Deuxième lecture du projet de loi C-226, Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Par: L'hon. Wanda Thomas Bernard

Partager cette publication:

L’honorable Wanda Thomas Bernard : Merci, Votre Honneur. Je veux aussi vous féliciter et vous souhaiter la bienvenue en tant que Présidente.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-226, Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale. Je souligne que nous nous trouvons sur le territoire non cédé de la nation algonquine et que je vis à Mi’kma’ki, le territoire ancestral et non cédé du peuple mi’kmaq. Il est particulièrement important pour moi de le souligner aujourd’hui, compte tenu du sujet qui nous occupe, le racisme environnemental. Je remercie Elizabeth May et Lenore Zann pour leur travail à l’autre endroit. Je remercie la sénatrice McCallum d’avoir parrainé ce projet de loi très important ici au Sénat et d’avoir partagé ses façons de savoir et d’être. C’est un véritable cadeau.

Honorables sénateurs, lorsque je parle de communautés marginalisées, je parle de groupes de personnes qui sont parfois physiquement en marge des collectivités. Pensons à la périphérie des grands centres urbains. Vous y verrez des décharges, des industries et des sites indésirables. Vous y verrez également des communautés racialisées. Lorsque je prononce le nom d’une communauté située au sud de notre pays, Flint, dans le Michigan, la plupart des Canadiens comprennent l’ampleur de la crise dévastatrice de l’eau potable qui touche les Afro-Américains. Permettez-moi de vous dire qu’il y a de nombreuses collectivités comme Flint ici même au Canada, où, dans bien des cas, les conditions de vie sont délétères.

L’un des exemples les plus connus de racisme environnemental envers une localité marginalisée du Canada est le cas d’Africville. Le sénateur Klyne en a parlé dans son discours. Permettez-moi d’en parler un peu plus. Africville était une localité dynamique où vivaient des Néo-Écossais d’origine africaine. Une décharge à ciel ouvert a été créée à 350 mètres de cette localité côtière. Les habitants n’avaient pas l’eau potable. Africville a existé pendant 170 ans. Au cours de cette période, un chemin de fer traversant la localité a été construit et l’explosion d’Halifax y a causé des dommages. Un hôpital traitant les maladies infectieuses y a été construit à proximité, ainsi qu’une fosse d’enfouissement de matières à vidange, une prison et un abattoir. C’est aussi l’endroit qu’on a choisi pour construire une usine d’engrais.

Imaginez-vous un endroit entouré de lieux dangereux, le dernier endroit sur terre près duquel vous voudriez que vos enfants et vos petits-enfants grandissent. Voilà les conditions qui ont été imposées à Africville. Située près d’Halifax, cette localité n’avait même pas les services essentiels, comme l’eau courante et les égouts. Au lieu d’offrir ces services, la Ville a choisi de déplacer ses habitants. Lors de cette relocalisation forcée, en 1967, certains habitants ont été transportés dans des camions à ordures jusqu’à des logements sociaux situés au nord d’Halifax. Si cela ne vous fait pas comprendre comment le gouvernement voyait les Néo-Écossais d’origine africaine, je ne sais pas quoi vous dire d’autre. On me raconte encore des anecdotes qui montrent le nombre ahurissant d’anciens habitants d’Africville qui sont morts d’une forme ou d’une autre de cancer. Les membres de la communauté ont fait les liens qui s’imposent. Le gouvernement devrait peut-être les faire aussi.

Je remercie le groupe acharné de militants qui se mobilisent depuis des dizaines d’années pour protéger les membres de leur communauté et voir à leur santé. La professeure afro-canadienne Ingrid Waldron a publié l’ouvrage There’s Something in the Water, qui lève le voile sur l’une des vérités les plus difficiles et honteuses de la Nouvelle-Écosse : l’omniprésence du racisme environnemental à l’endroit des Mi’kmaq et des Néo-Écossais d’origine africaine.

Ce livre a inspiré un documentaire qui met en lumière la détresse des Néo-Écossais racisés. Ce film nous fait découvrir la communauté afro-néo-écossaise de Shelburne grâce à Louise Delisle, une militante locale, qui dresse la liste des personnes décédées, atteintes d’un cancer du poumon, ou d’un myélome multiple. Ces familles sont dans l’impossibilité de déménager, et même si elles le pouvaient, elles seraient obligées de quitter leur foyer et de s’éloigner de leur communauté.

