’entre vous qui étaient ici le 15 juin 2021 se souviendront peut-être que j’avais présenté un discours sur ce même sujet en amorçant la deuxième lecture du projet de loi S-5. Le Sénat a ensuite ajourné pour l’été, puis il y a eu des élections. Je ne crois pas que c’était en réaction à mon discours.

Ceux d’entre vous qui étaient ici le 7 décembre 2021 se souviendront peut-être aussi que j’ai fait une nouvelle tentative en amorçant la deuxième lecture du projet de loi S-3. Comme le Président de l’autre endroit a jugé qu’il s’agissait d’un projet de loi à incidence financière, le Sénat a interrompu l’étude du projet de loi S-3, qui a ensuite été présenté aux Communes sous la forme du projet de loi C-9.

Les projets de loi S-3 et C-9 sont identiques, exception faite d’un amendement adopté par un comité de l’autre endroit. Aujourd’hui, c’est la troisième fois que je tente de faire adopter par le Sénat le projet de loi visant à réformer la Loi sur les juges, plus particulièrement les dispositions qui concernent le processus de plainte. J’espère que la troisième fois sera la bonne.

Chers collègues, comme vous le savez, les juges occupent des postes de responsabilité particuliers dans notre société démocratique et notre système juridique. On attend d’eux qu’ils se comportent d’une manière compatible avec leur indépendance, leur impartialité et leur capacité à assumer leurs fonctions, y compris à l’extérieur du palais de justice.

Pour les guider, le Conseil canadien de la magistrature a publié un document écrit intitulé Principes de déontologie judiciaire. En 2021, ce document a été mis à jour et modernisé après des années de consultation auprès des juges en chef, des juges puînés, du public et des principaux intervenants du système judiciaire de partout au Canada. Incidemment, notre collègue le sénateur Cotter a participé à la révision de ces principes.

Le document de 2021 fournit aux juges des orientations concernant leur comportement dans la salle d’audience et à l’extérieur du palais de justice et permet au public de mieux comprendre le rôle de la magistrature.

Le projet de loi C-9 porte sur une question liée à la conduite des juges, à savoir le traitement des plaintes contre les juges. Le projet de loi propose un processus équitable pour le juge, transparent pour le plaignant et le public, efficace pour parvenir à un règlement, efficient, respectueux de l’indépendance judiciaire et digne de la confiance des Canadiens.

Mon intervention débutera par une brève mise en contexte historique de la fonction judiciaire, après quoi je décrirai le système de plaintes actuel et ses lacunes, pour terminer par une revue des principales dispositions du projet de loi C-9.

Je vous rappelle le contexte historique. Au fil des siècles, on a vite réalisé qu’il valait mieux confier les disputes à des tiers considérés suffisamment sages ou savants, plutôt qu’aux armes ou au plaisir d’un roi.

Dans la Magna Carta, arrachée au roi Jean sans Terre par les barons anglais le 12 juin 1215, on retrouve l’idée de la primauté du droit, la procédure d’habeas corpus, qui vise à protéger les hommes libres contre toute arrestation arbitraire, et le droit d’être jugé par ses pairs. Plusieurs grands auteurs britanniques y voient la source du principe de l’indépendance des juges face au pouvoir royal et au Parlement, qui est devenu avec le passage du temps l’un des principes fondamentaux de la démocratie du Royaume-Uni.

Je saute quelques siècles pour en arriver au milieu des années 1860. Conscients de l’importance de l’indépendance des juges, les rédacteurs de la Constitution de 1867 ont prévu qu’après leur nomination, les juges ne pouvaient pas être démis facilement de leurs fonctions, d’où l’article 99 de la Loi constitutionnelle, qui énonce ce qui suit :

[…] les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

En d’autres mots, l’exécutif ne peut agir seul et chaque Chambre jouit d’un veto.

En 1971, le Parlement a modifié la Loi sur les juges afin de créer le Conseil canadien de la magistrature, un organisme présidé par le juge en chef du Canada et composé de tous les juges en chef et juges en chef adjoints des cours d’appel, des cours supérieures et des cours fédérales.

