L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je vous parle ce soir depuis le territoire non cédé du peuple algonquin.
Ce débat intervient au cours d’une semaine où la découverte tragique de nouveaux charniers — contenant les restes de 215 enfants à Kamloops — vient aggraver la condamnation dont nous faisons l’objet pour le fonctionnement séculaire des pensionnats, la stérilisation forcée et ce que l’ancien juge en chef du Canada a qualifié de génocide culturel des peuples autochtones.
Cette horrible réalité de notre histoire contraste de façon plutôt cynique avec le ton moralisateur et arrogant de la motion dont nous sommes saisis ce soir.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour m’opposer à la motion dont nous sommes saisis, et j’aimerais prendre quelques minutes pour vous expliquer mes motivations.
Ce faisant, je voudrais parler des questions suivantes : l’objectif de la motion et le contexte dans lequel on nous la présente. Que signifie un vote contre cette motion, et comment le Sénat devrait-il traiter les enjeux soulevés? En examinant l’objectif de cette motion, je me suis posé certaines questions pour déterminer s’il m’était possible de l’appuyer, étant donné l’importance des questions qu’elle aborde. Comme première question, je me suis demandé : cette motion aidera-t-elle les deux Michael?
Chers collègues, à la réflexion, j’en viens à la conclusion qu’elle ne les aidera pas, mais qu’elle compromettra plutôt le traitement réservé aux deux Michael. Dans sa chronique de ce matin du National Post, John Ivison explique qu’il a changé d’avis sur la façon dont le Canada devrait aborder la question des deux Michael, et qu’au bout du compte, une solution politique s’avérera nécessaire. Chers collègues, je dirais, puisque je crois qu’il a raison, que les motions comme celle dont nous sommes saisis ne nous aident pas à arriver à une solution politique. Je vous exhorte à tenir compte de la situation fragile et à ne pas compromettre les négociations concernant les deux Michael.
Comme deuxième question, je me suis demandé : cette motion exacerbera-t-elle la violence envers les Asiatiques au Canada ou l’atténuera-t-elle? À l’instar de nombreux sénateurs et de nombreux Canadiens, je me préoccupe de l’escalade de la violence envers les Asiatiques au Canada en général, et notamment de la violence envers les Chinois. Je crois qu’il nous revient, à nous qui formons la Chambre de second examen objectif, de chercher à apaiser la colère que plusieurs ressentent, qu’elle soit légitime ou non, et de ne pas adopter de motion qui exacerberait les attitudes que l’on retrouve dans notre société.
Cette motion nous aidera-t-elle à mieux comprendre les intérêts du Canada dans le cadre de ses relations avec la Chine? Non. C’est une motion qui relève de la colère. Elle vise à soulever la situation grave dans laquelle se trouvent nos compatriotes dans certaines régions de la Chine, mais, il faut le reconnaître, elle ne contribuera pas à améliorer notre dialogue avec la Chine au sujet de ces questions et du contexte général qui y est lié. Cette motion n’améliorera pas les droits de la personne en Chine, au contraire, elle mènera à une fermeture et à une réaction défavorable, et je ne crois pas que c’est de cette façon que nous arriverons à influencer la Chine concernant ces pratiques et d’autres enjeux qui nous préoccupent.
Cette motion améliorera-t-elle la capacité du gouvernement du Canada à intervenir auprès du gouvernement de la Chine au sujet d’enjeux bilatéraux et multilatéraux qui méritent une attention urgente? Je crois, chers collègues, que cette motion minera ce genre d’entreprises, alors que le monde doit discuter d’enjeux avec la Chine qui relèvent des relations multilatérales, mais aussi des relations bilatérales auxquelles le Canada est confronté.
La motion à l’étude demande que les Jeux olympiques qui doivent se tenir en Chine soient boycottés. D’après moi, ce sont les athlètes et le mouvement olympiques canadiens qui seront pénalisés par cette motion et par la demande qu’elle contient. Cela ne contribuera en rien à répondre aux préoccupations soulevées dans la motion et minera le mouvement olympique tout en faisant des athlètes canadiens des victimes.
Dans le cadre de la période des questions et du présent débat, certains ont mis en doute la motivation du gouvernement du Canada et sa capacité à « tenir tête à la Chine ». Le sénateur Housakos a parlé de la motion présentée à la Chambre des communes, et il a dit que le pouvoir exécutif canadien n’avait pas appuyé la motion. Certains ont avancé l’hypothèse que c’est par faiblesse ou par désir de la part du gouvernement canadien de ne pas critiquer trop sévèrement les autorités chinoises.
Honorables collègues, je crois que, si elle est adoptée, la motion à l’étude entraînera une détérioration considérable de nos relations avec ce pays, et que cela nuirait, non pas aux sénateurs, mais aux deux Michael et à notre capacité de trouver un terrain d’entente avec nos interlocuteurs chinois. Cela nous empêcherait de discuter avec eux d’enjeux liés aux droits de la personne.
Chers collègues, nous vivons un moment de l’Histoire ou de multiples périls nous guettent. La domination américaine de la période de l’après-guerre est remise en question non pas par le retour de la guerre froide, mais plutôt par l’émergence de la Chine, qui a presque atteint la parité. Cette remise en question de l’exceptionnalisme américain survient à un moment particulièrement difficile dans la vie démocratique de nos amis aux États-Unis. Je donne ce contexte parce que nous devons certainement nous concentrer sur la meilleure façon de guider la défense des intérêts du Canada dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Il ne suffit pas de susciter la rage du public pour défendre nos intérêts. Nous vivons une période où nos relations avec la Chine sont tendues sur un large éventail de questions, et la motion dont nous sommes saisis ne nous apporte aucune solution pour réduire les tensions.
Que signifie un vote contre cette motion? Pour ma part, cela ne signifie certainement pas que les questions soulevées ne sont pas importantes et, franchement, qu’elles ne devraient pas être soulevées auprès de nos interlocuteurs en Chine. Je les ai moi-même soulevées et je continuerai à le faire. Je les ai même soulevées aujourd’hui auprès de représentants chinois dans le contexte des événements à Kamloops. Nous devons trouver des façons de nouer des dialogues respectueux qui démontrent notre engagement sur les questions soulevées par le sénateur Housakos, mais qui ne mettent pas en danger nos intérêts nationaux et le bien-être des Canadiens.
Je dirais que le Sénat du Canada devrait se pencher sur les questions soulevées dans la motion et sur le contexte plus général dont j’ai parlé au sujet de la relation entre le Canada et la Chine, et que nous devrions faire ce que nous faisons le mieux, c’est-à-dire mener un second examen objectif et faire des recommandations au gouvernement du Canada pour que l’on se penche sur la forme que notre relation avec une Chine en pleine évolution devrait prendre dans les mois et les années à venir. Cela pourrait s’avérer utile tant pour informer le public que pour amener le gouvernement à réfléchir à la façon de composer avec les circonstances en évolution que j’ai mentionnées.
Je suis particulièrement préoccupé par deux changements qui se produisent dans les relations bilatérales entre les grandes puissances mondiales actuelles : la Chine et les États-Unis. Je crains que des erreurs de calcul stratégiques soient commises de part et d’autre, et que des discours politiques enflammés empêchent toute possibilité de compromis et de coopération politiques dans les dossiers que nous devons faire avancer pour le bien de la planète et pour entretenir les relations nécessaires pour faire des progrès à l’égard de ces enjeux.
L’ancien président Obama a dit avec éloquence que « ce qui est troublant, c’est l’écart entre l’immensité des défis qui nous attendent et le manque d’ambition de nos politiques […] ».
Honorables collègues, j’espère que ce que nous ferons de cette motion reflétera non pas le manque d’ambition de nos politiques, mais la volonté du Sénat de relever les défis immenses qui nous attendent. Merci.
