Le discours du Trône—Motion d’adoption de l’Adresse en réponse

Par: L'hon. Patricia Bovey

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L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, nous aspirons tous à bâtir un Canada plus fort et plus résilient, et nous avons tous des idées pour y parvenir. C’est un honneur pour moi d’ajouter mes réflexions sur les moyens et les difficultés de créer un meilleur endroit pour tous, surtout en cette période de pandémie.

Dans le discours du Trône, la gouverneure générale a parlé de l’immense dette que nous avons envers ceux qui ont été en première ligne et ceux qui le sont toujours. Nous sommes tous d’accord. Nous avons également une dette envers les artistes, qui nous ont remonté le moral et nous ont fait oublier nos peurs et nos inquiétudes pendant un moment. Leur créativité nous donne de l’espoir et nous aide à nous concentrer sur l’avenir. Ils représentent et dépeignent aussi notre histoire. De cette histoire, nous puisons notre force et trouvons un chemin vers une société plus juste, où on travaille à la réconciliation et tente de corriger les erreurs du passé et de voir à ce qu’il n’y ait plus d’omissions dans cette histoire.

Depuis le début de la pandémie, je communique constamment avec des artistes, ainsi que des leaders et des travailleurs du milieu des arts. J’applaudis leur créativité, leur sens de l’innovation et leur engagement. Les dirigeants du secteur des arts se sont heurtés à de grosses difficultés pendant la pandémie, et leur vie comme leurs programmes ont eux aussi été chamboulés.

Un leadership stable est essentiel aujourd’hui, comme le montrent plusieurs institutions de ma province, par exemple, l’Orchestre symphonique de Winnipeg, l’Orchestre de chambre du Manitoba, l’Opéra du Manitoba, le Royal Manitoba Theatre Centre, le Royal Winnipeg Ballet, le Prairie Theatre Exchange, le Musée des beaux-arts de Winnipeg, le Musée du Manitoba, et bien d’autres encore.

Je suis fière des professionnels du monde artistique de ma province qui ont réussi à effectuer une transition vers le numérique pour leur programmation et leurs activités de financement. Ils connaissent parfaitement leur communauté et leur institution.

En plus d’être créatives pour atteindre leur public avec le numérique, les institutions de ma province se sont montrées solidaires et sensibles aux besoins de leur personnel, des artistes et du public. Elles se sont conduites avec compassion, pragmatisme et espoir. Je suis certaine que les conseils d’administration bénévoles de tout le Canada sont conscients de l’importance vitale de la stabilité et de la sensibilité. Nous devons collectivement prévenir une fuite des talents. Lorsque la vie reprendra son cours normal sur terre, le Canada devra pouvoir s’appuyer sur de solides piliers dans le monde de la création.

Pour nous, depuis quelques années, cela repose sur l’économie du savoir. Je me rappelle très bien le travail que nous avons fait, au cours des années 1980, afin de définir ce qui était nécessaire pour réaliser le plein potentiel de notre économie du savoir et de déterminer ce que nous, à titre de dirigeants institutionnels, devions faire pour assurer notre force. Le rôle essentiel de l’économie du savoir a été réitéré dans le discours du Trône.

Un certain nombre de questions de société ont été formulées : changement climatique, protection de l’environnement, santé, personnes handicapées, économie, égalité, éducation et connectivité d’un bout à l’autre du pays. Le secteur créatif établit des liens entre tous ces éléments, comme il le fait avec les valeurs du Canada. Je remercie le groupe de travail non officiel sur la COVID-19 et les arts, formé de sénateurs des trois groupes de cette enceinte, d’avoir étudié de près pendant plusieurs mois les effets de la COVID-19 sur les arts et les artistes, ainsi que sur les organisations et les milieux artistiques.

À quels défis précis le milieu des arts est-il confronté au sein de la société élargie et comment les relève-t-il? Que doit faire la société, et quelles mesures le gouvernement doit-il encourager?

Commençons par la question des changements climatiques, qui éclipse de nombreuses autres questions de nos jours, qu’il s’agisse du temps qu’il fait un peu partout dans le monde, de l’Arctique canadien ou des changements dans la nature, le logement, la nourriture, le transport et bien plus encore. Les changements climatiques, les questions environnementales et les besoins de la société sont inextricablement liés, entièrement intégrés et impossibles à séparer. Je pense qu’une des raisons pour lesquelles cette crise est mal comprise est que nous nous sommes laissés cloisonner.

