Deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, une étape du processus parlementaire qui est définie comme suit dans la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, publiée en 2009 :

L’étape de la deuxième lecture se caractérise par la tenue d’un débat général sur le principe du projet de loi. Le Règlement ne mentionne pas expressément cette pratique, mais celle-ci est profondément ancrée dans la tradition procédurale de la Chambre. Le débat doit donc porter sur le principe du projet de loi et non sur ses dispositions particulières.

Autrement dit, notre vote à l’étape de la deuxième lecture vise à appuyer ou non le principe du projet de loi, qui est d’étendre l’accès à l’aide médicale à mourir.

Le projet de loi découle d’un jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 11 septembre 2019, qui a rejeté les arguments du procureur général du Canada et du procureur général du Québec sur la validité de l’un des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir qui se trouve dans le Code criminel, soit le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible », ainsi que du critère de « fin de vie » de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec.

Ceux qui étaient au Sénat en juin 2016 quand le projet de loi C-14 a été adopté se rappelleront que la majorité des sénateurs estimaient que ce critère allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte des droits et libertés. En ce qui concerne l’article 7 de la Charte, la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes dans une décision unanime rendue en 2015, dans l’affaire Carter c. Canada , disant :

[…] nous ne sommes pas d’avis que la formulation existentielle du droit à la vie exige une prohibition absolue de l’aide à mourir, ou que les personnes ne peuvent « renoncer » à leur droit à la vie. Il en résulterait une « obligation de vivre » plutôt qu’un « droit à la vie », et la légalité de tout consentement au retrait d’un traitement vital ou d’un traitement de maintien de la vie, ou du refus d’un tel traitement, serait remise en question. Le caractère sacré de la vie est une des valeurs les plus fondamentales de notre société. L’article 7 émane d’un profond respect pour la valeur de la vie humaine, mais il englobe aussi la vie, la liberté et la sécurité de la personne durant le passage à la mort. C’est pourquoi le caractère sacré de la vie « n’exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix ». Et pour cette raison, le droit en est venu à reconnaître que, dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d’une personne quant à la fin de sa vie.

Cependant, le gouvernement et la Chambre des communes ont refusé l’amendement du Sénat, et le Sénat a finalement décidé de ne pas insister. Comme prévu, le critère a été rapidement remis en question. Dix jours seulement après l’adoption du projet de loi C-14, Julia Lamb, une femme dans la vingtaine atteinte d’amyotrophie spinale, et l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ont lancé une contestation constitutionnelle devant la Cour suprême de Colombie-Britannique.

Le 13 juin 2017, la Cour supérieure du Québec a été saisie d’une autre contestation par Jean Truchon et Nicole Gladu.

M. Truchon était alors âgé de 49 ans. Depuis sa naissance, il était atteint d’une paralysie cérébrale spastique avec triparaisie. Cette condition l’a laissé complètement paralysé, à l’exception de son bras gauche, qui était fonctionnel et qui lui a permis, jusqu’en 2012, d’effectuer certaines tâches quotidiennes et de se déplacer en fauteuil roulant. M. Truchon a reçu l’aide médicale à mourir en avril dernier.

Mme Gladu, aujourd’hui âgée de 74 ans, est née avant l’époque de l’inoculation généralisée au vaccin contre la poliomyélite. Elle a contracté une forme paralysante aiguë de la maladie à l’âge de 4 ans et y a survécu. Elle en est ressortie avec des séquelles importantes, notamment une paralysie résiduelle du côté gauche et une scoliose sévère causée par la déformation progressive de sa colonne vertébrale.

Leur dossier a été mis en état, puis entendu au début de 2019. Le procès a duré 31 jours et s’est étalé sur deux mois. Vingt-quatre témoins ont été entendus, dont 17 experts. La cour a aussi entendu huit intervenants, y compris des représentants du Conseil des Canadiens avec déficiences, de l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, de l’Alliance des chrétiens en droit, du Collectif des médecins contre l’euthanasie et de Dying With Dignity Canada. Plusieurs de ces groupes sont d’ailleurs venus témoigner de nouveau devant le Comité des affaires juridiques il y a deux semaines.

Le 11 septembre 2019, après six mois de réflexion, la juge Baudouin a rendu sa décision, soit un peu plus de deux ans après le début des procédures judiciaires, ce qui est normal pour un dossier de cette nature. Au sujet de l’exigence de la mort imminente, la juge Baudouin a écrit ce qui suit :

La restriction imposée par l’État selon laquelle la mort doit être raisonnablement prévisible avant de pouvoir demander l’aide médicale à mourir a une portée excessive puisqu’elle empêche certaines personnes, comme M. Truchon et Mme Gladu, capables et bien renseignées, qui satisfont à toutes les autres conditions protectrices de la loi et qui expriment un désir rationnel de mettre fin à leur souffrance à cause de leur condition grave et irréversible, de demander cette aide.

La juge Baudouin poursuivait ainsi :

En ce sens, la restriction excède largement l’objectif visé à un point tel qu’elle ne possède aucun lien véritable avec l’objectif de protéger des personnes vulnérables qui pourraient être incitées à mettre fin à leur vie dans un moment de détresse. Elle leur impose plutôt de devoir faire le choix cruel dont parle la Cour suprême…

— dans l’arrêt Carter

… en ce qu’elle les force soit à souffrir de manière intolérable pour un temps indéfini qui peut durer des mois, voire des années, ou à mettre fin à leur vie par leur propre moyen, tout cela pour satisfaire à un principe de précaution général.

