L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, je veux prendre officiellement la parole au sujet de la motion du sénateur Housakos.
Il y a quelques mois, j’ai pris la parole dans le cadre de ma propre interpellation au sujet des violations des droits de la personne commises par les forces policières hongkongaises, soutenues par le régime de Pékin, à l’endroit des manifestants prodémocratie à Hong Kong. À ce moment-là, je ne croyais pas que j’aurais de nouveau à prendre la parole à ce sujet, mais les temps ont changé.
Sénateurs, comme vous, je crois à la diplomatie posée et au dialogue constructif entre les pays au sujet de dossiers et d’enjeux communs. Aujourd’hui, je prends la parole pour appuyer la motion de mon collègue et j’ajoute ma voix aux appels à une réaction plus musclée du Canada à la destruction méthodique de la démocratie menée par la Chine à Hong Kong et au manque total d’égard de ce pays pour les droits de la personne et la vie humaine partout sur son territoire, en particulier en ce qui a trait à la minorité musulmane, les Ouïghours. J’ai fait des reportages sur la situation des Ouïghours vers la fin des années 1980 et dans les années 1990. Je me suis rendu dans la province où ils vivent, et on pouvait constater l’approche systémique adoptée par le gouvernement de Pékin relativement à la minorité musulmane dans cette région de la Chine.
La motion du sénateur Housakos propose que le Sénat demande au gouvernement du Canada d’imposer des sanctions contre les responsables chinois ou ceux de Hong Kong, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, aussi appelée loi de Sergueï Magnitski, à la lumière de la violation des droits de la personne, des principes de justice fondamentale et de l’état de droit à l’égard des manifestations en cours à Hong Kong et à la persécution systématique de minorités musulmanes en Chine.
J’aimerais expliquer ce qui me dérange dans les gestes et les abus de la Chine uniquement au cours des dernières semaines. Plus tôt ce mois-ci, la Chine a interdit la vigile organisée en l’honneur des victimes du massacre de la place Tiananmen, survenu en juin 1989. Les autorités gouvernementales chinoises ont interdit cette activité commémorative pacifique sous prétexte de l’application par la force policière de Hong Kong des lois visant à assurer la sécurité dans le contexte de la pandémie de coronavirus. Néanmoins, à la grandeur de Hong Kong, des milliers de Hongkongais courageux ont défié l’interdiction en allumant des bougies pour tenir une vigile à la mémoire des événements de la place Tiananmen. Ces personnes ont le droit de faire cela, et j’espère sincèrement qu’elles auront le droit de le faire dans les années à venir.
Comme nous le savons, la Chine — c’est une honte — n’a jamais reconnu les victimes du massacre ne serait-ce qu’une seule fois en 31 ans. Tandis que les autres pays sont, naturellement, distraits par les problèmes de santé sur leur propre territoire, la Chine profite de la pandémie pour étendre ses tentacules encore plus loin dans l’administration de Hong Kong. La Chine fait fi, sans le moindre état d’âme, de l’entente internationale à l’égard du cadre « un pays, deux systèmes ».
J’ai récemment participé à un webinaire avec le sénateur Ngo, le sénateur Housakos, l’honorable David Kilgour et de jeunes dirigeants du mouvement démocratique Hong Kong Watch afin de souligner le premier anniversaire du début des manifestations organisées à Hong Kong visant à dénoncer une loi sur l’extradition illégale. Cette mesure législative aurait permis l’extradition de citoyens vers la Chine continentale, où les tribunaux sont contrôlés par le régime communiste au lieu d’un système plus démocratique, comme celui de Hong Kong.
Même si cette loi — qui a attiré énormément d’attention sur la scène internationale et qui a suscité un tollé de manifestations ayant duré des mois — a été révoquée à contrecœur, elle n’a certainement pas permis un retour à la stabilité. Les Hongkongais sont maintenant aux prises avec des règles de sécurité nationale draconiennes. Pendant tout ce temps, comme nous l’avons vu à la télévision et lu dans la presse, des centaines d’innocents, surtout des jeunes, ont été battus et arrêtés. Certains d’entre eux sont toujours dans une prison à sécurité maximale pour avoir participé à des manifestations prodémocratie. D’ailleurs, au cours des derniers mois, comme je l’ai mentionné dans mes observations concernant la vigile à l’occasion de l’anniversaire des événements de la place Tiananmen, Pékin a renforcé les restrictions concernant les déplacements et les rassemblements sous le couvert des mesures de santé liées à la COVID-19.