Le conseil a pour double mandat de favoriser la formation continue des juges et de surveiller leur conduite. Dans le cadre de ce mandat, le conseil s’est vu accorder le pouvoir exclusif d’enquêter sur les allégations d’inconduite contre un juge nommé par le gouvernement fédéral. C’est un aspect essentiel du mandat. En outre, le Parlement ne pouvait plus entamer une procédure de destitution d’un juge avant que le ministre de la Justice n’ait reçu un rapport contenant la recommandation de destituer le juge en question.

Au cours des 50 dernières années, le nombre et la nature des plaintes déposées auprès du conseil ont considérablement changé. Au début, le conseil recevait en moyenne 10 plaintes par an. Cependant, au cours des 15 dernières années, il en a reçu environ 600 par an.

Dans son dernier rapport annuel, le conseil a souligné que 551 affaires liées à des plaintes ont été examinées entre le 1er avril 2020 et le 31 mars 2021. Un bon nombre des plaintes n’étaient pas valides de prime abord, notamment les plaintes déposées contre un juge nommé par une province et celles liées au fait que la partie n’était pas satisfaite du jugement. Pour ce qui est de ces plaintes, 203 ont été closes, 285 ont été closes sous l’autorité du directeur exécutif, 18 ont été examinées par un membre du comité sur la conduite des juges, trois autres ont été présentées à un comité d’examen et une a été soumise à une commission d’enquête.

En imposant un processus par lequel les juges enquêtent eux-mêmes sur les allégations d’inconduite formulées contre leurs collègues, la Loi sur les juges met la magistrature à l’abri des actes d’intimidation ou de représailles de la part du pouvoir exécutif ou d’une partie insatisfaite d’un jugement ou de la pression populaire du jour.

De plus, puisque la loi prévoit que nous, parlementaires, ne pouvons révoquer un juge qu’après avoir reçu le rapport et la recommandation des juges chargés de l’enquête, les Canadiens et les Canadiennes peuvent être assurés que cette mesure draconienne n’est prise que lorsqu’elle est véritablement justifiée. Enfin, la jurisprudence de la Cour suprême a établi que le processus d’enquête doit assurer une équité procédurale pour les juges faisant l’objet d’une enquête et préserver en tout temps l’indépendance judiciaire.

Durant les années 2010, le Conseil de la magistrature a adopté diverses modifications à ses règlements internes afin de rendre son processus de traitement des plaintes plus efficace. Cependant, ces efforts n’ont pu remédier aux obstacles découlant des exigences prévues dans la loi elle-même.

De l’avis de plusieurs, dont le Conseil de la magistrature, l’Association canadienne des juges des cours supérieures et le Barreau canadien, les structures et les procédures prévues à la Loi sur les juges doivent être modernisées. Après tout, elles ont été mises en place en 1971, alors que le conseil recevait une dizaine de plaintes par année. Il est grand temps de s’adapter à la nouvelle situation.

Pire encore, on a vu que ces procédures pouvaient faire l’objet d’abus par certains juges faisant l’objet d’enquêtes, ce qui met en péril la confiance du public, que le système qui a été mis en place en 1971 devait pourtant susciter.

En ce qui concerne les lacunes du modèle actuel, plusieurs problèmes se sont révélés être des sources de préoccupation. Je pense notamment à la durée et au coût du processus disciplinaire de la magistrature.

Les comités d’enquête constitués par le conseil sont considérés comme des tribunaux administratifs fédéraux. À ce titre, leurs décisions, qu’elles soient interlocutoires ou définitives, sont sujettes à révision, d’abord par la Cour fédérale, puis par la Cour d’appel fédérale et, éventuellement, sur autorisation, par la Cour suprême du Canada.

Par conséquent, le juge faisant l’objet de la plainte a la possibilité de demander une révision judiciaire pas moins de trois fois pour un grand nombre de décisions d’un comité d’enquête, y compris des décisions interlocutoires.

