Je suis de la forêt boréale, du territoire de l’Atiku (caribou), un animal sacré pour les Innuat. Mon peuple avait l’habitude de voyager en suivant la trace des troupeaux de caribous.
J’ai grandi à Schefferville, au Québec, où je pouvais régulièrement apercevoir des troupeaux de caribous. Désormais, une fois par an, lorsque nous sommes sur notre territoire traditionnel dans le Mushuau-nipi, nous nous demandons si le maître des caribous papakasis nous accordera le privilège de voir un ou deux caribous. L’avenir de ce troupeau autrefois immense est désormais incertain.
Pendant sa migration, le troupeau de la rivière George traverse le nord du Labrador et de grandes parties du Québec. Ce troupeau nous donne un aperçu choquant des niveaux de population de caribous au fil du temps.
Dans les années 1990, le troupeau était formé d’une dense population d’environ 800 000 caribous. De nos jours, on en compte 7 200 : la population a chuté d’environ 90 %.
En plus de ma langue innue, qui a presque disparu, je suis confrontée à la perte potentielle d’un second aspect fondamental de ma culture; mon chagrin est immense. Par ailleurs, les caribous jouent aussi un rôle déterminant dans le maintien de l’équilibre de l’écosystème arctique. Malheureusement, l’espèce est aujourd’hui en voie de disparition : son territoire a été détruit, inondé et pollué, le tout au profit de quelques multinationales tandis que les autres continuent à s’appauvrir.
La disparition des caribous est largement attribuable à la destruction de la forêt boréale qui les abritent en raison de l’expansion urbaine et des changements climatiques.
La forêt boréale a des répercussions incommensurables sur notre planète. À ce jour, elle a encore la meilleure manière de capturer les émissions de carbone et de prévenir les effets des changements climatiques. D’abord, parce qu’elle représente une grande partie des forêts restantes dans le monde, mais aussi parce qu’elle peut absorber deux fois plus de carbone que les autres. Nous devons prendre tous les moyens nécessaires pour protéger la forêt boréale et, idéalement, replanter celles que nous avons perdues.
Mes ancêtres et les peuples autochtones étaient et sont encore des génies. Ils étaient des médecins, des ingénieurs, des pédagogues, des architectes et des visionnaires. Ils prenaient à la Terre mère ce dont ils avaient besoin pour leur famille. En échange, ils devaient la protéger. Ils comprenaient l’importance de ces leçons et s’assuraient de les transmettre aux jeunes générations. Si nous nous tournons vers les communautés autochtones du monde, nous constatons que ces leçons ne se sont pas éteintes avec mes ancêtres : nous n’écoutions tout simplement pas. Il est temps pour le Canada d’écouter.
En décembre 2022, le Canada a accueilli la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité. En tant que pays hôte, il doit être un modèle à suivre dans le monde quant à la protection de la biodiversité. Le Canada a beaucoup de travail à faire, mais le chemin à suivre pour mener le monde vers un avenir plus vert est déjà tracé. Si nous voulons avoir la chance de sauver notre planète, le Canada doit suivre l’exemple des communautés autochtones de partout dans le monde qui luttent pour la Terre mère et adopter un rapport similaire à la terre. Au sud de la frontière, le gouvernement des États-Unis a commencé à intégrer le savoir autochtone dans ses processus décisionnels par l’entremise d’un nouveau conseil (en anglais seulement) destiné à guider les organismes fédéraux sur le plan de la protection de l’environnement. C’est un modèle dont le Canada pourrait s’inspirer.
Présentement, grâce à l’intendance des communautés autochtones, 80 % de la biodiversité mondiale se trouve dans des endroits habités par des peuples autochtones (en anglais seulement). Au Canada, le gouvernement fédéral a commencé à reconnaître la valeur des efforts de conservation dirigés par les Autochtones en finançant les ententes relatives aux aires protégées et de conservation autochtone et les programmes des gardiens autochtones. Selon l’Initiative de leadership autochtone, 90 % des aires protégées au cours des 20 dernières années au pays sont le fruit d’une collaboration avec des communautés autochtones. Ces ententes ont fait leurs preuves; grâce à elles, la faune et la flore des territoires sont plus saines et plus vivantes.
Nous avons tous la responsabilité et le devoir de protéger notre Terre mère et tout ce qu’elle nous offre. La terre, les animaux, les poissons, les plantes et l’eau : ils font partie de notre identité, de notre culture, de notre savoir et de nos traditions. Si nous n’agissons pas maintenant, c’est la survie de toutes les espèces qui est menacée.
La sénatrice Michèle Audette est originaire de la communauté innue de Uashat mak Mani-Utenam au Québec. Au Sénat, elle représente la division québécoise De Salaberry.
Cet article a été publié le 12 décembre 2022 dans le journal The Hill Times (en anglais seulement).