Deuxième lecture du projet de loi C-226, Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Par: L'hon. Michèle Audette

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L’honorable Michèle Audette : [Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime dans une langue autochtone.]

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.

Avant d’y arriver, j’ai fait mes devoirs afin de comprendre cette définition et de savoir d’où elle vient. Ce que j’en comprends, c’est que cela désigne, selon Robert Bullard, qui est le père de la justice environnementale, et je cite :

[…] l’ensemble des politiques, des pratiques et des directives environnementales qui ont des conséquences négatives disproportionnées, qu’elles soient intentionnelles ou non, sur certaines personnes, certains groupes ou certaines communautés en raison de leur race ou de leur couleur.

En faisant cet exercice, je comprends, selon ce qu’a mentionné Mme Elizabeth May lorsqu’elle a prononcé son discours à l’étape de la deuxième lecture de ce projet de loi, et je cite :

Une des leçons que j’ai apprises en nettoyant les étangs bitumineux de Sydney avec Mme Yakimchuk, c’est que nous pouvons reconnaître que les produits chimiques toxiques ne font pas de discrimination. Ils ne prêtent pas attention à la couleur de notre peau lorsqu’ils se logent dans notre corps, lorsqu’ils traversent le placenta pour se rendre jusqu’aux enfants, lorsqu’ils provoquent des cancers et lorsqu’ils causent des malformations congénitales. Ils ne se soucient pas de la couleur de notre peau. Cependant, la politique publique qui expose beaucoup plus souvent les peuples autochtones et les communautés de couleur à des produits chimiques toxiques tient compte de la couleur de la peau. Elle remarque si nous sommes marginalisés ou non. Elle remarque si nous avons de l’argent ou pas.

Chez les premiers peuples, le racisme environnemental se vit depuis la doctrine de la découverte, qui est née de la bulle Romanus Pontifex de 1455.

Selon l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, cette doctrine — relative au concept plus ancien de terra nullius — a consacré le principe selon lequel tout monarque chrétien qui découvre des terres non chrétiennes a le droit de les proclamer siennes, car elles n’appartiennent à personne.

Cela aura pris 568 ans avant que le Vatican répudie ladite doctrine de la découverte. Vous comprendrez que cela représente un pas de plus vers la réconciliation, un pas important.

Cependant, aujourd’hui, en 2023, le pillage des terres et des ressources est encore réel, tout comme l’enclavement ou le confinement des réserves. Les dommages et les impacts néfastes se font sentir depuis et encore aujourd’hui.

Le racisme environnemental est aussi à l’origine de l’appauvrissement des communautés, de la perte de notre culture et de nos us et coutumes. Ce racisme environnemental a aussi participé à dégarnir notre garde-manger.

Le racisme environnemental participe également à la création de projets miniers sans la participation ou l’accord des communautés, et il pollue l’environnement de ces communautés, leur faune, leur flore et leurs cours d’eau.

Mon chez-moi, Matimekush-Lac-John, Schefferville, comporte le plus grand 18 trous au monde — attention, on ne parle pas de golf, mais plutôt de trous miniers. Dans cette même communauté, M. Conrad André donnait ce témoignage, dans un article publié le 8 juin 2022 sur le site Internet de Radio-Canada, et je cite :

Comment ça se fait que la minière IOC fasse des milliards, mais qu’il n’y ait pas un seul Innu millionnaire ici?

Dans cette même communauté, Mathieu André, un Innu né à 50 kilomètres au nord-ouest de Schefferville a découvert, dans les années 1930, le premier gisement de fer aux environs du lac Knob.

Cette découverte a entraîné en partie le début de la ruée vers le fer dans la région frontalière du Labrador et du Québec. M. Mathieu André est maintenant au pays du Caribou, mais son fils Luc raconte que, après la découverte de son père, Labrador Mining a pu exploiter le territoire en promettant à la population et aux Innus un pourcentage des bénéfices qu’elle tirerait des gisements.

Cependant, il a affirmé, et je cite :

On n’a jamais rien reçu. On a rencontré la minière, et on a fini par nous dire que s’ils devaient donner quelque chose à l’un, il faudrait donner à tout le monde.

En Ontario, la Première Nation Aamjiwnaang est entourée de 50 installations industrielles dans un rayon de 24 kilomètres autour de son territoire. Ses membres sont exposés de manière disproportionnée à des substances toxiques comme le dioxyde de soufre, le benzène, le mercure et d’autres. Janelle Nahmabin, 30 ans, présidente du comité local sur l’environnement, se dit de plus en plus frustrée de voir sa communauté assumer les risques sanitaires des industries présentes dans la région :

À vrai dire, nous sommes là depuis des millénaires, depuis toujours. J’en ai assez que nous soyons constamment obligés de nous adapter. J’en ai assez de devoir compromettre notre santé, notre bien-être mental et notre sécurité pour les autres.

Elle ajoute que l’asthme et d’autres problèmes respiratoires, ainsi que les éruptions cutanées, les maux de tête et les taux élevés de cancer figurent parmi les problèmes de santé les plus répandus dans la réserve.

À Shelburne, en Nouvelle-Écosse, selon une entrevue de CBC réalisée avec Louise Delisle, une résidante de Shelburne, l’histoire de la communauté en matière de cancer, de maladie et de décès est liée à la décharge de déchets industriels et parfois même médicaux qui se trouve à proximité. Mme Delisle a dit :

La majorité des hommes noirs de la communauté sont morts d’un cancer […] Il y a une communauté de veuves à Shelburne. Voilà de quoi il s’agit.