Les Hongkongais sont des gens qui, comme vous et moi, croient en la démocratie. Ils ne devraient pas avoir à vivre dans la peur et dans la souffrance, ou même perdre la vie, parce qu’ils veulent habiter dans un pays où règnent la paix, la démocratie et les droits et libertés de la personne. Personne ne devrait subir cela.
Les abus commis par la Chine ne s’arrêtent pas là. Je sais que nous sommes tous horrifiés par l’étendue des violations des droits de la personne commises par le gouvernement chinois envers la minorité ouïghoure, qui vit dans la province chinoise du Xinjiang. Les membres de cette minorité sont constamment victimes d’abus, harcelés et arrêtés de façon arbitraire. Ils ne peuvent pratiquer leur religion ou leurs coutumes librement, leurs déplacements et leurs appels téléphoniques sont surveillés et les membres de leur famille sont menacés. Et ce n’est pas tout : parmi les Ouïghours arrêtés, plus d’un million se trouvent dans des camps d’internement dans le Xinjiang. Ces soi-disant camps de rééducation représentent une tentative du régime de contrôler chaque citoyen de son pays. On essaie d’éliminer une culture, une religion et les personnes qui les pratiquent dans le nord-ouest de la Chine.
Nous avons été mis au courant de ces actes inhumains par des Ouïghours qui ont pu fuir la Chine, bien qu’il me semble qu’ils ne seront jamais vraiment complètement libres. Voici une déclaration d’Amnistie internationale :
Les autorités chinoises trouvent le moyen de harceler et d’intimider les Ouïghours installés à l’étranger. Près de 400 personnes nous ont raconté leur histoire et nous ont parlé de surveillance intrusive, d’appels d’intimidation et, même, de menaces de mort. On s’en prend à leurs proches qui vivent toujours en Chine pour étouffer leur militantisme à l’étranger.
Cette façon d’agir de la part du gouvernement de Pékin nous préoccupe grandement. À mon avis, elle fournit une raison impérieuse d’invoquer la loi Magnitski. Cette loi permet au gouvernement canadien de saisir des biens au Canada appartenant à des particuliers qui ont commis de graves violations des droits de la personne ou qui se sont livrés à des actes de corruption, d’empêcher ces particuliers d’entrer au pays et d’interdire aux Canadiens de faire affaire avec eux.
Je veux citer brièvement deux éminents juristes canadiens, qui sont tous les deux experts, bien sûr, en droit de la personne.
L’un d’entre eux est Errol Mendes, professeur de droit à l’Université d’Ottawa et spécialiste des droits de la personne. Il soutient qu’invoquer la loi Magnitski est le moins que nous puissions faire parce qu’il estime que le traitement que la Chine inflige aux Ouïghours sur son territoire constitue un énorme crime contre l’humanité. Il comprend, comme nous tous, je pense, que :
La Chine nous fera sans doute subir des conséquences encore plus lourdes si nous invoquons cette loi, mais si nous croyons ce que nous soutenons depuis la Seconde Guerre mondiale, à savoir que nous ne devons jamais permettre un nouveau génocide, c’est un prix que nous devons payer.
Nous avons vu les propos tenus récemment par Irwin Cotler, un ancien collègue de l’autre endroit et, bien sûr, un avocat spécialiste des questions internationales relatives aux droits de la personne qui s’est porté à la défense de Nelson Mandela et de bien d’autres personnes qui croient aux droits de la personne en Russie. Évidemment, il a dit que nous devrions invoquer la loi de Sergueï Magnitski lorsqu’il est question de la Chine et de ses tentatives de camouflage à l’égard du coronavirus. C’est très grave. C’est ce qu’il croit et c’est ce qu’il a dit. C’est une question de principe, car pendant cinq ou six jours, le monde ne savait pas ce qui se passait en Chine.
M. Cotler a dit ceci :
Si les dirigeants de la Chine refusent de rendre des comptes […] le Canada devrait au moins imposer des mesures telles que la révocation de visas et la saisie de biens.