Bien que le dépotoir ait été fermé, les déchets qui y sont enfouis continuent de contaminer l’eau. Louise décrit les souvenirs d’enfance qu’elle a gardés de la fumée noire qui envahissait régulièrement le ciel de son quartier lorsqu’on mettait le feu aux monticules de déchets dangereux provenant des hôpitaux, des usines et des résidences. Elle se souvient d’être arrivée à l’école imprégnée de cette odeur d’ordures brûlées.

Non loin de là, à Pictou Landing, en Nouvelle-Écosse, se trouve une communauté mi’kmaq totalement sinistrée en raison de la contamination de l’eau par les déchets toxiques de l’usine Northern Pulp.

Le collectif Grassroots Grandmothers est un groupe de militantes pour la protection de l’eau qui lutte pour faire respecter le droit à l’eau potable de leur communauté. Chers collègues, je vous invite à prendre une heure pour regarder le documentaire intitulé There’s Something in the Water, et en apprendre davantage sur la crise du racisme environnemental qui se déroule au Canada.

Nous pourrions citer de nombreuses collectivités : Whitney Pier, les étangs bitumineux de Sydney, Membertou, Lincolnville, Indian Brook — les exemples ne manquent pas, chers collègues. Dans ma propre communauté, East Preston, les habitants s’opposent depuis des décennies au projet de construction d’une décharge à proximité. Dans une lettre de doléances datant de 2016, Spencer Colley a documenté trois exemples d’implantation de décharges dans des quartiers de Preston, qui sont les plus grandes communautés noires de Nouvelle-Écosse, ou à proximité de ceux-ci : en 1992 près d’East Lake à North Preston; en 1997 à North Preston; et en 2016, la proposition de déplacer une installation de Porters Lake à East Preston en face de l’autoroute 107, près de la sortie 17, où je vis.

Chers collègues, l’élaboration de politiques sur les questions environnementales ne peut exclure la question de la race, car les deux sont intrinsèquement liées. Nous pouvons dresser la carte de la Nouvelle-Écosse en y plaçant les sites de décharges et d’industries dangereuses. Elles sont situées à côté des communautés néo-écossaises autochtones et africaines. L’environnement, la race et la terre ont toujours été liés et le seront toujours.

La manifestation d’Eddy Carvery contre la relocalisation forcée des habitants d’Africville nous le rappellera toujours.

Dans son livre, Ingrid Waldron affirme que :

La violence raciale et sexiste sanctionnée par l’État est subtile et invisible, et, souvent, il n’y a pas de responsable (ou de futur responsable) tout désigné, contrairement à la violence interpersonnelle où l’on peut identifier le principal auteur de l’acte.

Comme il n’existe pas de responsable tout désigné, il est nécessaire d’obliger tous les décideurs politiques à prendre des décisions qui soient bonnes pour les communautés avoisinantes.

Ce projet de loi propose une stratégie nationale pour examiner le lien entre la race, les dangers environnementaux et l’emplacement des sites dangereux. Il vise à réformer les lois, les politiques et les programmes fédéraux qui se rapportent à la justice environnementale, à envisager l’indemnisation des collectivités touchées et à recueillir des renseignements sur l’état de santé de sorte que nous possédions les données voulues pour prouver ce que les résidants de certaines collectivités savent depuis des décennies, c’est-à-dire que le racisme environnemental est néfaste pour la santé.

Honorables collègues, les collectivités concernées savent bien ce que c’est que de se battre pour défendre leurs intérêts, et il est temps que le Sénat se batte pour elles. Le racisme environnemental est un excellent exemple du colonialisme à l’œuvre : il vise à éliminer les Autochtones et les Noirs du Canada.

La réconciliation ne peut se concrétiser sans que l’on mette fin au racisme environnemental. Renvoyons ce projet de loi au comité dans les plus brefs délais. Ce n’est pas un dossier dont il faut débattre; c’est un dossier à l’égard duquel il faut agir sans plus tarder. Nous sommes prêts à mettre en place des politiques publiques qui sauveront des vies au sein de certaines des populations les plus marginalisées du Canada.

Merci. Asante.

Partager cette publication: