Deuxième lecture du projet de loi C-226, Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Par: L'hon. Marty Klyne

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L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-226, qui est parrainé par la sénatrice McCallum. Le projet de loi propose d’obliger le ministre de l’Environnement et du Changement climatique à élaborer une stratégie nationale pour promouvoir les efforts visant à réparer les dommages causés par le racisme environnemental. C’est la deuxième fois que l’on tente de faire adopter le projet de loi au Parlement. Son prédécesseur, le projet de loi C-230, est mort au Feuilleton à la fin de la 43e législature. J’espère qu’ensemble, nous parviendrons à faire en sorte que cette version du projet de loi franchisse la ligne d’arrivée.

J’appuie le projet de loi parce que le racisme environnemental est une question que les gouvernements successifs ont omis d’aborder, et parce que les efforts pour s’attaquer à ce problème n’ont que trop tardé et qu’il est temps de s’y attaquer. Le projet de loi C-226 est un élément important de la réconciliation, non seulement avec les peuples autochtones, mais aussi avec toutes les personnes dont les terres ou les eaux ont été empoisonnées, dont la qualité de l’air s’est détériorée et dont la vie a été mise à mal à cause de ce type de discrimination — une forme d’autoritarisme, en quelque sorte.

Il n’existe pas de définition universellement acceptée du « racisme environnemental ». Comme nous l’a appris le discours de la sénatrice McCallum, l’une des définitions, plutôt générale, parle de discrimination dans l’élaboration des politiques environnementales. J’ajouterais, ou en l’absence de telles politiques. Cela peut vouloir dire prendre des décisions sans faire preuve de la prudence et de l’attention nécessaires, dans le cas d’installations de traitement des déchets et d’infrastructures connexes qui touchent de façon disproportionnée des communautés racialisées ou marginalisées, permettre la présence de niveaux élevés de polluants potentiellement mortels dans des régions principalement peuplées de groupes minoritaires, ou encore exclure les voix minoritaires de dirigeants du mouvement écologiste. Bien que les définitions exactes diffèrent, le problème est simple.

Si le racisme est largement reconnu et compris, le concept de racisme environnemental est parfois remis en question. De quoi s’agit-il, alors?

Depuis plusieurs générations, les gouvernements et les sociétés civiles prennent des décisions en matière d’environnement dont les effets néfastes touchent de façon disproportionnée les communautés racialisées et marginalisées. Bon nombre de ces décisions ont été prises sans que les communautés concernées soient consultées ou aient leur mot à dire. Il suffit de regarder le bilan du Canada en matière de politique environnementale pour conclure que le racisme environnemental est indéniable. J’en donnerai des exemples dans un instant.

Les sénateurs ont peut-être déjà entendu un autre argument déconcertant, à savoir que le changement climatique a une composante raciale. En fait, cela tombe sous le sens si l’on considère que les pays occidentaux industrialisés ont bâti leur économie en brûlant de façon disproportionnée des combustibles fossiles, ce qui a causé en même temps des dommages disproportionnés dans les régions moins développées du monde. D’ailleurs, à la COP 26, la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de 2021, les dirigeants de l’Afrique ont fait valoir qu’il faudrait des investissements d’une valeur de 1,3 billion de dollars au cours des deux prochaines décennies pour que ce continent puisse mettre en place des mesures d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation des risques.

Les effets sont déjà visibles. Dans un rapport publié par la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, on apprend que les catastrophes climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes sont responsables du décès de plus de 410 000 personnes, principalement dans des pays à faible revenu.

Quand il est question de racisme environnemental, l’un des plus grands défis est que la discussion tourne souvent autour des emplois et du développement économique. Quand on parle de racisme environnemental, on pense habituellement aux usines de papier, aux usines de fabrication, aux stations de traitement des eaux usées et à l’exploitation minière, qui sont des exemples d’entreprises pouvant avoir un impact majeur sur l’environnement et étant habituellement situées loin de la banlieue urbaine. Ces installations emploient de nombreuses personnes et elles soutiennent une grande part de l’activité économique au Canada. Par ailleurs, les emplois dans ces entreprises sont souvent bien rémunérés et assortis d’avantages sociaux et d’un régime de retraite. Nous ne pouvons pas et ne devons pas mettre de côté ces facteurs.

Néanmoins, lorsqu’on demande au gouvernement de s’attaquer au racisme environnemental, cela signifie souvent qu’il doit avoir des conversations difficiles avec des entreprises qui emploient nos amis, les membres de notre famille et nos voisins. Il n’est pas facile pour les élus de décider de fermer une scierie locale ou de dire à un grand employeur qu’il doit faire plus pour répondre aux préoccupations environnementales. Il est encore plus difficile de dire à ces entreprises que leurs actions ont affecté de manière disproportionnée les personnes racialisées. Souvent, ces entreprises riposteront et les gouvernements reculeront, préférant laisser perdurer le statu quo plutôt que de se battre pour ce qui est juste.