Il est intéressant de noter que le principe de précaution général a aussi été rejeté récemment par la Cour suprême du Canada dans le jugement Procureur général de l’Ontario c. G, auquel les sénateurs Gold et Carignan ont fait référence dans leurs excellents discours.

Je reviendrai sur cet arrêt dans le cadre de l’étude du comité et à l’étape de la troisième lecture, mais, pour l’instant, je m’en tiendrai au principe du projet de loi C-7, soit l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir.

Nous nous rappelons tous qu’au moment où la décision Truchon a été rendue, nous étions en pleine élection générale. En fait, le Parlement a été dissous la journée même où le jugement a été rendu public, le 11 septembre 2019. Le 3 octobre, le gouvernement du Québec annonçait qu’il n’allait pas interjeter appel de la décision. Une semaine plus tard, le 10 octobre, durant le débat électoral en français, le premier ministre Trudeau a fait une annonce similaire.

Autrement dit, les deux ordres de gouvernement ont décidé de ne pas se prévaloir de leur droit de porter la cause en appel devant la Cour d’appel du Québec. Il est fort probable qu’un arrêt de cette cour dans cette affaire aurait été recevable par la Cour suprême du Canada. Certains témoins et certains sénateurs considèrent qu’il n’était pas judicieux de ne pas porter la cause en appel. Bien que je respecte leur opinion, je ne suis pas d’accord.

Bien sûr, interjeter appel aurait donné quelques années de plus aux deux ordres de gouvernement avant d’avoir à rendre une décision, le temps que la Cour suprême du Canada mène à bien son processus d’appel. Les deux gouvernements ont plutôt décidé de braver la tempête, sachant qu’en définitive, c’est aux législateurs, et non aux tribunaux, qu’il revient de définir les paramètres de l’accessibilité à l’aide médicale à mourir et les mesures de sauvegardes connexes.

Bien entendu, les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde adoptés par le Parlement ou par une province doivent être conformes à la Charte des droits et libertés. À ce sujet, les rôles institutionnels des tribunaux et des parlements sont différents, comme l’a récemment déclaré la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. G:

[…]la législature est souveraine en ce sens qu’elle jouit du pouvoir exclusif d’adopter, de modifier et d’abroger des lois comme elle l’entend, tandis que les tribunaux demeurent les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers.

Chers collègues, on entend souvent dire que les politiciens se cachent derrière la toge des juges pour éviter de prendre des décisions difficiles. Cette fois-ci, cependant, les deux gouvernements ont décidé d’agir. Ils l’ont fait en tenant compte des enseignements tirés non seulement de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, mais aussi de celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter et des décisions prises par le Sénat en 2016.

Pourquoi? La réponse à cette question a été donnée à de nombreuses reprises. C’est parce que les deux gouvernements croient aux principes d’autonomie et d’égalité des individus, notamment le droit de ne pas être forcé de recourir à d’autres solutions inhumaines comme refuser de se nourrir et de s’hydrater, ou utiliser un moyen violent pour mettre fin à leurs souffrances persistantes et intolérables.

Tous les Canadiens ont été informés de la décision du gouvernement Trudeau. Les Canadiens ont eu l’occasion d’interroger tous les candidats sur la décision de ne pas faire appel dans l’affaire Truchon, et donc sur la décision même d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.

La semaine dernière, ceux qui ont été élus lors des dernières élections générales ont parlé haut et fort. Le projet de loi C-7 a été adopté par 213 voix pour et 106 contre. Dans cette majorité, de 2 contre 1, il y a des membres de tous les partis de la Chambre des communes, dont 13 députés conservateurs, tous les députés du Bloc et du NPD présents alors et tous les députés verts et presque tous les députés libéraux; c’est important de le dire. Ce résultat est vraiment significatif compte tenu de la nature du projet de loi, de sa complexité et de l’ensemble plus vaste de questions difficiles qu’il soulève sur les plans juridique, social, personnel et éthique.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que nous devons maintenant voter à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7.

Je sais que certains d’entre vous, comme de nombreux témoins que nous avons entendus au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, s’opposent à l’aide médicale à mourir sous quelque forme que ce soit. Je respecte votre opinion, mais le projet de loi C-7 ne doit pas être perçu comme une autre occasion de s’opposer au principe de l’aide médicale à mourir.

Comme l’a déclaré la Cour suprême, le gouvernement a le devoir constitutionnel de fournir l’aide médicale à mourir aux Canadiens qui veulent mettre un terme à leurs souffrances persistantes et intolérables causées par une maladie grave ou irrémédiable, et qui souhaitent le faire paisiblement, en lieu sûr, entourés de leurs proches. C’est une question de respect pour la dignité et l’autonomie de tous les citoyens dans une démocratie. C’est pour ces raisons que je voterai en faveur du projet de loi C-7 à l’étape de la deuxième lecture, projet de loi qui vise à mettre fin à la négation d’un droit constitutionnel garanti en vertu de l’article 7 de la Charte.

Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec toutes les parties du projet de loi. Comme vous le savez, j’ai exprimé de sérieuses préoccupations quant à l’exclusion proposée des personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente. D’autres pourraient souhaiter davantage de mesures de sauvegarde par rapport à des situations particulières. Je me réjouis donc à la perspective de débattre des différentes mesures proposées dans le projet de loi C-7 avec mes collègues du comité et à l’étape de la troisième lecture. Merci, meegwetch.

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