Troisième lecture du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), tel que modifié

Par: L'hon. Michèle Audette

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L’honorable Michèle Audette :

[Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]

Honorables sénateurs, je remercie le peuple anishinabe. Merci d’accepter que je puisse caresser votre territoire tous les jours quand je chausse mes mocassins de sénatrice.

Avant de commencer, j’ai eu une grosse surprise qui m’a fait pleurer. Je ne pensais pas que mon amoureux serait là pour nous soutenir. C’est vrai, cela touche tes enfants et les miens. Tu m’as soutenue pendant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, au moment de ce qui est arrivé à Joyce Echaquan, et surtout pendant l’étude du projet de loi S-2 depuis juin, avec toutes les lectures que j’ai dû faire. De plus, c’est toi qui me nourris tous les jours, et je te remercie de ta patience.

Sa patience, je ne sais pas comment il la gère, mais dans mon message, je vais tenter, avec beaucoup d’amour, de vous faire partager l’impatience et l’injustice que beaucoup trop de gens subissent. Bien sûr, je prends la parole aujourd’hui avec un sens — j’allais vous dire inébranlable —, un sens rempli de conviction par rapport à mes responsabilités, alors que nous abordons l’étude du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), à l’étape de la troisième lecture, maintenant qu’il est renforcé et transformé par les amendements apportés par le Sénat.

Je tiens aussi à dire que c’est au Sénat qu’on a demandé de faire le premier examen, comme l’a si bien exprimé notre collègue la sénatrice Ringuette. Merci d’avoir soulevé ce travail important, auquel j’ai cru. J’y ai cru au moment où le projet de loi C-38 est arrivé dans l’ancien Parlement, qui semble être un ancien gouvernement aussi, mais qui est le même Parti libéral au pouvoir.

Le projet de loi S-2 est arrivé et mon message a été le même, sachant que des délais nous sont imposés par la cour, cette fois-ci par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Au fil du temps, les délais ont changé, ce qui était tout à fait normal pour des gens qui ont soif de justice, de réparation, car on avait enfin l’occasion et le momentum nous permettant de ramener au devant de la scène ce que l’on répète depuis toujours, sur le fait que toutes les discriminations découlent de la Loi sur les Indiens.

De plus, l’amour que j’éprouve pour cette humaine, Mandy Gull-Masty, et la fierté que je ressens à son égard sont inébranlables. Pourtant, comme dans une famille, comme dans ma famille qui compte cinq enfants, il est rare qu’il y ait un consensus. Nous avons tous une diversité émotionnelle, intellectuelle, de débat ou de génération, et nous tentons de faire ce débat dans le respect toutes les deux.

La ministre l’a bien dit ce matin à l’Assemblée extraordinaire des Chefs, avec beaucoup de délicatesse : elle et moi avons pris deux chemins différents. J’ai aimé cela. Dans nos échanges, par respect, je lui disais que l’autre endroit est une Chambre élue — et je respecte énormément cela —, mais que cette Chambre est élue avec un début et une fin, élue en fonction d’une priorité et d’un gouvernement. Je respecte cela. Cependant, le Canada s’est donné une certaine forme de démocratie où l’on essaie de trouver un équilibre ou de porter un second regard attentif. Cette fois-ci c’est un premier regard que le Sénat a porté, pour pouvoir modifier, changer ou adopter tels quels les projets de loi qui passent dans ce portage, qui est ma vie aussi — et j’espère que la santé me permettra d’être ici encore longtemps.

Je dis merci à toutes les personnes courageuses qui sont venues parler, répéter encore une fois, revivre encore une fois ces traumatismes, qui sont palpables. Je remercie les autres personnes qui, par leur travail, leur guérison et leur responsabilisation, nous ont suggéré beaucoup de choses pour solidifier la position du Comité des peuples autochtones avec les amendements proposés.

Ce sont des Chefs qui sont venus témoigner, d’anciens Chefs, des experts, des avocats et même des femmes qui ont étudié en droit pour contester. Je fais référence à Sharon McIvor, qui compte 50 ans de lutte. J’aimerais nommer quelque chose avant de tomber dans le vif du projet de loi S-2. Nous ne sommes pas de petits silos; nous sommes des sénateurs et nous avons un grand devoir de responsabilité envers chaque projet de loi. Je ne peux pas me détacher de certains projets de loi. Je suis humaine, mais j’essaie de rester respectueuse.

