L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-7.
J’ai écouté et je continuerai d’écouter attentivement mes collègues, et je reconnais qu’il s’agit d’une question profondément personnelle pour beaucoup, que ce soit en raison d’expériences personnelles ou de croyances bien ancrées. Je respecte les différents points de vue et je ne doute pas de la sincérité des sénateurs qui se sont exprimés à ce sujet.
Le projet de loi C-7, cependant, est une mesure législative adoptée par l’autre endroit, qui nécessite un examen et un consentement de notre part avant de pouvoir entrer en vigueur. Il nous a été soumis à la suite de la décision de la Cour supérieure du Québec qui a annulé certaines dispositions du projet de loi C-14 en raison de leur inconstitutionnalité. Le projet de loi C-7 est une réponse à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec. Il n’est pas une remise en cause du projet de loi C-14, adopté en 2016.
Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que le temps qui nous a été accordé est déraisonnable et que beaucoup de reproches ont été formulés. Une pandémie mondiale, des changements de politiques et de priorités gouvernementales qui s’ensuivent, une prorogation pour repartir à zéro et de l’obstruction à l’autre endroit n’aident pas les choses. Cependant, voilà la situation, et nous sommes parfaitement capables d’examiner le projet de loi et d’accomplir nos devoirs constitutionnels.
Premièrement, le projet de loi C-7 n’est pas une nouvelle politique ni une priorité du gouvernement. C’est une réponse à une décision judiciaire qui doit être respectée. Pour ceux d’entre vous qui estiment que le gouvernement aurait dû faire appel de la décision de la Cour supérieure du Québec et permettre à la Cour suprême de trancher la question de manière décisive, une opinion que je partage en quelque sorte, je vous rappelle que le comité parlementaire mixte ainsi que le Sénat — notamment le sénateur Carignan, le 11 juin 2016 — avaient signalé la probable inconstitutionnalité du critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible ».
D’ailleurs, le Sénat avait adopté un amendement pour y remédier, mais l’autre endroit l’a rejeté. Le Sénat a ensuite approuvé la décision des députés élus, comme il se devait de le faire. Bien franchement, ce n’est pas le devoir du Sénat d’abandonner l’étude de ce projet de loi ni de le rejeter.
Deuxièmement, le projet de loi C-7 n’est pas une remise en cause du projet de loi C-14. L’aide médicale à mourir est maintenant inscrite dans la loi au pays. La question de la constitutionnalité du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible dans le contexte d’une demande d’aide médicale à mourir a été tranchée. Ce critère est inconstitutionnel.
Refuser la demande d’une personne qui souffre d’une maladie prolongée et incurable parce que sa mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible n’est plus autorisé dans la province de Québec. La seule question dont nous sommes saisis consiste à déterminer si cette même demande peut être faite par les Canadiens du reste du Canada qui souffrent d’une maladie prolongée et incurable.
Nous avons entendu les préoccupations exprimées par les défenseurs des intérêts des personnes handicapées. Ils craignent que le projet de loi C-7 permette aux personnes qui souhaitent mourir en raison de leur situation ou du manque de soutien — attribuables au fait que le gouvernement manque à son devoir à leur endroit — de se prévaloir de l’aide médicale à mourir. L’aide financière insuffisante, le manque de logements adéquats et la difficulté à accéder à des soins à domicile ou à des soins palliatifs sont des préoccupations valables pour les personnes qui vivent avec un handicap. Ce sont également des questions qui, constitutionnellement, relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux, comme la gestion de la pratique médicale. Le projet de loi C-7 n’aborde aucune de ces questions, car elles dépassent sa portée.
Je sais toutefois que les provinces sont saisies de la question. Il y a deux semaines, un nouveau projet de loi portant exclusivement sur les soins palliatifs, la Loi de 2020 sur les soins de compassion, a été adopté par le gouvernement de l’Ontario avec l’appui de tous les partis. Ce projet de loi a pour but d’obliger le ministre de la Santé à élaborer un cadre provincial visant à favoriser un meilleur accès aux soins palliatifs, que ces soins soient fournis à domicile, dans des hôpitaux, dans des foyers de soins de longue durée ou dans des maisons de soins palliatifs. On voit donc que c’est une question relevant des provinces, mais le gouvernement fédéral apporte une collaboration importante. La COVID-19 a peut-être motivé la présentation de ce projet de loi provincial, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction pour que les personnes handicapées et les personnes qui ont besoin d’aide profitent pleinement de la vie.
Le projet de loi C-7 prévoit des mesures de sauvegarde pour les personnes qui présentent une demande d’aide médicale à mourir, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Actuellement, les défenseurs des droits des personnes handicapées devraient plutôt s’inquiéter de voir que la mesure de protection prévoyant une période d’attente de 90 jours ne sera plus en vigueur au Québec à compter du 19 décembre si les tribunaux n’acceptent pas la demande de prolongation du gouvernement jusqu’au 26 février ou si le Parlement ne réussit pas à adopter le projet de loi avant cette date.