Ce processus a donné lieu à du zèle adversatif et à de l’abus de procédure. Des accusés lançaient des procédures de révision judiciaire simplement pour temporiser plutôt que pour essayer de faire valoir des intérêts juridiques valables. Ainsi, les enquêtes sur la conduite d’un juge peuvent donc être retardées pendant des années.

Dans une affaire récente, un processus de plainte amorcé en 2012 a amené le conseil à recommander la destitution d’un juge. Le processus s’est terminé neuf ans plus tard.

Dans un communiqué sur cette affaire après que la Cour d’appel fédérale ait rendu sa décision à l’été 2020, le conseil a déclaré à la presse :

Plus particulièrement, au cours de la dernière décennie, nous avons tous été témoins d’enquêtes publiques qui se sont éternisées et se sont avérées beaucoup trop coûteuses. Nous avons été témoins de demandes incalculables de contrôle judiciaire visant tous les aspects possibles du processus. Ces demandes ont été énormément onéreuses en temps, en argent et en efforts pour nos tribunaux fédéraux. De plus, tous ces coûts, y compris les dépenses occasionnées par le juge qui est au cœur de l’enquête, sont pris en charge par les contribuables. Le juge en cause continue de recevoir la totalité de son traitement et de ses prestations de retraite pendant que le temps s’écoule. Cela donne l’impression que le juge tire profit de ces délais. Le problème est systémique plutôt qu’individuel : problème systémique qui, disons-le franchement, va à l’encontre de l’intérêt public et de l’accès à la justice.

Le 25 février 2021, à la fin de tout ce processus au sujet du juge concerné, le juge en chef du Canada, le très honorable Richard Wagner, a affirmé ceci :

À titre de Président du Conseil canadien de la magistrature, je réitère la nécessité d’adopter les réformes législatives que réclame le Conseil depuis longtemps déjà afin d’améliorer le processus de discipline judiciaire et ainsi maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice. Au nom de la magistrature et du public qu’elle dessert, j’accueille donc avec satisfaction l’engagement du ministre de la Justice et du Premier ministre de procéder aux dites réformes dans les meilleurs délais afin d’éviter que de telles sagas ne se répètent. Comme l’a déclaré le ministre de la Justice aujourd’hui même, « les Canadiens méritent mieux ».

C’était en février 2021. Nous sommes en février 2023, et c’est la troisième fois que j’essaie de répondre à cet appel à l’action. J’espère que cette fois sera la bonne et que vous m’aiderez à mener à terme ce projet de loi adopté à l’unanimité à l’autre endroit.

Pendant ces neuf années, jusqu’à ce qu’il décide de prendre sa retraite avant qu’une motion demandant sa destitution soit présentée, le juge a continué de recevoir son entière rémunération et a accumulé suffisamment d’années de service — de « service » — pour avoir droit à ses prestations de retraite. Comme un juge doit avoir été en poste pendant au moins 10 ans avant d’avoir droit à des prestations de retraite, le juge a étiré les procédures pendant neuf ans. De plus, les frais juridiques que le Conseil de la magistrature et le juge doivent payer sont assumés par les contribuables, même pour l’appel que la Cour d’appel fédérale a jugé abusif. D’ailleurs, le Trésor public a dû débourser des millions de dollars.

La Loi d’exécution du budget de 2021 a mis fin à l’accumulation des droits à pension au moyen d’une modification de la Loi sur les juges de façon à ce que la pension d’un juge soit suspendue dès qu’un comité d’audience plénier détermine que la révocation du juge est justifiée. Je suis certain que vous vous en étiez rendu compte lorsque nous avons adopté le projet de loi d’exécution du budget, qui était énorme. C’était dans le projet de loi, je l’ai vu.