Parfois, on fait des choses sans être conscient que les choses bougent vite, mais ce que j’ai ressenti officiellement, c’est que le fossé s’agrandit entre les droits des femmes autochtones et ceux qui sont reconnus ailleurs au sein de notre propre système juridique.

Cela, je le sais, je le sens et je l’ai vu. Nous l’avons vu ensemble aussi, nous en avons été témoins et même parties prenantes; je sais également que cela n’a pas été par malice ou pour mal faire. Je sais que cela se fait aussi souvent par méconnaissance. « Gardons un peuple dans l’ignorance » : voilà une vieille doctrine de pouvoir. Cette fois-ci, je ne veux pas dire qu’on va nous garder dans l’ignorance, mais quand on sait quelque chose, et c’est le moment de le partager.

Oui, le projet de loi C-5 a été adopté à toute vitesse; on va m’expliquer ceci ou cela, mais je veux vous amener vers un autre projet de loi, une autre loi qui a été adoptée. Le projet de loi C-5 fera l’objet d’un autre débat important. Quand ai-je senti qu’il y avait deux régimes constitutionnels distincts et que l’un était au détriment de l’autre? C’est ce que j’ai ressenti.

J’essaie de comprendre pourquoi le système juridique et politique, bien sûr, au Canada reconnaîtra clairement la deuxième génération à l’étranger tout en maintenant et en renforçant un mécanisme d’extinction graduel en vigueur depuis 1985, lors de la modification de la Loi sur les Indiens. On a amené cette règle de la coupure après la deuxième génération sans notre consentement.

Lorsqu’on examine le texte du projet de loi C-3 — l’ancien projet de loi C-71 avant dans l’ancien gouvernement du même parti politique, le site Web indique que :

Le 19 décembre 2023, la Cour supérieure de la justice de l’Ontario a déclaré que les dispositions clées de la limite à la première génération pour les personnes nées à l’étranger sont inconstitutionelles.

Quand j’ai vu cela, je me suis dit que c’était un argument pour nous. On ne peut pas faire deux justices; ça ne se peut pas. Plus loin sur le site Web, on lit que le gouvernement du Canada n’a pas interjeté appel de la décision, parce que l’on convenait que la loi actuelle a des conséquences inacceptables pour les Canadiens dont les enfants sont nés ailleurs. On parle de nos enfants qui sont nés ici. En tant que mère innue, mère mohawk, mère atikamekw, on n’a pas ces droits. Dites-moi pourquoi? C’est un phénomène que je ne suis pas capable d’accepter et je le l’accepterai pas.

J’ai envie de crier. Nous avons envie de crier, mais nous sommes intelligentes. Nous lisons un résumé législatif et nous voyons dans la documentation qu’on mentionne toujours dans cette loi importante le terme « Canadien perdu ». Plus loin, on mentionne :

Qu’un Canadien perdu et ses descendants, signifie toute personne née à l’étranger d’un parent canadien à la deuxième génération ou à des générations suivantes avant l’entrée en vigueur. Il faut démontrer un lien substantiel avec le Canada, un parent né à l’étranger qui devrait séjourner pour un total de 1 095 jours au Canada, avant la naissance ou l’adoption. Pour moi, c’est une évidence même, ça signifie un parent. On va dire oui d’un côté, mais on va pousser pour que ce soit non parce que je suis femme indienne en vertu de la Loi sur les Indiens.

Dans mon cœur, dans le contexte où on se retrouve aujourd’hui, je n’ai pas l’impression d’être une Indienne perdue, mais cela me confirme encore qu’il y a deux régimes constitutionnels distincts. Nous honorons et célébrons l’identité — comme l’a si bien dit la sénatrice Coyle pour le projet de loi C-3, je la remercie — , mais j’aimerais qu’on puisse aussi célébrer l’identité de nos femmes, de nos fils, de nos frères et des hommes autochtones, au lieu de poursuivre l’extinction de l’identité.

Alors, il est impératif qu’on adopte le projet de loi S-2, avec les amendements proposés par le comité. Je vais vous les énumérer de nouveau pour vous rafraîchir la mémoire. Je trouve cela important. Le projet de loi propose ce qui suit :

Rétablir l’admissibilité au statut pour les personnes et leurs descendants l’ayant perdu en raison de l’émancipation; une décision rendue dans l’affaire civile Nicholas.