À cette fin, je pense que les musées doivent jouer le rôle important dont ils sont capables dans la lutte contre les changements climatiques. Ils doivent réduire leur empreinte et sensibiliser le public à la réalité, y compris les données scientifiques, les conséquences sur les êtres humains et les changements viables et nécessaires dans les comportements. Les musées possèdent les connaissances et les collections nécessaires. Ils ont la confiance du public. Ils peuvent donc sortir des sentiers battus et jouer un rôle clé. Ils peuvent exercer une influence salutaire pour faire valoir un principe supérieur dans l’intérêt général.

Pour ce faire, les musées et les galeries doivent prendre plus de risques. Le monde des arts gère bien ses affaires; il a toujours un œil sur les objectifs essentiels que sont ses résultats et le public qu’il attire. La poursuite de ces objectifs nous a donné une fréquence accrue des expositions à grand succès, qui sont certes importantes, mais qui nous font parfois oublier notre histoire, notre patrie et l’univers artistique qui l’habite. La lettre de mandat adressée en 2019 au ministre du Patrimoine canadien lui confie la tâche d’élaborer une politique nationale sur les musées. Au fur et à mesure que les principes, les lignes directrices et les valeurs seront définis, j’espère que l’on envisagera de permettre aux conseils d’administration et au personnel de prendre des risques et d’explorer des sujets difficiles et complexes qui contribueront à un changement et à un dialogue sociétal constructif à long terme.

La satisfaction immédiate du public ne doit pas être le seul objectif. La sensibilisation et l’éducation de tous doivent l’emporter sur tout autre objectif. C’est l’un des quatre volets clés du mandat des musées et des galeries.

Pour faire le lien avec les cibles environnementales essentielles du Canada, je me suis réjouie du fait que le projet de loi C-55, qui visait à accroître la proportion de zones marines protégées des océans, soit adopté. L’exposition sur l’Arctique au Musée canadien de la nature m’impressionne, tout comme la façon dont les artistes dénoncent, depuis des décennies, les problèmes environnementaux. Il s’agit notamment de Sarah Anne Johnson, dans son travail sur la plantation d’arbres au Manitoba, d’artistes qui ont contesté les premières coupes d’arbres anciens dans la vallée de la Carmanah en Colombie-Britannique dans les années 1980, et même d’Emily Carr, dans ses peintures de la fin des années 1930 et du début des années 1940, comme Logged-over Hillside. L’objectif de protéger le quart de notre territoire et de nos océans au cours des cinq prochaines années est déterminant. Les musées doivent jouer un rôle de chef de file à cet égard et contribuer à cette initiative par leurs connaissances et leurs collections qui témoignent des changements récents et millénaires observés dans la nature.

La santé est aussi intrinsèquement liée aux arts. Comme j’ai souvent parlé dans cette enceinte des retombées positives des arts sur la santé des gens, je ne vais pas répéter des statistiques, mais j’invite le secteur des arts et de la culture à continuer de présenter des œuvres, étant donné les nombreuses maladies et affections qui touchent les Canadiens et la crise qui frappe le milieu médical à l’heure actuelle.

La gouverneure générale a souligné les programmes d’activités parascolaires, la formation et l’enseignement. De nouvelles initiatives sont nécessaires en cette période de pandémie, mais de nombreux programmes efficaces ont besoin d’une aide urgente pour répondre à la demande croissante, comme l’organisme Art City, de Winnipeg, qui offre un programme d’activités parascolaires aux enfants de diverses communautés ethniques des quartiers défavorisés. Les programmes de Sistema permettent aussi de réaliser des progrès impressionnants au chapitre de la confiance, de la santé et du bien-être des enfants et des familles. Grâce à la musique, Naomi Woo, fille du sénateur Woo et directrice de Sistema Winnipeg, améliore la vie de jeunes de quartiers défavorisés.

Les programmes de mentorat, de stage et d’expérience de travail offerts par les universités, les collèges et les organismes, comme Mentoring Artists for Women’s Art, sont essentiels, tout comme le sont les programmes de mentorat du Canadian Senior Artists’ Resource Network. Depuis les six dernières années, le Canadian Senior Artists’ Resource Network atteint son objectif, qui est de rapprocher les générations, les cultures et les régions grâce à un programme de mentorat en ligne et en personne. Sans financement fédéral, l’organisme jumelle des artistes et des administrateurs du domaine des arts qui sont âgés et chevronnés à de nouveaux talents. Son incidence est palpable, et pourtant, il est incapable de répondre aux besoins actuels. Le moment est peut-être venu pour le gouvernement fédéral d’élaborer un projet pilote sur l’efficacité et les avantages des mentorats rémunérés.

