L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole pour dire quelques mots au sujet du projet de loi C-18. Nous avons entendu un certain nombre de Canadiens s’exprimer sur ce projet de loi, et j’ai écouté les nombreux discours que nous avons entendus au cours du processus, surtout aujourd’hui. Je présenterai mes brèves observations en trois parties. Je vais d’abord parler de l’objectif du projet de loi. Ensuite, j’aborderai le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes dans la supervision de l’application du projet de loi. Je parlerai enfin du contexte plus large.
Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de forces sur le marché des nouvelles numériques, dans le but d’assurer la rémunération juste et équitable des médias et des journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif réglementaire. Par ailleurs, le projet de loi élargit le mandat et le pouvoir du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC.
Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de force sur le marché des nouvelles numériques et ainsi assurer une rémunération équitable aux médias et aux journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif et réglementaire afin de permettre aux intermédiaires de nouvelles numériques, par exemple Google et Facebook, de négocier des accords. C’est l’objectif au cœur du projet de loi : négocier des accords avec les médias canadiens les autorisant à diffuser le contenu généré par ceux-ci sur leurs plateformes.
Le projet de loi met également en place un processus de négociation issu d’une réflexion créative pour permettre aux médias plus petits de négocier collectivement. Il confère au CRTC la responsabilité de l’élaboration des mesures réglementaires nécessaires, et du code de conduite, pour encadrer les négociations entre les intermédiaires de nouvelles numériques et les entreprises de nouvelles à propos du contenu. Il confie également au CRTC le mandat d’évaluer les ententes conclues indépendamment du processus de négociation afin de s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’exemption.
J’aimerais maintenant vous faire part de mes observations à l’égard du CRTC, dans le contexte de ce projet de loi. Lors de mes interventions dans cette enceinte, j’ai déjà abordé — au moins deux fois — le rôle général du CRTC par rapport à ce projet de loi. Loin de moi l’idée de me répéter, mais j’aimerais résumer certaines des critiques envers le CRTC. J’y ajouterai mon opinion, à la lumière de mon expérience avec cette organisation.
Le CRTC est un organisme indépendant qui supervise ou met en œuvre plusieurs lois et le fait de manière plutôt diligente; il tient parfois tête au Cabinet et au gouverneur en conseil lorsqu’il n’est pas d’accord avec lui. Bien que les commissaires soient toujours nommés par le Cabinet fédéral, le processus de sélection des commissaires est ouvert et transparent, et les gens doivent poser leur candidature. Une fois nommés, ils doivent éviter toute interaction avec les ministres et les parlementaires, et ce, avec beaucoup de diligence.
Je dois vous dire que, lorsque j’ai été nommé, le directeur des nominations m’a fait un petit sermon à ce sujet. Je n’ai pas vu pendant six ans des députés de différents partis que je connaissais. Au bout de ces six années, je suis allé les rencontrer et j’ai découvert que leurs enfants avaient grandi et qu’ils étaient eux-mêmes plus vieux et plus grisonnants. C’était comme si j’avais été en prison pendant six ans. Il y a beaucoup de gens avec qui je n’ai eu aucun contact pendant ces six années.
Il a été dit que le CRTC pouvait désigner des parties sur un coup de tête. Eh bien, laissez-moi vous dire que le CRTC n’agit pas et ne peut pas agir sur un coup de tête. Il en est incapable, et c’est prévu ainsi. Lorsque j’étais au CRTC, un de mes collègues a déployé beaucoup d’efforts pour que le CRTC se prononce sur le champ sur certaines questions. Il a essayé pendant toute la durée de son mandat et n’a pas réussi. Le processus est toujours réfléchi et les décisions ne sont pas prises sur un coup de tête, pour le meilleur ou pour le pire. Le CRTC procède toujours à des consultations approfondies avant de finaliser ses règlements dans le cadre d’un processus qui comporte souvent deux cycles de négociations.
Enfin, le CRTC est, à mon avis, bien équipé pour assumer la responsabilité en question, car il réglemente la radiodiffusion, ce qui inclut la radiodiffusion d’informations. Il élargira donc son champ d’action, pour couvrir à la fois la presse écrite et l’information en ligne. En ce sens, il y a des choses que le CRTC doit apprendre, mais il a certainement une base en place.
Mettons brièvement les choses en perspective. Le printemps 2023 est un jalon historique; il lui faudrait un nom. On se souvient du Printemps arabe, mais je crois que le printemps de l’intelligence artificielle, celui de 2023, est une période très intéressante. C’est le moment où l’intelligence artificielle a envahi le monde numérique et probablement aussi le monde entier. Le monde a changé depuis l’arrivée de ChatGPT et des autres applications d’intelligence artificielle générative. Avec la polarisation croissante de la société au Canada et ailleurs sur la planète, les projets de loi de ce genre deviennent d’autant plus importants.
Le projet de loi que nous étudions défend-il les médias du passé et les médias en difficulté? Peut-être que oui, peut-être que non. Si ce projet de loi défend des médias qui sont irrémédiablement en déclin, il faut tout de même faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver les médias libres et sérieux qui cherchent habituellement à être objectifs et qui veillent à la qualité de leur contenu. Il faut surtout éviter que les réseaux sociaux individualisés, qui, comme nous le savons, tendent à être fortement partiaux, à adopter une perspective étroite et à manquer de fiabilité, deviennent la seule source d’information.
Comme certains l’ont dit, de nombreux médias numériques aussi rigoureux que les médias traditionnels se développent, mais il s’agit habituellement de petits joueurs qui en arrachent. Tant que ces médias n’auront pas les reins assez solides pour offrir la même qualité, la même rigueur et la même hauteur de vue que les médias traditionnels, il faudra aider ces derniers. Le monde numérique cloisonne la société au lieu de susciter un dialogue juste et respectueux entre les membres de la population.
Devant les menaces de représailles des géants du Web dans l’affrontement entre les gouvernements démocratiquement élus et les sociétés multilatérales il est vital que la démocratie demeure ferme. En fait, les géants du Web illustrent très bien la nécessité de ce projet de loi. Notre société démocratique et harmonieuse est en train de sombrer dans un mouvement de désintégration sociale sauvage.
Compte tenu de ces raisons, je crois fermement que nous devons faire tout en notre pouvoir pour sauver et renforcer les médias traditionnels, qu’il s’agisse des médias imprimés, radiophoniques et télévisuels ou en ligne. Il s’agit d’une étape parmi tant d’autres pour soutenir des médias libres et objectifs, et pour protéger notre démocratie, qui est actuellement plus fragile qu’elle ne l’a jamais été depuis de nombreuses décennies.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vois que le sénateur Housakos a une question. Sénateur Cardozo, acceptez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Cardozo : Nous manquons de temps. Une petite question, bien sûr. Je suis toujours flatté lorsque le sénateur Housakos me pose une question.
L’honorable Leo Housakos : Je vous remercie. Je suis heureux que vous pensiez ainsi. C’est une question simple.
Le gouvernement affirme qu’il s’est engagé à aider la presse écrite et les divers médias locaux et régionaux. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi il dépense environ 140 millions de dollars par an pour avoir l’appui des médias pour toutes les agences gouvernementales, et pourquoi il ne consacre qu’un maximum de 2 à 2,5 % aux médias ethniques et locaux, alors que le reste du budget va aux géants de la radiodiffusion au Canada?
Le sénateur Cardozo : Ce n’est pas moi qui établis ces budgets, mais je ne suis pas du tout en désaccord avec vous. Je pense que, ce que nous essayons de faire ici, c’est d’aider les médias.
L’une des questions que vous et moi avons posées à un certain nombre de personnes qui ont comparu devant nous en comité est de savoir ce qu’il allait advenir des petits médias, des médias ethniques, et ainsi de suite. Les propos des témoins australiens figurent parmi les choses qui m’ont le plus rassuré, car selon eux, les petits médias ont obtenu beaucoup plus de ressources que les grosses boîtes. Voilà qui me rassure un tant soit peu. Il s’agira assurément d’un dossier à suivre, mais au moins il en a été beaucoup question au comité. Je vous remercie.