Permettre aux personnes de demander leur retrait du registre des Indiens, s’ils le souhaitent. Ce n’est pas dans la décision Nicholas, mais cela a été ajouté.

Supprimer un langage désuet et offensant, notamment l’expression « Indiens mentalement incapables ». C’est bien, mais je réitère ici que ce n’est pas dans la décision Nicholas.

Permettre aux femmes automatiquement transférées dans la bande de leur mari de réintégrer leur bande d’origine.

C’est bien, on peut leur remettre ce droit. Dans les amendements que nous avons étudiés, débattus et adoptés à dix sénateurs contre un seul, le message a été sans équivoque. Les gens qui sont venus nous parler ont confirmé que nous devions agir pour éliminer les formes restantes qui découlent de la Loi sur les Indiens. Il faut absolument éliminer les dispositions d’absence de responsabilité.

L’élimination d’exclusion après la deuxième génération a brisé des familles et en brise encore aujourd’hui. D’un point de vue purement mathématique, quand on regarde comment le ministère des Affaires indiennes à une certaine époque ou Services aux Autochtones Canada aujourd’hui, effectue un calcul complexe pour faire en sorte qu’on soit émancipé, qu’on ne soit plus là et, comme l’a si bien dit Sharon McIvor ce matin à l’Assemblée des Chefs, quand il n’y aura plus d’Indiens, les terres retourneront à la Couronne.

Il y a un enjeu politique très puissant, mais qui n’est malheureusement pas dit ouvertement. Moi, je vous le dis, j’en suis témoin, je le sais. Nous avons fait une enquête nationale sur les femmes assassinées et disparues. Nous en avons vu, des preuves. Je veux aussi souligner le travail de mes collègues.

Sénateur Francis, lorsque vous étiez le président du Comité des peuples autochtones, le rapport était très clair.

La Loi sur les Indiens perpétue l’assimilation. Le nom de la Loi sur les Indiens, soit l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages.

C’est la même loi, elle a seulement changé de nom. Premièrement, je ne suis pas une Indienne perdue. Deuxièmement, je ne suis pas une Sauvage, mais c’est quand même cette loi qui décide si oui ou non mon enfant va être reconnu. Pour moi, cela ne passe pas non plus.

Alors, les amendements proposent de supprimer les iniquités résiduelles fondées sur le sexe, d’abroger les dispositions d’absence de responsabilité, et de restaurer la règle d’admissibilité fondée sur un parent, si un parent décède. J’ai été à Maliotenam il n’y a pas longtemps et j’ai dû accompagner une mère craintive et stressée pour faire signer le père. Comment ça se fait qu’en 2025, on est obligé d’accompagner une femme pour des raisons de sécurité, elle ne peut pas y aller seule. Cela aussi est inacceptable pour moi . Une chance que la personne a apposé sa signature, mais on ne devrait pas imposer cela à des femmes qui ont mis au monde des enfants; elles ne devraient pas se retrouver devant des personnes qui ont été violentes ou peut-être absentes, par exemple.

Il y a, bien sûr, un autre amendement important, soit celui de prévoir une période de mise en œuvre de 12 mois.

Sénateur Tannas, je vous remercie infiniment d’avoir proposé cet amendement. Il est clair que vous disposez d’une expertise. Peu importe la paire de chaussures ou de mocassins que vous portez, il est clair que vous disposez aussi d’une expertise en ce qui concerne le Comité des peuples autochtones.

Il a dit au comité qu’une période de 12 mois permettrait de donner suite plus ou moins aux demandes de la ministre Gull-Masty pour terminer la consultation.

Je conviens que le gouvernement devrait poursuivre son processus de consultation. Cette consultation devrait porter sur la manière d’aider les communautés des Premières Nations à accueillir de nouveaux membres. C’est très important.

La question de la fraude a également été soulevée. Nous partageons cette préoccupation, et ce, bien au-delà de la Loi sur les Indiens. Cependant, il s’agit d’un autre sujet parce que cela touche les universités lorsque les gens présentent des demandes de financement, postulent à des emplois ou présentent leur candidature à des conseils d’administration où l’offre précise qu’on recherche des candidats issus des Premières Nations, des Métis ou des Inuits. La fraude, quand elle est présente, est un sujet dont il est important de débattre. Je conviens que nous sommes tous préoccupés par la fraude.