À moins que la décision soit annulée en appel ou rejetée par le ministre de la Justice ou par l’une ou l’autre des Chambres du Parlement, le juge n’a maintenant plus droit de toucher les prestations de pension accumulées une fois que le conseil détermine que sa révocation est justifiée. Ainsi, le juge n’a plus d’avantage financier personnel à prolonger durant des années les procédures judiciaires pour contester la décision du conseil de proposer sa révocation.

Une autre lacune du processus actuel est que la Loi sur les juges donne seulement au conseil le pouvoir de recommander la révocation d’un juge ou de s’y opposer. Il ne peut pas imposer de sanctions moins sévères pour des cas d’inconduite qui ne répondent pas aux conditions nécessairement élevées qu’il faut remplir pour révoquer des juges. Par conséquent, des cas d’inconduite pourraient ne pas être sanctionnés parce qu’ils ne s’approchent manifestement pas de cette barre élevée, alors qu’ils mériteraient plutôt une sanction moins sévère, comme l’obligation de suivre une formation sur un sujet en particulier.

Les juges risquent aussi d’être exposés à une enquête publique complète et de subir la honte de voir leur révocation examinée sur la place publique, pour des comportements qui pourraient être corrigés de manière plus raisonnable par d’autres procédures et des sanctions moins sévères.

Les modifications visant à corriger ces lacunes permettront non seulement de rendre le déroulement des audiences plus souple et mieux adapté aux allégations qui les entraînent, mais aussi d’offrir davantage de possibilités de règlement rapide et de réserver les audiences les plus coûteuses et les plus complexes pour les cas les plus graves.

Enfin, la Loi sur les juges exige que la recommandation concernant la révocation d’un juge soit présentée au ministre de la Justice par le conseil lui-même, plutôt que par le comité d’enquête mis sur pied pour examiner la conduite d’un juge en particulier. Ainsi, une fois que le comité d’enquête a tiré ses conclusions — après parfois quelques années —, le conseil doit délibérer, en présence d’au moins 17 membres, et préparer un rapport et une recommandation à l’intention du ministre. Les membres doivent prendre connaissance de l’ensemble du dossier devant le comité d’enquête, entendre les représentations du juge s’il souhaite en faire et décider ensuite de confirmer ou non la recommandation du comité d’enquête.

Cette façon de faire va au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale et impose un fardeau important en matière de temps et d’énergie pour au moins 17 juges en chef et juges en chef adjoints.

Comme le conseil lui-même le reconnaît, cette façon de faire est inefficace et contraire à l’intérêt du public, qui est que les ressources judiciaires soient utilisées de manière optimale. Cela aussi doit changer.

Il faut également souligner la consultation publique sur la réforme du processus disciplinaire que le gouvernement a menée en 2016, qui a permis de constater un fort appui en faveur de l’élaboration d’un processus disciplinaire plus transparent et plus facilement compréhensible par le public, notamment par l’accroissement des possibilités pour les membres du grand public qui n’ont pas de formation juridique de participer à ce processus.

Le gouvernement a ensuite bénéficié d’échanges avec des représentants du conseil et de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui représente la quasi-totalité des 1 200 juges des cours supérieures du Canada, au sujet de leurs préoccupations et de leur vision respectives quant à la réforme du processus disciplinaire. Vous pouvez être sûrs que, en qualité d’ancien président de cette association et avant d’accepter de parrainer ce projet de loi, je me suis assuré que mes anciens collègues étaient d’accord avec son contenu. Je reviendrai sur l’importance de ces consultations à la fin de mon allocution.

Pour le moment, il faut souligner qu’à peu près tous les intervenants du monde juridique appuient les modifications qui vous sont présentées, lesquelles amélioreront l’efficacité, la souplesse et la transparence du processus disciplinaire applicable aux juges, tout en respectant les principes de l’équité et de l’indépendance judiciaire et tout en réduisant les possibilités d’abus et les coûts qui y sont associés. Voilà les objectifs du projet de loi.

Je passe maintenant aux éléments clés du nouveau système proposé.

Le projet de loi à l’étude améliorera la souplesse du processus. Après la réalisation d’un premier contrôle par un agent désigné par le conseil, les plaintes qu’on n’estime pas être dénuées de tout fondement seront renvoyées à un comité d’examen composé de représentants de la magistrature et d’un membre du public. Après avoir examiné la plainte en se fondant uniquement sur les arguments écrits lui ayant été présentés, le comité d’examen pourra imposer des mesures de réparation, à l’exception de la révocation du juge en cause. Par exemple, le comité d’examen pourrait ordonner que le juge suive un cours de perfectionnement professionnel ou qu’il présente des excuses publiques. Cela permettrait de régler rapidement, efficacement et équitablement les cas d’inconduite n’exigeant pas la tenue d’une audience publique en bonne et due forme.

Si le comité d’examen décide qu’une allégation contre un juge pourrait justifier sa révocation, le projet de loi exige que la question soit débattue lors d’une audience publique. Ces audiences se dérouleront différemment de celles des comités d’enquête actuels du conseil. Premièrement, les membres du comité d’audience comprendront un membre du public qui n’est pas juriste, de même qu’un juriste et des juges. Parmi les membres de la magistrature figureront des juges en chef et des juges puînés. Un avocat sera nommé pour présenter la preuve contre le juge, tout comme le ferait un procureur. Le juge continuera de pouvoir soumettre des éléments de preuve et d’interroger des témoins, tout cela avec l’aide de son propre avocat.

Bref, le processus sera structuré comme une audience contradictoire, ce qui reflète bien la gravité des accusations portées contre le juge et renforce la confiance du public dans l’intégrité du système de justice.

À la fin de ces audiences publiques, un comité d’audience déterminera si un juge devrait être révoqué ou non. Le comité fera ensuite part de sa recommandation au ministre de la Justice sans que l’ensemble du conseil fasse un examen intermédiaire. Cette formule favorisera une résolution rapide des allégations les plus graves d’inconduite visant les juges et permettra au ministre, et en dernier lieu au Parlement, de donner rapidement suite à la recommandation du comité d’audience. Les Canadiens peuvent avoir l’assurance qu’on ne recourra à cette mesure, conçue pour être exceptionnelle, que dans les cas où ce sera pleinement justifié.

Depuis 1867, cinq juges ont bien failli faire l’objet d’une motion à la Chambre des communes et au Sénat visant à les relever de leurs fonctions. C’est donc un processus qui n’est pas utilisé souvent.

La rigueur des audiences donnera au ministre, aux parlementaires et à la population en général une confiance dans l’intégrité des conclusions et des recommandations. Le rapport du comité d’audience sera rendu public, pour assurer la transparence et la reddition de comptes.

À la fin du processus d’audiences et avant que le rapport sur la révocation ne soit remis au ministre, le juge dont la conduite est examinée et l’avocat chargé de présenter la cause contre le juge auront le droit de faire appel du résultat devant un comité. Ce mécanisme d’appel remplacera le recours actuel à la révision judiciaire par les cours fédérales. En d’autres termes, plutôt que de soumettre les audiences du Conseil canadien de la magistrature à un examen externe à plusieurs niveaux, avec les coûts et les retards qui en découlent, le nouveau processus comprendra un mécanisme interne d’appel juste, efficient et cohérent interne.

Ce comité d’appel sera composé de cinq juges, des juges en chef et des juges puînés, qui tiendront des audiences publiques semblables à celles d’une cour d’appel et qui disposeront de tous les pouvoirs nécessaires pour remédier efficacement à toute lacune dans le processus du comité d’audience. Une fois que le comité d’appel aura rendu sa décision, le seul recours qui restera au juge et à l’avocat chargé de présenter l’affaire consistera à demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada. Le fait de confier la surveillance du processus à la Cour suprême du Canada renforcera la confiance du public et évitera des procédures de contrôle judiciaire interminables à divers échelons du système judiciaire.

Ce processus d’appel devra respecter des délais stricts, et les résultats obtenus seront intégrés au rapport et aux recommandations qui seront finalement présentés au ministre de la Justice.

En plus de renforcer la confiance envers l’intégrité du processus de discipline judiciaire, ces réformes devraient permettre de réduire la durée des procédures de plusieurs années.

Pour maintenir la confiance du public, le processus disciplinaire applicable aux juges doit donner des résultats non seulement dans un délai raisonnable, mais à un coût raisonnable. Les coûts devraient être aussi transparents que possible et assujettis à de solides contrôles financiers. Le projet de loi prévoit donc des dispositions robustes pour faire en sorte que les coûts liés au processus soient gérés prudemment.

Dans l’ensemble, le nombre d’enquêtes disciplinaires applicables aux juges varie d’année en année, ce qui fait en sorte qu’il est impossible d’établir un budget précis des coûts pour une année donnée. Cela oblige les administrateurs à recourir à des mécanismes lourds pour obtenir le financement nécessaire de façon ponctuelle. Ce financement est assuré par l’intermédiaire du bureau du commissaire à la magistrature.

Pour remédier à ce problème, le projet de loi diviserait les coûts du processus en deux volets. Le financement requis pour les coûts stables et prévisibles — ceux qui sont associés à l’examen des plaintes et aux enquêtes au jour le jour — continuerait de faire l’objet de demandes pendant le cycle budgétaire ordinaire et serait inclus dans le budget affecté au conseil. Selon les estimations du ministère, les coûts se situeront entre 300 000 $ et 500 000 $ par année.

Quant au deuxième volet, qui concerne les coûts très changeants et imprévisibles associés aux affaires qui donnent lieu à des audiences publiques, il serait financé au moyen de crédits législatifs ciblés prévus par le projet de loi. Autrement dit, les paiements nécessaires pour couvrir les coûts associés aux audiences publiques proviendraient directement du Trésor public.

Étant donné que certaines dispositions du projet de loi que j’ai présenté pour la deuxième fois en faisaient un projet de loi de finances, le Président de la Chambre des communes a établi qu’il devait être présenté d’abord à la Chambre des communes.

Évidemment, il ne s’agit pas d’affecter librement des fonds provenant du Trésor public, mais rappelons que les audiences en question sont une obligation constitutionnelle. Pour qu’un juge puisse être révoqué, il faut que sa conduite fasse l’objet d’une audience dirigée par un juge. Il est donc approprié qu’une telle dépense non discrétionnaire, engagée dans l’intérêt public et afin de respecter une obligation constitutionnelle, soit couverte grâce à un accès stable et effectif au Trésor public.

Cela dit, le Parlement doit avoir l’assurance que la portée de ces crédits législatifs est clairement définie. Il est essentiel que les différents types de dépenses liées au processus, de même que des lignes directrices quant aux montants permis, soient clairement établis. Il faut une reddition de comptes et de la transparence pour que le Parlement et les Canadiens puissent bien voir que les fonds publics sont gérés prudemment.

C’est pourquoi les dispositions portant sur la création de crédits indiquent clairement que seules les dépenses nécessaires à la tenue d’audiences publiques sont incluses. De plus, ces dépenses seront assujetties à des règlements pris par le gouverneur en conseil. Les règlements prévus comprennent des limites quant aux honoraires que les avocats participant au processus peuvent facturer, et ils prévoient que le juge en cause ne peut avoir qu’un seul avocat principal, et non une armée d’avocats.

Le projet de loi exige également que le commissaire à la magistrature fédérale établisse des lignes directrices fixant les dépenses et les honoraires à rembourser et les indemnités à verser qui ne sont pas précisément traitées dans les règlements gouvernementaux. Ces lignes directrices doivent être conformes à celles du Conseil du Trésor concernant des dépenses similaires, et toute différence doit être justifiée.

Je signale que le commissaire à la magistrature fédérale, qui est responsable d’administrer ces coûts, est administrateur général et agent comptable, et doit donc rendre des comptes aux comités parlementaires.

Enfin, le projet de loi rend obligatoire tous les cinq ans un examen indépendant de toutes les dépenses payées à même les crédits législatifs. L’examinateur indépendant fera rapport au ministre de la Justice, au commissaire et au président du Conseil canadien de la magistrature. Son rapport évaluera l’efficacité de toutes les politiques applicables aux contrôles financiers et sera rendu public.

L’ensemble de ces mesures relèvera le niveau de responsabilité financière concernant les coûts relatifs à la discipline judiciaire, tout en remplaçant l’approche de financement lourde et improvisée qui est en place. Il s’agit d’un complément nécessaire aux réformes procédurales. Tant l’efficacité procédurale que la responsabilité financière concernant les dépenses publiques sont nécessaires pour garder la confiance du public.

Enfin, je vais parler de la consultation.

Lors de l’élaboration des réformes, le gouvernement a accordé une attention particulière aux commentaires de la population, qui ont été recueillis au moyen d’un sondage en ligne, ainsi qu’à ceux d’un certain nombre d’intervenants juridiques clés, dont l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, les provinces et les territoires.

De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, le conseil et l’Association canadienne des juges des cours supérieures ont été parties prenantes au processus. L’apport de ses représentants de la magistrature était nécessaire et approprié, car il s’agit d’un processus qui, selon la Constitution, doit être dirigé et administré par les juges. En consultant le conseil, le gouvernement a pu bénéficier du point de vue de ceux qui sont directement responsables de l’administration du processus disciplinaire applicable aux juges.

De plus, en consultant l’Association canadienne des juges des cours supérieures, le gouvernement a pu entendre directement les représentations de ceux qui sont assujettis à ce processus.

Dans le même communiqué que j’ai mentionné précédemment, le très honorable Richard Wagner, juge en chef du Canada, a déclaré ceci, et je cite :

Au cours des dernières années, le Conseil n’a cessé de réclamer le dépôt d’une nouvelle loi afin d’améliorer le processus d’examen de la conduite des juges. Les efforts des membres du Conseil pour élaborer des propositions à cet égard ont été fructueux et nous apprécions l’ouverture dont le ministre de la Justice a fait preuve dans ses consultations avec le Conseil. […] Bien que le Conseil prendra le temps requis pour examiner attentivement les modifications proposées, nous sommes confiants que ces réformes apporteront l’efficacité et la transparence essentielles au processus d’examen de la conduite des juges.

Puisque notre objectif est de concevoir un processus qui permettant aux juges eux-mêmes de remplir une mission importante et publique, j’espère que nos délibérations seront guidées par le respect de leur expérience et de leur sagesse.

Je souligne également que, le 9 juin 2021, le Conseil canadien de la magistrature a, comme je l’ai mentionné plus tôt, publié de nouveaux principes en matière de déontologie judiciaire. Le tout représente d’énormes efforts de modernisation.

En conclusion, il y a plus de 50 ans, nos prédécesseurs ont eu la prévoyance de créer un processus disciplinaire applicable aux juges pour éliminer toute possibilité d’ingérence politique en permettant à la magistrature d’exercer un contrôle réel sur les enquêtes visant ses membres.

Aujourd’hui cette forme de leadership judiciaire est bien établie et respectée. C’est un signe de respect pour l’indépendance de la magistrature garantie par la Constitution, et cela aide le public à avoir confiance dans les institutions du système de justice qui sont là pour le servir.

Nous devons maintenant renouveler cet engagement en modernisant le processus disciplinaire de la magistrature, en fournissant aux gardiens du système judiciaire un cadre législatif offrant tous les outils nécessaires pour protéger la confiance du public. Ces outils visent notamment à accroître l’efficacité, à assurer la transparence et la reddition de comptes, à apporter de la souplesse et à faire respecter les normes les plus rigoureuses en matière d’équité procédurale. Je ne saurais donc trop vous recommander d’adopter le projet de loi dont vous être saisis. J’attends avec impatience son adoption. Merci, meegwetch.

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