L’honorable Pierre J. Dalphond : Je ne dirai que quelques mots. J’ajouterai simplement quelques observations, même si j’adhère à tout ce que le sénateur Gold a dit, ainsi qu’aux observations très pertinentes du sénateur Woo, que je respecte beaucoup.
Ce qu’il a dit pourrait être vrai dans un contexte différent, mais nous devons nous rappeler que le projet de loi ne peut pas mener au maccarthysme. Joseph McCarthy dirigeait un comité du Congrès des États-Unis qui jugeait politiquement les personnes qui étaient accusées d’être communistes, qui étaient proches du communisme ou qui avaient des opinions considérées comme communistes.
Dans le cas présent, nous créons des infractions qui seront traitées par un office de la Couronne, qui devra porter des accusations contre une personne devant les tribunaux. La personne accusée comparaîtra devant un juge, une femme ou un homme qui possède certaines compétences et qui doit agir de manière impartiale, et non dans le but d’obtenir des gains politiques, de s’attaquer à des ennemis politiques ou de remporter des victoires politiques. Il ne faut pas établir de parallèle entre le projet de loi et le danger du maccarthysme. Selon moi, il s’agit malheureusement d’une observation qui va trop loin.
Le deuxième point que je souhaite soulever est que les expressions « en association avec » et « en collaboration avec » ne sont pas nouvelles. Ce sont des concepts bien connus en droit pénal. Ces expressions figurent à plusieurs endroits dans le Code criminel et la première a été très utile dans la lutte contre les gangs, particulièrement au Québec avec les gangs de motards.
L’expression « en collaboration avec », pour sa part, est utilisée depuis 2001 dans la Loi sur la protection de l’information. C’est le premier amendement figurant sur la liste d’amendements. L’amendement concerne toutefois l’ajout de l’intimidation à cette disposition, mais pas l’expression « en collaboration avec », qui n’a rien de nouveau, qui est utilisée depuis 25 ans et qui ne pose aucun problème.
Cela dit, mon troisième et dernier commentaire porte sur l’expression « en association avec ». Comme le sénateur Woo l’a mentionné, à juste titre, la Cour suprême du Canada a dû se pencher sur ce concept dans le cadre d’un appel interjeté par la Cour d’appel du Québec en 2001. La Cour suprême n’était pas d’accord avec la Cour d’appel du Québec. Soit dit en passant, je ne faisais pas partie du groupe de juges, mais la cour était en désaccord avec la Cour d’appel du Québec sur un point : la définition de l’expression « en association avec ». La cause concernait les gangs de motards.
Pour résumer, c’est exactement là où la sénatrice Patterson voulait en venir. Au paragraphe 53 de la décision de la Cour suprême — qui a été unanime et rédigée par le juge Fish, un ancien collègue de la Cour d’appel —, on peut lire ceci :
L’expression « en association avec » doit être interprétée selon son sens ordinaire et dans le contexte de la disposition. En l’occurrence, elle est accompagnée des expressions « sous la direction » de et « au profit » de.
C’est exactement la même situation que nous avons ici.
Ces expressions ne s’excluent pas l’une l’autre. Au contraire, elles ont le même objectif et se chevauchent souvent dans leur application. Elles ont pour objet commun d’éliminer le crime organisé.
Il s’agit dans le cas présent d’éliminer l’ingérence étrangère. À cette fin, elles ciblent spécifiquement les infractions qui sont liées aux organisations criminelles et en servent les intérêts. Ici, il faut lire : à cette fin, elles ciblent spécifiquement les infractions qui sont liées à l’intention de s’immiscer dans le processus politique au Canada.
Pour ma part, je fais confiance au système. Je fais confiance aux tribunaux. Je fais confiance à ce que nous essayons de faire ici. Ce n’est pas nouveau. J’en suis convaincu : lorsque les mots « en collaboration avec » sont accompagnés de « sous la direction de » et de « au profit de », à quel genre de projet de loi avons-nous affaire? Il s’agit des projets de loi sur l’ingérence étrangère.
Il faut lire tous ces éléments ensemble. Je sais qu’il n’est pas obligé de me croire sur toute la ligne et qu’il ne me paie pas; je donne des conseils gratuits. Même si les conseils gratuits ne valent guère plus que leur prix, je vous dis que je ne suis pas inquiet et que je voterai contre l’amendement et pour le projet de loi.
Le sénateur Woo : Merci. J’ai trouvé votre intervention très enrichissante, sénateur Dalphond. Je vois que vous croyez à l’importance de préserver l’expression « en collaboration avec » lorsqu’il s’agit du Code criminel qui traite de la lutte contre les terroristes, les gangs et ainsi de suite, et vous soulevez un bon argument. J’ai déjà mentionné que la nouvelle infraction d’ingérence politique est plus délicate parce qu’il s’agit d’un comportement subreptice et trompeur. Il ne s’agit pas de participer au processus politique, mais le cas de la partie 4 du projet de loi est encore plus flagrant parce que la loi proposée utilise également l’expression « en collaboration avec », sauf qu’elle ne concerne pas les activités criminelles. Il s’agit plutôt d’activités légitimes pour lesquelles les gens sont tenus de s’enregistrer. Seriez-vous d’accord pour supprimer l’expression « en collaboration avec » dans la partie 4?
Le sénateur Dalphond : Êtes-vous en train de me suggérer de proposer un sous-amendement à votre amendement? Dans votre discours, vous avez surtout fait référence au Code criminel et au fait que des gens vont être accusés d’infractions très graves en vertu du Code criminel et emprisonnés, alors je me pose la question au sujet du droit pénal.
En ce qui concerne l’autre partie du projet de loi, qui vise la création d’un nouveau registre, si les gens ont des doutes, je crois comprendre que le commissaire aura pour mandat de fournir des informations et des lignes directrices. Je pense qu’il s’agit peut-être d’une nouvelle avenue qu’il faudrait envisager, et peut-être que certaines personnes devront s’enregistrer parce qu’elles agissent en collaboration avec un État étranger pour le profit de cet État. Toutefois, visiter Taïwan dans le cadre d’un voyage payé, ce n’est pas agir pour le profit de Taïwan ou en collaboration avec Taïwan, comme vous l’avez indiqué dans votre discours. Si vous allez en Israël dans le cadre d’un de ces voyages payés, ou encore à Taïwan — ce fut mon cas l’an dernier —, vous devez le signaler. Vous devez le signaler au conseiller sénatorial en éthique et l’indiquer sur le site Web afin que le public — que tout le monde — le sache.
Le but de l’enregistrement comme il est énoncé dans le projet de loi vise à rendre public ce qui, autrement, serait caché au public. Le but n’est pas d’empêcher une personne de déclarer : « Je crois que le gouvernement de la France a tout à fait raison au sujet de cette politique, je vais me battre pour la promouvoir et je pense qu’elle devrait être intégrée dans le droit canadien. » Oui, je pourrais le faire, mais si je le faisais à la demande du gouvernement de la France ou dans son intérêt, je serais tenu de le divulguer. Cela ne m’empêcherait pas de le faire. J’aurais la responsabilité de rendre ma démarche publique.
Comment ne pas ratisser trop large et — c’est la deuxième partie de votre question — quelles personnes devraient s’enregistrer? C’est une question intéressante, mais je ne vais pas me prononcer. Je vais attendre que la Cour suprême énonce sa position. Merci.