Le sénateur Housakos : Le sénateur Harder accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Harder : Certainement.
Le sénateur Housakos : Sénateur Harder, vous avez tout à fait raison de dire que nous devrions nous efforcer de relever les défis qui nous attendent. Nous devons faire face à un régime chinois qui ne respecte absolument aucune norme du travail comparativement au Canada. Le régime chinois n’a établi aucune norme pour la protection de l’environnement, comme il en existe au Canada. Le régime chinois ne respecte aucunement la propriété intellectuelle, alors que nous la respectons au Canada.
Nous nous trouvons fondamentalement — c’est un point que vous n’avez pas mentionné — devant un régime qui détient des millions de membres de la minorité musulmane dans des camps de concentration, où ils sont torturés. Deux Canadiens sont détenus illégalement depuis plus de 900 jours. Voilà le problème qu’il faut régler. Vous n’en avez pas vraiment parlé dans votre discours, sinon pour expliquer pourquoi le gouvernement du Canada maintient le dialogue.
Le gouvernement actuel dialogue avec le régime chinois, il continue de fermer les yeux sur les comportements odieux que j’ai mentionnés, et plus encore. Je pourrais en parler pendant des heures. Pourriez-vous nous donner l’exemple d’un résultat concret que le gouvernement du Canada a pu obtenir grâce à ce dialogue et à ce qu’il fait pour apaiser le régime chinois? La situation des deux Michael s’est-elle améliorée depuis deux ans? Les Ouïghours de Chine souffrent-ils moins? La Chine est-elle soudainement prête à adhérer à certains des principes et des valeurs chers aux Canadiens?
Cette institution qu’on appelle le Sénat n’est pas le porte-parole du pouvoir exécutif : nous parlons plutôt au nom des Canadiens et des valeurs canadiennes.
Pourriez-vous me donner des exemples concrets qui illustreraient comment le dialogue a fait avancer les choses afin que ce régime tyrannique commence à se comporter de la façon attendue de la part d’un allié et d’un partenaire commercial?
Le sénateur Harder : Je vous remercie de la question, sénateur Housakos. Ma réponse portera sur un contexte plus large parce que vous avez utilisé des termes comme « apaiser » et « régime tyrannique » ainsi que d’autres descriptions de la Chine qui, en toute honnêteté, me semblent complètement inappropriés pour obtenir un engagement plus grand.
Bien franchement, vous formulez des critiques qui ne sont pas propres à un pays. Il serait possible d’attirer l’attention sur un certain nombre de pays auxquels s’appliquent les préoccupations que vous avez soulevées au sujet des droits de la personne et des pratiques internationales.
Pour ma part, je ne vais pas, dans une tribune publique comme le Sénat du Canada, chercher à condamner un pays au même moment où je veux établir des liens avec lui. Je ne vois pas comment, chers collègues, nous ferons des progrès dans le dossier des changements climatiques en insultant ceux que nous voulons convaincre de prendre des mesures plus strictes. Je ne vois pas comment nous allons établir un régime commercial plus fort sans chercher des partenaires en faveur d’une réforme de l’OMC dans le bassin de pays que nous condamnons avec cette résolution et le ton de la question.
Je vais aussi parler des mesures qui sont prises par certains pays. Je sais que, dans les derniers jours de l’administration Trump, le secrétaire d’État d’alors a formulé des commentaires au nom de son gouvernement au sujet de ce qu’il décrivait comme un « génocide ». L’administration Biden révise avec raison cette déclaration parce qu’il n’a pas été établi que les 48 critères de la convention ont été remplis.
Ce que je veux faire valoir, sénateur, c’est que nous devrions descendre de nos grands chevaux et tenter de collaborer plus efficacement, et non de façon belliqueuse ou agressive, avec les pays avec lesquels il faut collaborer, et pas seulement la Chine. J’en resterai là pour ce soir. Merci.