J’ai vécu en Chine, j’ai travaillé au gouvernement, j’ai compris certaines choses qui se sont produites en coulisses, je pense aux deux Michael ce soir, et j’ai écouté les propos convaincants que l’épouse de Michael Kovrig a tenus, hier soir, sur les ondes de CBC. Je sais que la Chine n’est pas un interlocuteur comme les autres.
Je crois toutefois qu’à un moment donné, il ne suffit plus de se dire très déçu. J’ai beaucoup de respect envers le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Comme j’ai déjà été au service du gouvernement, je peux comprendre la situation dans laquelle il se trouve. Or, il faut, à un moment donné, faire face à l’intimidateur. À mon avis, il est temps d’agir et de prendre différentes mesures ou, à tout le moins, d’envisager leur utilisation et d’en parler publiquement. On ne peut plus se défiler.
Au Sénat, nous avons un rôle important à jouer par rapport à ce qui se passe à nos frontières, par rapport à la situation des deux Michael et à celle de l’étudiant avec qui j’ai parlé. Il est maintenant dans une prison de Hong Kong. Il a rencontré d’autres sénateurs. Il s’appelle Edward Leung. Après s’être exprimé sur la liberté et les droits de la personne, où s’est-il retrouvé? Dans une prison de Hong Kong.
Je pense que nous avons le droit de parler de ces personnes et des causes qu’elles défendent. Je peux dire tout ce que je veux, que je me trouve au Sénat ou ailleurs. Personne ne viendra me chercher en me disant : « Je vais vous jeter en prison à cause de vos convictions. »
Si nous n’agissons pas, qui dénoncera ce qui se passe en Chine et qui se portera à la défense des Ouïghours, des Tibétains, des habitants de Hong Kong et des jeunes étudiants qui se battent pour une bonne cause? Selon moi, le moment est venu pour les sénateurs de discuter de la loi de Sergueï Magnitski et de l’étudier en détail. Il s’agit d’un levier dont peut se servir le Canada. Il a été utilisé contre des dirigeants en Russie, au Venezuela, au Soudan du Sud et ailleurs dans le monde.
Comme je l’ai dit, je sais que le gouvernement soulève la question des droits de la personne chaque fois qu’il en a l’occasion, mais en vain, semble-t-il. Manifestement, la Chine ne veut pas entendre raison ou écouter ses alliés. Elle se joue de la vie précieuse des gens et de leurs libertés. Il faut obliger Pékin à rendre des comptes pour les mauvais traitements qu’elle inflige en toute connaissance de cause à des innocents. Nous en avons assez vu et entendu; fait encore plus important, nous en savons suffisamment pour exiger que ces mauvais traitements cessent, faute de quoi le Canada passera aux actes.
J’ai l’habitude de dire que je ne représente qu’une seule voix à la Chambre, mais j’ai de l’expérience. Je me souviens d’un dirigeant en Chine qui m’a dit un jour que mes reportages étaient blessants pour le peuple chinois. J’ai rétorqué : « J’adore le peuple chinois. C’est votre gouvernement et sa façon de traiter son propre peuple qui me posent problème. »
Je souhaite depuis longtemps avoir un débat avec l’ambassadeur de Chine et d’autres personnes sur la façon dont nous nous exprimons ici. Un jour où j’étais invité à un repas à titre de sénateur, j’ai dit ceci : « Pourrais-je retourner en Chine et être invité à la chaîne China Central Television, CCTV, l’équivalent de la chaîne CTV au Canada? Pourrais-je, pendant un de vos programmes de télévision, parler de ce que j’ai vu à la place Tiananmen en 1989? » C’est un sujet dont nous parlons ici. J’ai eu des discussions à ce sujet à l’ambassade de Chine au Canada. Laissez-moi en parler à la télévision chinoise, et je serai alors convaincu que la Chine est un pays libre et ouvert, où les gens peuvent se faire entendre et dire ce qu’ils veulent sans craindre les représailles.
En conclusion, je sais que certains sénateurs hésitent à appuyer la motion du sénateur Housakos, mais il s’agit selon moi d’un autre moyen de pression dont le Canada pourrait se servir et devrait peut-être se servir. Je remercie le sénateur Housakos d’avoir présenté cette motion au Sénat, et j’espère que d’autres sénateurs envisageront de l’appuyer. Merci.