Les témoins veulent éliminer l’exclusion de la deuxième génération. Tout le monde est d’accord, sauf un chef de Kahnawà:ke qui ne veut même pas du projet de loi S-2. Par respect, je le dis officiellement, parce que oui, une nation, une personne s’est opposée à tout le projet de loi. La Cheffe nationale est venue nous le dire.

Elle a déclaré que bien que l’Assemblée des Premières Nations appuie la lutte à la discrimination et que le projet de loi est censé l’éliminer, elle estime également que ce projet de loi constitue une nouvelle approche fragmentaire pour lutter contre la discrimination alors que cette approche n’a jamais fonctionné : elle ne rétablit jamais la justice et n’offrira jamais de solutions durables.

Elle a ajouté que l’Assemblée des Premières Nations entérine les modifications à la Loi sur les Indiens qui abrogent la règle de l’exclusion après la deuxième génération et introduisent un régime d’octroi du statut d’Indien aux descendants directs d’un Indien inscrit ou d’une personne ayant droit à l’inscription qui pourrait être admissible à ce droit.

Je suis d’accord avec Sharon McIvor, qui a dit ce matin que vous êtes le fer de lance d’aujourd’hui et de demain dans le combat qu’elle mène depuis 50 ans, et bon nombre d’entre nous marchons à vos côtés. Merci beaucoup.

Zoe Craig-Sparrow a déclaré pendant les témoignages que l’exclusion après la deuxième génération dévaste des familles depuis 40 ans. Toutes les grandes consultations, y compris celles menées par le gouvernement fédéral, ont conclu qu’elle est discriminatoire. Nous n’avons pas besoin d’une autre décennie d’études; nous avons besoin d’agir.

La Cheffe Barbara Côté, qui représente 204 Premières Nations — un tiers de Premières Nations au Canada — a affirmé que le fait de mettre fin à l’exclusion après la deuxième génération et d’éliminer les dispositions d’absence de responsabilité n’est pas controversé dans nos communautés, mais il est urgent d’y mettre fin, et ce, depuis longtemps.

Le Chef Verreault-Paul a mentionné que ces règles d’exclusion ont brisé nos familles et qu’elles excluent nos enfants. Elles mettent en péril nos langues et nos cultures. Il ne suffit pas de rafistoler; il faut l’éliminer entièrement.

Nous en sommes la preuve, Serge et moi. Nos mères ont épousé les plus beaux Québécois. Nous sommes expulsés de la communauté. Nous ne pratiquons plus la langue innue tous les jours. Nous devons vivre à Montréal ou à Dupuis, en Abitibi, et ainsi de suite. Nous avons vécu l’effet de cette discrimination quand une femme marie un non-Indien, et plus tard les personnes qui correspondent aux paragraphes 6(1) et 6(2).

Quant aux dispositions d’absence de responsabilité, pour moi, pendant longtemps, peu importe le gouvernement au pouvoir, j’ai entendu — pendant longtemps, je vous le dis — la fonction publique, avec différents noms — Affaires indiennes, Services aux Autochtones, Relations, et cetera — me dire : « Oui, il y a de la discrimination, Michèle, mais on attend les processus judiciaires, et on changera en fonction de ces processus judiciaires. » Je me demandais dans ma naïveté si c’était comme cela que cela fonctionne, les projets de loi. J’ai appris tout de suite que non. Ce qui était évident, c’était le message qu’on me donnait chaque fois : si vous voulez contester, contestez contre vos chefs. Je n’ai pas de problème à contester contre mon chef, mais je conteste une loi fédérale, une politique fédérale désuète que vous nous avez imposée, et je dois la contester contre mon conseil de bande? Non. Pour moi, c’est important qu’on remette les choses à la bonne place.

N’oublions pas que c’est seulement depuis 2008 que les femmes autochtones peuvent déposer une plainte devant les tribunaux des droits de la personne, depuis 2007-2008. La jurisprudence est jeune pour nous. On est témoin, on sait que cela existe. Je ne pense pas qu’on devrait retarder les choses. Il est important d’adopter le projet de loi S-2 avec les modifications et de le renvoyer rapidement de l’autre côté.

La sénatrice Pate vous a très bien expliqué qu’elle n’a pas remarqué qu’il y avait des articles qui mentionnaient qu’on ne peut pas porter plainte si l’on est discriminé. Même chose avec notre grande leader, Sharon McIvor : on ne retrouve pas nulle part où, quand on viole la Charte au chapitre de l’égalité, on ne peut contester.

Je peux vous dire, par exemple, quand on se promène et on s’implique, la Commission canadienne des droits de la personne a de la difficulté lorsqu’elle reçoit des plaintes qui touchent les statuts d’Indien et l’adhésion. Tout de suite, le gouvernement fédéral interjettera appel en disant qu’elle n’a pas compétence sur cela. Encore là, on ferme des endroits où les femmes et les hommes pourraient obtenir justice. Vous comprendrez que pour moi, les tribunaux ne sont pas juste la solution, mais c’est ce qu’on nous dit de prendre. On commence à normaliser que c’est seulement les tribunaux, mais il y a une longue liste de gens, de familles et de recours collectifs qui touchent la Loi sur les Indiens et l’article 6 de la Loi sur les Indiens. Si l’on approuvait ce projet de loi avec ces amendements, beaucoup de cas dans les cours seraient réglés.

On parle de l’argent des contribuables en cour. Où va l’argent de ces femmes? Où le trouvent-elles? Il n’y a plus vraiment de Programme de contestation judiciaire, mais peut-être qu’il est revenu; tant mieux. Je vous le dis : il y a un lourd trafic de cas et de contestations judiciaires. Je veux rassurer la ministre quand elle nous dit qu’elle ne veut pas comparaître en cour. Ce n’est pas la ministre, c’est le Canada, le gouvernement. Si on a peur des amendements — parce que c’est un message que j’ai entendu, on ne veut pas comparaître en cour —, adoptons cela, parce que beaucoup de gens retireraient alors leur cause devant les tribunaux.

Cela vous dérange d’entendre 40 ans de consultations? Moi aussi, cela me dérange! J’en ai assez de répéter. Ce sont des consultations scientifiques, sociales, juridiques, académiques, imposées par des commissions d’enquête et par des experts. Toutes sortes de consultations ont été faites. Chaque fois, on a réitéré, répété, et martelé ceci : l’exclusion de la deuxième génération, elle fait mal et elle cause une grande confusion et une grande division au sein de nos familles. Dans les processus exploratoires proposés par les différents gouvernements — depuis 2011 — à la suite du projet de loi C-3, des consultations ont été lancées, et on a appelé cela un « processus exploratoire ». Je vous le garantis, rien n’a changé depuis.

La représentante spéciale Claudette Dumont Smith — une femme que j’admire — mentionne aussi qu’il ne fait aucun doute que l’iniquité la plus préoccupante qui a été soulevée tout au long du processus de collaboration était celle de la règle de l’exclusion après la deuxième génération. Le rapport du Sénat, intitulé C’est assez — un rapport ce n’est pas rien! Les consultations ont eu lieu, les preuves sont accablantes, les préjudices sont connus. C’est nous, le Parlement, qui tardons à agir. Même pendant l’enquête nationale, je me suis assurée d’ajouter un appel à la justice : l’appel 1.2.5, qui porte sur l’élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Ce n’est pas optionnel, c’est un impératif juridique.

Il s’agit d’un engagement national; il y a un grand débat autour de l’obligation de consulter. Vous m’avez entendue hier à cet effet : on ne négocie pas mes droits en tant que femme indienne, on ne négocie pas mes droits; je ne peux pas croire qu’on s’en va vers cela. Par contre, dans la consultation, j’adhère à 100 % au désir de cette première femme ministre crie de s’assurer que les nations soient en mesure de bien accueillir les gens, de se développer, de travailler autour de cela, mais pas sur les paragraphes 6(1) et 6(2) : sinon, on va juste répéter encore, corriger à petits pas, alors qu’elle pourrait honorer ces grands principes qui sont enchâssés dans l’article 35 par rapport à nos droits ancestraux et issus de traités. J’ai entendu fréquemment ici dans cette Chambre l’expression nation à nation.