En ce qui concerne la réconciliation, je crois également que les « réconciliactions » sont essentielles, tant de la part des Canadiens non autochtones que des Canadiens autochtones, et je tiens à remercier le Comité permanent de la régie interne d’appuyer le processus visant la représentation équitable et l’installation d’œuvres d’art autochtones au Sénat. Il s’agit d’un geste modeste, mais qui a son importance.

On a aussi parlé de revigorer le secteur touristique, dont la vitablité dépend beaucoup des de la culture, des musées, des festivals, des arts de la scène et des autres formes d’art que l’on retrouve à une myriade d’endroits au Canada. Pour redémarrer et prospérer, l’industrie touristique a besoin d’un secteur des arts et de la culture prospère. Il ne faut pas oublier qu’à Toronto, 22 % des séjours à l’hôtel chaque année sont attribuables aux activités artistiques.

Le gouvernement a signalé en 2016 que le tourisme représente 2 % du PNB du Canada, et qu’un emploi sur onze — plus de 1,7 million d’emplois canadiens — dépend de l’économie du tourisme. Le secteur touristique est l’employeur principal des jeunes et un employeur important des nouveaux arrivants au Canada. Les recettes provenant du tourisme international au Canada s’élèvent à 20 milliards de dollars, tandis que le tourisme intérieur génére des recettes de 72 milliards de dollars.

Le tourisme permet incontestablement de créer des liens entre les gens. Ils favorisent les échanges culturels et aident les Canadiens et les autres habitants de la planète à mieux se comprendre.

J’ai des préoccupations au sujet de CBC/Radio-Canada et de la diffusion numérique; j’y reviendrai à une autre occasion. J’irai droit au but en disant que les plateformes Internet doivent être réglementées, puisqu’en ce moment elles ne sont pas considérées comme des médias électroniques. Pourtant, elles devraient être soumises à la Loi sur le statut de l’artiste et elles devraient obligatoirement payer les artistes. Je m’inquiète du nombre d’artistes qui créent des œuvres à l’aide de leur propre équipement et qui les publient sur des plateformes gratuites simplement pour se faire connaître.

Je me réjouis de la création du Canadian Independent Screen Fund à l’intention des créateurs noirs et de couleur. Ce programme permettra de faire des investissements ciblés, investissements qui devraient créer des débouchés professionnels et avoir des retombées économiques dans les communautés racisées.

L’an prochain, le Canada sera représenté à la Biennale de Venise par Stan Douglas, un artiste noir de Vancouver. Signalons aussi que le 10 décembre, ce sera la première de Funny Boy, un film à la fois émouvant et magnifique de la cinéaste Deepa Mehta. Chers collègues, la diplomatie culturelle du Canada est bien vivante et doit le demeurer. Il faut comprendre toute son importance et la soutenir, comme le fait valoir le rapport du Sénat intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, publié en 2019.

Cela dit, où en sommes-nous maintenant? Les programmes d’aide du gouvernement durant la première vague de la pandémie ont été nécessaires, et ils le sont encore maintenant. Toutefois, je continue de m’inquiéter pour les personnes qui sont laissées pour compte. Les organisations artistiques ont-elles été consultées pour établir les critères d’admissibilité aux subventions durant la deuxième vague, comme l’a promis la ministre des Finances?

Comment les organisations artistiques survivront-elles si les dons sont en deçà des projections pour 2020 et si leur auditoire n’est qu’à 25 ou 30 % de leur capacité après leur réouverture?

Les sénateurs qui ont été nommés à la Chambre haute dans le cadre du « nouveau » mode de nomination ont fait l’objet d’un processus d’évaluation intense, portant sur nos valeurs professionnelles et nos réalisations par rapport au Sénat et aux valeurs canadiennes. Honorables collègues, on peut reconnaître ces valeurs collectives dans les enjeux auxquels nous sommes confrontés pendant la pandémie.

Pour conclure, voici un court poème de Maxwell Bates écrit en 1962 :

Je suis un artiste qui, depuis quarante ans—Se tient au bord du lac—Et lance des pierres dans le lac—Parfois, j’entends—Un « plouf » très doux.

Chers collègues, j’espère que nous entendrons le « plouf » de nos multiples préoccupations. Si j’ai un message primordial à communiquer après avoir réfléchi au discours du Trône, c’est d’écouter les artistes qui expriment de manière poignante qui nous sommes, et ce que nous devons chérir et régler en tant que société. Merci.

Des voix : Bravo!

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