Je suis favorable à ce que, dans la mesure du possible, l’on procure tout le soutien nécessaire aux personnes qui ont besoin d’aide pour vivre. Je suis également pour l’idée que l’on respecte le choix des adultes compétents qui se retrouvent dans une situation où la souffrance qui les accable est devenue si intolérable et irrémédiable qu’ils en viennent à décider, après mûre réflexion, de demander l’aide médicale à mourir. J’aimerais citer le paragraphe 680 de la décision de la juge Baudouin :
« Le lien que le législateur établit entre l’exigence de la mort naturelle raisonnablement prévisible et la vulnérabilité de toutes les personnes handicapées trahit, ceci dit avec égards, une vision paternaliste à l’égard des personnes comme les demandeurs. En raison de leur handicap, l’État considère invraisemblable que ces personnes puissent exprimer un consentement valable à l’aide médicale à mourir, leur autonomie se trouvant nécessairement compromise par leur vulnérabilité. »
Les défenseurs des droits des personnes handicapées se sont farouchement battus pour qu’elles soient considérées sur le même pied que les autres. Avoir des limites physiques ne doit pas priver une personne du droit de faire les mêmes choix qui sont offerts aux autres personnes vivant avec des souffrances semblables, mais dont la mort est plus prévisible. Le projet de loi C-7 corrige une injustice paternaliste, comme ont plaidé les demandeurs dans l’arrêt Truchon, et en reportant l’adoption de ce projet de loi, le Sénat demande à des adultes compétents de souffrir plus longtemps ou d’attendre que leur maladie les amène aux portes de la mort.
En ce qui a trait à l’accès à l’aide médicale à mourir pour ceux dont le seul problème de santé est la maladie mentale, je suis d’accord avec les observations faites dans cette enceinte par le sénateur Gold. Vu le manque de consensus même au sein de la communauté psychiatrique, il est évident que cette question nécessite beaucoup plus de réflexion et d’étude. Elle devrait être étudiée au cours de l’examen des dispositions législatives sur l’aide médicale à mourir, dans la mesure où les spécialistes du domaine sont incapables de s’entendre.
Le projet de loi C-14 avait prévu un examen quinquennal obligatoire qui devait débuter en juin 2020. Je regrette que cette disposition n’ait pas été respectée dans les délais prescrits par la loi, mais le ministre de la Justice et la ministre de la Santé ont tous les deux déclaré dans leur témoignage devant le comité que l’examen serait bientôt entamé. Pour ma part, je serais favorable à ce que le Sénat effectue cet examen. Nous possédons les compétences, l’expérience et la mémoire institutionnelle des cinq dernières années qui nous permettraient de relever ce défi de taille.
Quels que soient les changements éventuels sur l’échiquier politique, les sénateurs qui feraient partie du comité d’examen seraient en mesure de poursuivre leur analyse et de produire leurs résultats et leurs recommandations. Les renseignements obtenus par le comité pourraient être un outil important pour que le gouvernement puisse formuler ses futures priorités stratégiques relativement à cette question délicate.
Le projet de loi C-7 a été adopté à l’autre endroit par une majorité écrasante de députés dûment élus rattachés à cinq partis. Ce n’était pas un scénario dans lequel un gouvernement majoritaire aurait imposé la ligne de parti à ses 212 députés pour qu’une mesure controversée soit adoptée à l’issue de débats limités. J’espère que les sénateurs saisissent à quel point il est significatif que le projet de loi C-7 arrive au Sénat alors que le gouvernement est minoritaire à la Chambre des communes.
Bref, je ne voterai pas en faveur d’amendements qui modifieraient les dispositions du projet de loi C-7, retarderaient son adoption ou la rendraient impossible. Les mesures de protection prévues sont nécessaires pour les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir au Québec, et les Canadiens d’ailleurs au pays ne devraient pas voir leurs souffrances prolongées parce que le Sénat n’a pas réussi à boucler un projet de loi déjà adopté par une majorité écrasante de députés dûment élus.
Le projet de loi C-7 porte sur le respect des choix et de l’autonomie des personnes. La juge Baudouin a statué que l’aide médicale à mourir était, dans sa forme existante, discriminatoire envers les personnes handicapées qui ne sont pas sur le point de mourir. Le projet de loi à l’étude corrige cette erreur, offre à tous les Canadiens l’option qu’il doit offrir, et respecte les choix faits par les personnes compétentes qui souhaitent mourir dans la dignité.
J’ai énormément de respect pour Sue Rodriguez, Kay Carter, Gloria Taylor, Jean Truchon et Nicole Gladu, qui ont lutté courageusement pour faire respecter leur droit de choisir et qui ont pavé la voie pour qu’on accorde ce même droit à tous les Canadiens se trouvant dans de telles circonstances difficiles. Honorons leur mémoire en procédant rapidement aux délibérations, aux débats et à l’adoption de cette mesure législative. J’espère que nous pourrons renvoyer le projet de loi C-7 au comité avant le congé de Noël, puis conclure les délibérations dès notre retour afin de respecter notre obligation d’adopter cette mesure législative à la mi-février.
Des voix : Bravo!