Nous avons également trouvé une carte établie par le projet ENRICH, qui traite de la nocivité environnementale, des inégalités raciales et de la santé communautaire, montrant que des dizaines de sites d’enfouissement se trouvent à proximité de communautés noires ou de populations autochtones. La carte inclut également des dizaines d’histoires semblables à celle de Shelburne : nous pouvons y voir une décharge et un abattoir qui ont été construits près d’Africville, à Halifax, à la fin des années 1700, un étang à eaux résiduaires d’une usine de pâtes et papiers près de la Première Nation de Pictou Landing et d’autres sites d’enfouissement près de la communauté noire de Lincolnville, du comté de Guysborough.

Mme Ingrid Waldron, qui a aussi coproduit le documentaire There’s Something in the Water, a dit ce qui suit :

Ce n’est pas seulement une question de santé et de stress. C’est une question d’absence de pouvoir : le fait de placer certaines industries dans certaines communautés sans les consulter. On les a privées de leur pouvoir, de leur voix. Ces industries sont implantées dans des communautés qui sont racisées, mais également pauvres.

La Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, au Québec, que l’on a pointée du doigt pour avoir rejeté 23 contaminants dépassant des niveaux acceptables, compte maintenant agrandir une zone tampon. Deux cents habitations seront démolies et les gens qui y habitent devront se relocaliser — on parle ici de familles, d’enfants, de Québécois et de Québécoises et bien d’autres. Pourquoi? Parce que la fonderie bénéficie d’une exemption de la norme québécoise d’émission d’arsenic dans l’air, car elle était en exploitation bien avant l’entrée en vigueur de ces normes environnementales.

Doit-on rappeler que les jeunes enfants de cette région ont une concentration d’arsenic quatre fois plus élevée dans leurs ongles? Faut-il rappeler qu’en 1940, toujours dans la même région, la baignade était interdite dans le lac Osisko, entre Noranda et Rouyn? En 1979, le gouvernement du Québec a été averti des dangers que posait la Fonderie Horne pour les enfants, qui avaient dans les cheveux des taux d’arsenic deux à trois fois plus importants dans le quartier Notre-Dame.

Les mêmes problèmes ont été soulevés dans Médecin de famille canadien, le journal officiel du Collège des médecins de famille du Canada, en août dernier. Voici le résumé de l’article :

Vous êtes médecin de famille suppléant dans le Nord-Ouest ontarien. Votre prochain patient est un enfant de 6 ans qui souffre de fatigue chronique et de paresthésie aux extrémités. À l’examen physique, vous découvrez aussi une déficience auditive bilatérale. Vous vous rappelez avoir lu dans les médias que 10 000 kg de mercure avaient été déversés il y a plusieurs années dans la rivière Wabigoon, polluant ainsi l’eau en aval et empoisonnant le poisson qui sert de subsistance à des collectivités comme celle de la Première Nation [de] Grassy Narrows […] En plus de prescrire d’autres tests, vous procédez à un dépistage du mercure par analyse d’urine sur 24 heures, qui confirme que les concentrations de mercure sont anormales. Comment traitez-vous ce patient? Comment réagissez-vous à ce problème sur le plan communautaire? Dans quelle mesure prenez-vous en compte l’environnement, l’histoire et les facteurs économiques qui ont contribué aux problèmes que présente ce patient?

C’est ainsi même si nous savons que les communautés autochtones sont souvent les plus touchées lors des plus grandes catastrophes, comme les deux déversements de pétrole en Alberta l’an passé. Des mois se sont écoulés avant que les Premières Nations en soient informées.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones contient les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones dans le monde et elle doit être mise en œuvre au Canada.

Une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental doit absolument s’enraciner dans cette déclaration et porter la voix des gardiennes et des gardiens originaux de ces terres.

D’autres solutions intéressantes sont présentées par les auteurs de l’article dans Le Médecin de famille canadien, dont la stratégie devrait tenir compte :

D’abord, en tant que professionnels de la santé et Canadiens, nous devons nous informer au sujet de la véritable histoire du Canada. Deuxièmement, nous devrions prendre conscience de l’existence du racisme environnemental dans notre pays et, comme il est énoncé dans CanMEDS-Médecine familiale : Document d’accompagnement sur la santé autochtone, nous devons « plaider fortement auprès des systèmes dans lesquels [nous travaillons] pour modifier les processus et les politiques racistes ». Nous savons que les communautés racialisées sont affectées de manière disproportionnée par les dangers environnementaux et que cela comporte des répercussions profondes sur la santé. Si nous voulons aborder la santé dans une perspective proactive et préventive, nous devons plaider pour les changements durables et écouter les voix des personnes touchées.

L’éducation, la voix du public dans la prise de décision en matière environnementale, l’autodétermination des communautés en matière d’eau et de production alimentaire, la distribution des logements, l’énergie, les transports, une charte des droits environnementaux doivent également s’inscrire dans une telle stratégie.

Bref, le racisme environnemental est bien réel au Canada. Comme l’a déclaré l’Organisation des Nations unies, un environnement sain est un droit. Donnons-nous donc les moyens de contrer le racisme environnemental et de nous faire progresser vers la justice environnementale.

Je vous le dis encore une fois : nous ne pouvons pas changer l’histoire, mais nous sommes en mesure et nous sommes responsables de changer notre présent, d’adopter une attitude plus responsable pour réparer les erreurs du passé et d’écrire ensemble un nouveau chapitre.

Merci, madame la sénatrice, de nous avoir proposé de tenir ce débat. Bien sûr, j’appuie ce projet de loi. Ensemble, je sais que nous avons le pouvoir de changer de petites et grandes choses.

Merci.

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