C’est pour cela que je soutiens ce projet de loi, car il aidera le gouvernement fédéral à opérer un changement positif — à tout le moins, à opérer un changement, même s’il peut être difficile.

Permettez-moi de vous présenter quelques exemples de racisme environnemental au Canada. Je vais commencer par ma province. Comme nous le savons tous, le Canada rural est parsemé de petites localités et de petits villages. Le Nord de la Saskatchewan ne fait pas exception à la règle. C’est un vaste espace peu peuplé qui foisonne de beautés naturelles. La population du Nord est composée en grande partie d’Autochtones qui entretiennent un lien sacré avec la terre. Toutefois, le Nord de la Saskatchewan est aussi bien connu pour ses mines d’uranium. En fait, c’est là qu’on retrouve le plus important gisement de minerai d’uranium à haute teneur au monde. Comme c’est le cas pour la plupart des industries d’extraction de ressources, l’extraction de l’uranium peut avoir des répercussions sur l’environnement. Malheureusement, ces répercussions semblent avoir frappé de manière disproportionnée les peuples autochtones qui vivent dans la région depuis des temps immémoriaux.

Prenons l’exemple d’Uranium City. C’est une petite bourgade située juste au sud de la frontière entre la Saskatchewan et les Territoires du Nord-Ouest, sur le territoire traditionnel des Dénés Chipewyans. Comme son nom le laisse entendre, Uranium City a déjà été un haut lieu de l’extraction d’uranium et sa population a explosé dans les années 1950. Pendant une courte période, cette ville et d’autres semblables ont fait fortune pendant que les mines étaient en activité. Aujourd’hui, la ville qu’était autrefois Uranium City n’est plus qu’un lointain souvenir.

Même si l’extraction de l’uranium était rentable, les Dénés et d’autres peuples autochtones étaient souvent dans l’impossibilité de profiter de la prospérité économique apportée par les mines. Non seulement ils ont subi le racisme et des pratiques d’embauche discriminatoires, mais ils étaient aussi exposés à la poussière radioactive et aux résidus dangereux des mines. Nombre de travailleurs autochtones n’ont pas été informés des dangers liés au travail dans les mines, et beaucoup sont morts plus tard du cancer ou ont éprouvé d’autres problèmes de santé.

L’exploitation des mines près d’Uranium City a cessé dans les années 1980. Malheureusement, initialement, très peu a été fait pour assainir la terre. Il a fallu des décennies pour assainir les anciens sites d’exploitation minière, et le processus a été enlisé dans des litiges et des querelles de compétence. Entretemps, ceux qui ont travaillé dans des mines semblables et aux alentours ont présenté des taux élevés de cancer du poumon et d’autres problèmes de santé plusieurs années après avoir cessé d’y travailler.

La voix des Dénés de la région n’a pas pu se faire entendre au moment de la construction des mines. Elle n’a pas pu se faire entendre lorsque les travailleurs ont commencé à avoir des problèmes de santé. Et elle n’a pas pu se faire entendre lorsque les gouvernements et les sociétés ont laissé la terre dans un état lamentable après la fermeture des mines.

Malheureusement, les mines d’uranium du Nord du Canada ne constituent pas le seul exemple de racisme environnemental au pays. Je m’en voudrais de ne pas souligner que, de nos jours, ces mines tiennent adéquatement compte des enjeux environnementaux et sociaux et des enjeux liés à la gouvernance et à la responsabilité des entreprises. Il faut être réaliste : ces mines, usines, cimenteries et autres installations du genre ne peuvent pas prendre les lignes électriques, les canalisations de gaz et les dépôts de minerais et s’en aller ailleurs en laissant la communauté à son sort.

Néanmoins, nous avons entendu parler d’exemples similaires de racisme environnemental notamment à Boat Harbour, en Nouvelle-Écosse, où des effluents ont été rejetés dans les cours d’eau dont la Première Nation de Pictou Landing se sert depuis des décennies. Il y a un autre exemple ici, en Ontario, sur le territoire de la Première Nation de Grassy Narrows. Là-bas, l’eau a été rendue insalubre et les impacts ont été subis par des générations de familles.