Comment peut-on bâtir une relation réelle et honnête à partir de quelque chose de malhonnête, quelque chose qui n’est ni bien ni acceptable, c’est-à-dire à partir de cette politique que l’on appelle la Loi sur les Indiens? Nous ne pouvons pas bâtir une relation de nation à nation — une relation honnête. Cependant, si nous le faisons dans le cadre d’un traité moderne, d’un traité ou en honorant le traité déjà en place, j’honorerai cette relation chaque jour.

La beauté de l’article 35, c’est que nous savons aussi, en tant que femmes, que l’ensemble de l’article est une garantie d’égalité entre les hommes et les femmes. Ainsi, lorsque la ministre Gull-Masty adoptera une approche de nation à nation, nous lui poserons la question suivante : « Avez‑vous fait participer les femmes? Avez-vous fait participer les jeunes? » Et nous ajouterons : « Je suis sûre que vous l’avez fait, car cette obligation est écrite dans les lignes directrices fédérales sur la façon dont nous menons des consultations et prenons des mesures d’accommodement. »

Nous nous sommes battus pour cela, et les décisions des tribunaux nous ont aidés à clarifier cette obligation et à faire en sorte qu’elle soit respectée.

L’obligation de consulter, qui a été confirmée dans les décisions Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) et Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), est très claire. Cette obligation existe lorsqu’une action est susceptible d’affecter des droits ancestraux ou issus de traités.

Ce matin, l’Assemblée des Premières Nations a mentionné que la Loi sur les Indiens et la citoyenneté étaient deux enjeux totalement différents. La Loi sur les Indiens concerne les Indiens inscrits. Nous ne débattons pas de la citoyenneté. À mon avis, alors que nous avons la toute première ministre autochtone, le débat devrait porter sur ce qui suit : une relation de nation à nation et la citoyenneté, ainsi que notre façon d’honorer, de célébrer et d’accueillir de nouveau les personnes qui avaient perdu leur statut ou d’établir des liens avec elles. C’est ce qui serait, pour moi, une consultation réelle et honnête.

Je m’inquiète lorsque l’on veut élargir cette obligation de consulter à d’autres domaines, notamment à la réforme des dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens. Lorsque l’on corrige des injustices constitutionnellement reconnues par les tribunaux, le Parlement exerce son devoir. C’est ce que j’essaie de faire avec conviction.

Dans la décision Nicholas c. Canada (PGC), le Canada a reconnu que l’incapacité de transmettre le statut d’Indien en raison de l’émancipation des parents constituait une atteinte injustifiable aux droits garantis par l’article 15 de la Charte en raison de la discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique.

Même dans cette affaire, le Canada a reconnu que ces personnes avaient subi un désavantage historique et que la violation de leurs droits n’était pas justifiée.

En tant que témoins qui le vivent et qui pensent aux sept prochaines générations, on ne peut faire comme si cela n’était pas arrivé. Plusieurs rapports ont énuméré les nombreux effets psychosociaux, physiques et politiques. On pourrait tous les nommer. Ils sont là; ils sont palpables.

J’ai compris que le Sénat avait cette obligation pour les groupes minoritaires et pour les groupes de femmes et d’hommes autochtones. Lorsqu’une occasion comme celle-ci se présente, une vague d’ancêtres et de personnes vivantes le fait non seulement pour aujourd’hui, mais aussi pour les sept prochaines générations.

L’incertitude politique est vivante; elle est présente. Le budget de 2025 a été adopté tout récemment avec un écart de deux voix. Comprenez-vous pourquoi on est sensible lorsqu’on nous demande de faire confiance à la première personne autochtone qui veut apporter des changements? Ce n’est pas du tout que l’on se méfie de cette personne. Au contraire, on veut la soutenir. Cette crainte est causée par le système et par l’incertitude politique. Je ne peux qu’espérer, mais je ne peux pas ne rien faire. On a une occasion et des obligations. On doit le faire dès maintenant. Je ne crois pas que ce soit sujet à débat.

Aujourd’hui, j’ai entendu dire qu’elle ne sera peut-être plus là. Elle a mentionné cela. Je ne sais pas pourquoi les gens disent cela. Toutefois, il faut la soutenir, qu’elle soit là ou non. La discrimination est prouvée, et on a la chance, une fois pour toutes, d’y remédier au moyen du projet de loi S-2 et de ses amendements.

Je vous remercie.

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