Le Sénat s’est formé en comité plénier afin de recevoir l’honorable Mark Holland, c.p., député, ministre de la Santé, et l’honorable Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, accompagnés de deux fonctionnaires chacun, relativement à la teneur du projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Le sénateur Dalphond : Tout d’abord, j’aimerais remercier les deux ministres de leur présence ce soir. Je sais qu’il y a déjà deux heures que la séance du comité plénier a commencé. Je suis bien conscient que je suis le dernier obstacle avant votre départ. Je tenterai de vous poser des questions, mais j’aimerais aussi regarder vers l’avenir. Le sénateur Dagenais a couvert une partie de ce que je voulais vous demander.
On a parlé de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui a conclu qu’il n’y avait pas de consensus médical ni social pour autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir pour une condition de maladie mentale seulement. L’Assemblée nationale du Québec a ensuite modifié la Loi concernant les soins de fin de vie pour exclure spécifiquement l’accès à l’aide médicale à mourir dans le cas où une personne souffre d’une maladie mentale seulement.
Cependant, la commission spéciale avait également recommandé qu’on aille de l’avant avec les demandes anticipées, notamment pour couvrir les cas de personnes qui souffrent de maladies comme l’alzheimer, qui devient un diagnostic irrémédiable et qui, à un moment donné, peut priver la personne de la capacité de choisir une fin digne selon ses critères. La semaine dernière, trois ministres québécois vous ont demandé de réagir à ce sujet et la question du sénateur Dagenais allait en ce sens. Je voudrais ajouter que des sondages ont montré que 85 % des Canadiens — et même une très grande majorité en Alberta — sont d’accord pour dire qu’on devrait autoriser les demandes anticipées dans le cas de maladies irrémédiables comme l’alzheimer.
Est-ce que le gouvernement entend bien les 85 % de Canadiens qui sont prêts, ainsi que les trois ministres québécois et l’Assemblée nationale du Québec qui vous demandent de passer à l’action à ce sujet?
M. Virani : Je vous remercie, monsieur le sénateur. En ce qui concerne les trois ministres dont vous parlez, je suis en discussion avec eux, dont le ministre Simon Jolin-Barrette. Je lui ai mentionné la même chose que ce que j’ai mentionné à la Chambre; c’est une conversation qu’il faut tenir et un aspect qu’il faut aborder, mais il faut le faire avec précaution et il faut bien l’étudier, compte tenu de la complexité du contexte.
Lorsqu’on parle d’une situation où l’on ferait une demande maintenant, mais qu’on pourrait recevoir l’aide médicale seulement dans 20 ans ou même 40 ans pour une situation complètement différente, il y a certaines mesures de sauvegarde qu’il faut mettre en place afin de bien couvrir tous les aspects et toutes les circonstances qui pourraient survenir à l’avenir.
Cela dit, comme je viens de le mentionner au sénateur Dagenais, dès le début en 2016, nous avons toujours procédé dans un cadre national en ce qui concerne le Code criminel, qui s’applique pour tout le Canada. Cet aspect de clarté est vraiment essentiel pour tous les Canadiens, et pas seulement pour les Québécois.
Par ailleurs, je suis tout à fait au courant et j’apprécie le leadership des Québécois dans ce contexte. Le gouvernement fédéral va continuer de s’engager à cet égard.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse à M. Holland. Pouvez-vous nous dire si vous êtes actuellement en consultation avec les autres provinces pour d’autres motifs? Êtes-vous prêt à vous engager à discuter avec les ministres provinciaux d’une approche nationale — pour reprendre vos mots — en matière de demandes anticipées?
M. Holland : Absolument. C’est un enjeu vraiment complexe; avec l’Alzheimer par exemple, c’est une situation vraiment difficile. Par exemple, dans une situation où quelqu’un serait atteint de démence, il pourrait arriver qu’il y ait un membre de la famille qui serait prêt pour l’aide médicale à mourir, mais qu’un autre membre de la famille ne le soit pas. La personne souffrant de démence ne serait plus en mesure d’expliquer son choix et sa position, et ce serait aux médecins ou au système de santé de trouver une solution. C’est vraiment complexe comme situation.
Je comprends tout à fait les raisons pour lesquelles il y a beaucoup d’appui pour les demandes anticipées, parce qu’il y a beaucoup de personnes, pas seulement au Québec, mais partout au pays, qui veulent avoir accès à une telle option. On va continuer de discuter de la question des demandes anticipées avec les provinces et les territoires, tout en continuant de discuter également des enjeux liés à la maladie mentale. On va poursuivre les discussions.
Le sénateur Dalphond : J’aurais une dernière question pour le ministre de la Justice. Au Québec, certaines personnes ont déclaré dans les médias, y compris des politiciens, des politiciennes et des professeurs de droit constitutionnel, que le Québec pourrait aller de l’avant avec les demandes anticipées même si le Code criminel n’était pas modifié, parce qu’au fond, ce n’était pas nécessaire de modifier le Code criminel. Êtes-vous d’accord, monsieur le ministre, avec la position de ces professeurs de droit constitutionnel et avec d’autres qui sont d’avis qu’on n’a pas besoin de modifier le Code criminel pour autoriser les demandes anticipées au Québec?
M. Virani : Merci beaucoup de votre question. Ce que je peux dire, c’est qu’effectivement, comme je l’ai mentionné plus tôt, le fait que l’aide médicale à mourir est livrée par le système de santé de chaque province… En fait, tout cela est géré par une loi qui s’appelle le Code criminel du Canada.
Je vais poursuivre en anglais. En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, dès le début, en 2016, nous avons inscrit une exception dans le Code criminel concernant l’interdiction de causer la mort d’une personne ou les accusations de meurtre. Il est très important que les mesures qui sont prises dans l’ensemble du pays tiennent compte du contexte entourant le Code criminel du Canada. Je dirais qu’il y a des préoccupations au sujet des demandes anticipées. Nous en sommes conscients. Un groupe d’experts a été mis sur pied pour étudier la question, et nous avons examiné les résultats de cette étude. Nous nous penchons sur la proposition du Québec, mais, depuis le début, nous avons toujours tâché de faire preuve de prudence, d’assurer un équilibre entre l’autonomie et la dignité de la personne, et de mettre en place des mesures de sauvegarde pour protéger les personnes qui pourraient devenir des victimes.
Le sénateur Dalphond : Donc, si le Québec allait de l’avant sans que le Code criminel ait été modifié, le gouvernement fédéral pourrait considérer que c’est inconstitutionnel?
M. Virani : Je ne vais pas spéculer sur ce que le gouvernement du Québec pourrait faire à l’avenir, sénateur Dalphond. Ce que je peux vous dire, c’est que la discussion au sujet des directives anticipées est bien amorcée. Il est question ici de la maladie mentale.
J’aimerais souligner que nous avons déjà répondu à la volonté du gouvernement québécois concernant le fait qu’il ne faut pas que la maladie mentale soit la seule condition à l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Nous sommes tout à fait à l’écoute de ce contexte et nous allons poursuivre la conversation pour ce qui est de l’autre situation. Merci.
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup, messieurs les ministres.