L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, le 7 octobre 2023 restera gravé comme un jour d’horreur dans nos cœurs. Le Hamas a lancé une attaque d’une violence inouïe contre des civils israéliens qui a fait environ 1 200 morts, en majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. Il a également pris 251 otages. À mon tour, je me joins aux appels en faveur de la libération immédiate des otages qui sont toujours emprisonnés.
Reconnaître la gravité des événements du 7 octobre nous rappelle qu’aucune souffrance ne justifie celle d’un autre peuple. La justice et la paix exigent que chaque vie humaine soit traitée avec la même dignité. Cette dignité est aujourd’hui mise à rude épreuve à Gaza. C’est avec le cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui pour soutenir la motion très courageuse présentée par le sénateur Woo.
Je pense que son initiative préserve l’honneur de cette Chambre et de notre pays.
Comme parlementaires, il est rare que nous soyons appelés à nous prononcer sur une question d’une telle gravité. Pourtant, cette motion est à la mesure de l’indicible souffrance vécue par le peuple de Gaza.
Pour la première fois dans l’histoire, une communauté internationale pleinement informée et consciente assiste en temps réel à la destruction systématique d’infrastructures et au massacre quotidien de civils, toutes conditions confondues.
Permettez-moi de vous parler d’un homme dont les convictions continuent de nous éclairer encore aujourd’hui, soit le regretté Stéphane Hessel. Humaniste visionnaire, diplomate aguerri, Hessel est né en 1917 à Berlin, dans une famille juive.
Naturalisé Français, il rejoint la Résistance et suit le général de Gaulle à Londres pour lutter contre l’occupation nazie. En 1944, il est arrêté et torturé par la Gestapo, avant d’être déporté au camp de concentration de Buchenwald, d’où il parvient à s’évader.
Il rejoint par la suite le secrétariat de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, où il collabore avec John P. Humphrey, éminent juriste canadien reconnu comme étant l’un des pères de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est en effet Humphrey qui en a rédigé la toute première version, une contribution historique qui a marqué durablement l’évolution des droits de l’homme à l’échelle mondiale.
Vous devez vous demander pourquoi j’évoque aujourd’hui Stéphane Hessel. En fait, c’est parce que, à l’aube de ses 93 ans, en 2010, il a publié un court manifeste intitulé Indignez-vous! Ce texte, dont je vous recommande la lecture, a été traduit en 34 langues et vendu à plus de 4 millions d’exemplaires.
Son message est simple et puissant : l’indignation est une réaction saine et nécessaire face aux injustices du monde. Elle est un rempart contre l’indifférence, un appel à l’action citoyenne et une boussole morale dans un monde déboussolé.
Aujourd’hui, honorables sénateurs, je suis indignée.
Je suis indignée par les crimes de guerre commis à Gaza par l’État israélien — je mentionne bien l’État israélien, pas les juifs, car c’est important —, tout comme je le suis par les crimes perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023.
Je suis indignée que des besoins humanitaires élémentaires soient délibérément niés à une population civile et que la famine soit utilisée comme arme de guerre.
Je suis indignée par nos réactions timides, comme parlementaires canadiens, face à ce drame qui se joue sous nos yeux.
Je suis aussi indignée de devoir accueillir chaque jour, ici au Parlement, des ONG désespérées qui sont actives à Gaza; la dernière, qui représentait Oxfam, nous a tous fait pleurer ici.
Je suis indignée, car nous n’avons aucune réponse à leur donner, aucune réponse à leur détresse que le silence ou des paroles creuses.
Et pourtant, le Canada a une voix qui compte. Il incarne un idéal pour d’innombrables hommes et femmes qui ont été persécutés. Il a accueilli des personnes opprimées venues des quatre coins du monde. Il a adopté une Constitution et une Charte des droits et libertés qui comptent parmi les plus ambitieuses du monde.
Cette position, ce statut moral, s’accompagne d’une responsabilité, celle de défendre les droits de la personne avec courage, sans faire de distinction ni de calcul, et sans favoritisme.
Je vous pose donc la question, chers collègues : où est la voix du Canada?
Notre silence est non seulement incompréhensible, il est assourdissant.
Pire encore, la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a récemment affirmé qu’Israël commettait un génocide à Gaza. Devant un tel constat, un jour, le Canada pourrait être sommé de répondre de sa passivité, voire de sa complicité.
Je ne suis ni juriste ni experte, mais les paroles de l’ancien ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, résonnent encore en moi. En octobre 2023, il a déclaré ceci :
Nous imposons un siège total à [Gaza]. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant — tout est fermé. Nous combattons des bêtes humaines et nous agissons en conséquence.
C’est ce qu’il a dit : « Nous combattons des bêtes humaines. »
Chers collègues, au fil des décennies, notre pays a contribué à l’élaboration d’instruments juridiques parmi les plus avancés dans le domaine des droits de la personne, mais que valent ces textes si personne ne se lève pour les défendre? Si nous restons silencieux, qui leur donnera vie? Sans engagement, ils ne sont que de l’encre sur du papier.
Dans plusieurs pays émergents, on observe avec amertume ce qui semble être une empathie à deux vitesses de la part des dirigeants occidentaux. L’Occident a réagi rapidement pour sanctionner la Russie face aux crimes commis en Ukraine. Qu’en est-il des crimes tout aussi documentés commis à Gaza?
Pourquoi cette approche « deux poids, deux mesures » est-elle si flagrante?
Entre 2002 et 2009, Stéphane Hessel s’est rendu en Palestine à cinq reprises. Déjà, il s’inquiétait des conséquences de l’opération « Plomb durci ».
Après ses voyages, il a écrit ce qui suit :
Ne vous méprenez pas : je suis solidaire des juifs d’Israël et de ceux de la diaspora parce que je sais ce que c’est qu’être juif. Je suis moi-même d’origine juive par mon père et je soutiens sans équivoque l’idée que les juifs, après tout ce qu’ils ont subi, méritent un pays à eux. J’ai crié de joie quand l’État d’Israël a été fondé.
Il a ajouté avec fermeté : « Israël n’est pas au-delà du droit international. »
Que dirait M. Hessel aujourd’hui? Son indignation serait, je n’en doute pas, totale.
Chers collègues, alors que nous semblons paralysés par un étrange sentiment d’impuissance et que des droits élémentaires sont piétinés, le Canada a le devoir d’agir.
La voix du Canada est forte et est encore écoutée. Le monde prête une oreille attentive lorsque notre pays défend ses valeurs fondatrices, car elles font intrinsèquement partie de ce que nous sommes.
Alors que notre époque est couverte d’un voile sombre qui amène les gens à tourner progressivement le dos aux idéaux humanistes, le Canada doit assumer ces valeurs avec fierté et les crier haut et fort. Rien n’est perdu : agissons.
À une époque où les idéaux humanistes sont menacés, où l’État de droit cède trop souvent à la loi du plus fort, le Canada doit rester fidèle à lui-même. Tout n’est pas perdu, si nous choisissons d’agir.
Honorables sénateurs,
Face aux 1,9 million de personnes déplacées à Gaza : indignez-vous.
Face aux 250 journalistes tués à Gaza : indignez-vous.
Face aux 400 humanitaires tués à Gaza : indignez-vous.
Face aux 65 000 victimes civiles gazaouies : indignez-vous.
Face à l’utilisation de la famine comme arme de guerre : indignez-vous.
Face aux 1 200 victimes israéliennes du 7 octobre, et aux 251 otages pris par le Hamas : indignez-vous.
Face à ceux qui s’opposent au droit des Palestiniens et des Israéliens de vivre en paix : indignez-vous.
Face à l’indifférence, au fatalisme, à l’impuissance : indignez-vous.
Parce que l’histoire nous observe et nous jugera. Indignez-vous. Je vous remercie.