L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, « les gouvernements commettent des erreurs ». Ce sont les mots que j’ai prononcés au Sénat le 1er mai 2019 pour souligner le 100e anniversaire d’une de ces erreurs, soit l’adoption du décret suivant par le gouvernement du Canada. En voici un extrait :
Attendu que le ministre de l’Immigration et de la Colonisation rapporte qu’en raison de conditions qui prévalent à la suite de la guerre, il règne dans l’ensemble du Dominion et plus particulièrement dans l’Ouest du Canada le sentiment que des mesures devraient être prises pour prévenir l’entrée au Canada de personnes pouvant être considérées comme indésirables, étant donné leurs étranges coutumes, habitudes, modes de vie et façons de posséder des biens. Ces gens ne pourront probablement pas s’assimiler aisément ou assumer les devoirs liés à la citoyenneté canadienne dans un délai raisonnable.
Attendu que le ministre rapporte également [avoir] reçu de nombreuses représentations indiquant que les personnes que l’on appelle les doukhobors, les huttérites et les mennonites correspondent à la description ci-haut et que, par conséquent, il est souhaitable d’interdire leur entrée au Canada.
Ce décret a empêché mes grands-parents Harder et Tiessen, mes parents, mes oncles, mes tantes et des milliers d’autres mennonites qui en avaient fait la demande de venir au Canada après avoir quitté l’Union soviétique. Ils ont donc été coincés là-bas.
Je ne soulève pas cette question simplement pour souligner la douleur et la souffrance qu’ont enduré ces personnes il y a un siècle, mais aussi pour qu’elle nous incite à réfléchir à l’intolérance qui sévit aujourd’hui et à lutter contre les mensonges et les préjugés qui sont véhiculés à notre époque.
Comme l’a si bien écrit Jonathan Swift : « Le mensonge vole, et la vérité ne le suit qu’en boitant. »
Et c’est ce qui s’est passé. Si les gouvernements font des erreurs, ils peuvent aussi les réparer. Trois ans plus tard — il y aura exactement 100 ans demain, le 2 juin 1922 —, le gouvernement du Canada, alors nouvellement élu, a annulé cet ordre, en déclarant dans un décret :
Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de l’Immigration et de la Colonisation par intérim, est heureux d’ordonner que le décret du 9 juin 1919, qui interdit l’entrée au Canada de tout immigrant des communautés doukhobores, huttérites ou mennonites, soit par la présente modifié pour qu’il ne vise plus les huttérites et les mennonites.
Ce document a été signé par Mackenzie King et approuvé par Byng de Vimy.
En conséquence, des milliers de personnes ont quitté l’Union soviétique en direction du Canada dans ce qu’on a appelé l’exode mennonite, leur immigration ayant été facilitée par des prêts de voyage du Chemin de fer Canadien Pacifique garantis par leurs coreligionnaires au Canada.
La une du Kitchener-Waterloo Daily Record de ce jour-là déclarait audacieusement : « Les mennonites sont maintenant libres de venir au Canada ». L’article mentionnait ce qui suit :
Le décret promulgué par le gouvernement d’union pendant la guerre, qui limitait toute immigration mennonite au Canada, vient d’être annulé par le gouvernement libéral grâce aux efforts de W. D. Euler, député, selon les renseignements reçus par le représentant de la galerie de presse du Record à Ottawa. Les mennonites sont maintenant aussi libres d’entrer au Canada que les adeptes de toute autre confession. Cette annonce sera accueillie avec beaucoup de bonheur par les milliers de mennonites de Kitchener […]
Et il en fut ainsi.
(1410)
Si j’interviens aujourd’hui, c’est pour que nous redoublions d’efforts pour que le Canada soit un symbole permanent de protection des réfugiés, d’accueil des immigrants et de pluralisme, et qu’il constitue un rempart contre les mensonges et les diverses formes de discrimination fondée sur la race, la religion ou le genre.