Depuis des générations, il y a une usine de papier à Dryden, en Ontario. Il y a encore à ce jour une usine de papier. Son passé est entaché. Dans les années 1960 et 1970, l’usine de produits chimiques connexe a déversé 9 000 kilogrammes de mercure dans la rivière English-Wabigoon. Le mercure a empoisonné la rivière dont la population de Grassy Narrows avait besoin pour la pêche. Il y a des problèmes d’empoisonnement au mercure dans la communauté depuis cette époque. Au départ, ni l’entreprise ni le gouvernement provincial n’acceptaient la responsabilité de ce qui s’était produit. Il a fallu des années avant d’arriver à un règlement, mais il était alors déjà beaucoup trop tard.

Enfin, mon dernier exemple provient de la Nouvelle-Écosse. Il s’agit de l’histoire d’une communauté historique dont la mémoire se perpétue. Il y a plusieurs décennies, dans le secteur Nord d’Halifax, se trouvait une communauté baptisée Africville. C’était une petite communauté majoritairement noire, que les anciens habitants décrivent comme agréable, dynamique, et dotée d’une ambiance familiale. Pourtant, cette communauté n’a pas été bien traitée par la Ville d’Halifax, qui lui a refusé des services qui avaient pourtant été consentis à d’autres quartiers au fil des années, comme l’éclairage public, le ramassage des ordures, et l’eau courante dans les foyers. Pire encore, la ville s’est souvent servie d’Africville et de ses environs pour y implanter des services dont personne ne voulait dans d’autres quartiers, comme une usine d’engrais, une prison, un abattoir et, oui, une décharge. Tous ces services ont été implantés dans une communauté de 400 personnes et dans ses environs immédiats, sans tenir compte de ses habitants.

Lorsqu’on parle de racisme environnemental, on devrait penser ni aux usines de pâtes et papiers ni aux mines d’uranium, pas plus qu’à l’activité économique que génèrent ces entreprises. Lorsqu’on parle de racisme environnemental, on devrait plutôt penser aux hommes de la nation dénée qui ont travaillé dans ces mines et qui sont morts du cancer. On devrait aussi penser aux grands-mères qui vivent sur le territoire de la Première Nation de Grassy Narrows et qui craignent que le mercure qui a détruit leur santé n’affecte aussi la santé de leurs petites-filles. On devrait aussi penser à une petite communauté noire, ignorée par la ville où elle réside et dont le milieu de vie est utilisé comme dépotoir. Voilà des exemples de racisme environnemental, et c’est aux victimes de ce racisme que nous devrions penser lors de l’étude du projet de loi C-226.

Une stratégie nationale aidera de façons bien précises. Premièrement, nous devons nous assurer que les communautés marginalisées sont consultées et que leurs voix sont entendues et prises en considération dans la prise de décisions liées à leur environnement. Ces communautés doivent avoir voix au chapitre par rapport à ce qui se produit dans leurs voisinages. Une stratégie nationale nous permettra d’apprendre des erreurs du passé et de progresser de manière plus inclusive. De plus, elle aidera à déterminer les prochaines étapes et les investissements ciblés nécessaires au développement durable des communautés marginalisées si résilientes.

Une stratégie nationale est un premier pas important vers la planification d’un avenir meilleur et l’élimination du racisme environnemental.

Personnellement, je trouve bien peu d’éléments dans ce projet de loi auxquels on pourrait s’opposer. J’ai été étonné d’apprendre qu’il n’ait pas été adopté à l’unanimité à l’autre endroit. Par conséquent, j’aimerais revenir sur certaines des préoccupations soulevées au cours du débat.

Certains ont remis en question l’efficacité de la création d’une stratégie nationale supplémentaire. Selon moi, cela n’a rien à voir avec le choix de l’intervention la plus facile ou la plus difficile. D’autres ont souligné l’importance de reconnaître les différences entre les régions et les provinces. Faisons des progrès. Intervenons. Je comprends ces critiques, mais je crois qu’un outil législatif tel qu’une stratégie nationale s’impose pour remédier aux problèmes que vivent les victimes de racisme environnemental.

Bien que je comprenne les préoccupations liées au fait qu’il s’agit d’une énième stratégie nationale et qu’elle ajoute un élément de plus au régime complexe de la politique environnementale du Canada, il est évident qu’une telle stratégie est nécessaire pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les personnes racisées. Elles ont autant le droit à un environnement sain que les autres Canadiens, et, alors que nous sommes en 2023, elles se voient encore refuser ce droit.

Lorsque nous voterons sur ce projet de loi, j’espère que les sénateurs penseront aux communautés les plus touchées par le racisme environnemental. Ces communautés ne peuvent pas attendre plus longtemps, et c’est un problème que nous ne pouvons plus ignorer. J’espère que les sénateurs appuieront le projet de loi C-226 afin que nous puissions le renvoyer au comité et faire un pas de plus vers un Canada plus équitable pour tous. Je vous remercie. Hiy kitatamîhin.

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