Troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, alors que nous entamons la dernière étape de notre étude du projet de loi C-7, soit les modifications au cadre prévu par la Constitution pour l’aide médicale à mourir, j’aimerais parler du contexte de ce débat, notamment les exigences juridiques et les attentes des Canadiens.

Je voudrais d’abord souligner le travail des membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui, depuis novembre 2020, ont tenu neuf jours d’audiences totalisant 56 heures de témoignages de 145 personnes, et qui ont consacré un nombre incalculable d’heures à passer en revue plus de 100 mémoires. Le comité a entendu un grand éventail de points de vue, notamment ceux de ministres, d’autorités provinciales et réglementaires, de groupes de défense, de personnes handicapées, d’universitaires, de juristes, de médecins, de représentants autochtones et de personnes ayant une expérience personnelle concernant l’aide médicale à mourir.

Je tiens également à saluer l’excellent travail de mes collègues du comité directeur : notre présidente, la sénatrice Jaffer, et les sénateurs Batters et Campbell. Malheureusement, le sénateur Campbell a dû prendre un peu de recul en décembre pour des raisons de santé. J’ai hâte qu’il nous revienne en forme.

Tout au long du processus, nous avons reçu l’aide du personnel dévoué de nos bureaux respectifs; de Mark Palmer, le greffier très efficace du comité; et de Julian Walker et Michaela Keenan-Pelletier, deux analystes exceptionnels de la Bibliothèque du Parlement. Tous ont accompli tout un travail, au-delà de ce qui était attendu d’eux, surtout pendant les vacances de Noël. Je les remercie de leur soutien, de leur disponibilité et de leurs contributions inestimables.

En ce qui concerne le processus, je veux également féliciter tous les leaders au Sénat d’avoir convenu d’un cadre pour le prochain débat qui s’appuie sur les pratiques mises au point lors de la dernière législature pour le premier projet de loi sur l’aide médicale à mourir et le projet de loi sur le cannabis. Je suis heureux que le débat soit structuré, y compris le processus d’amendement, et que le vote final soit prévu. Cette approche permettra aux Canadiens d’avoir un meilleur accès à notre travail.

J’en arrive maintenant au projet de loi C-7. Le contexte de ce projet de loi est très simple. Dans la foulée de la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’arrêt Truchon en septembre 2019, le procureur général du Canada a reconnu que le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible pour avoir droit à l’aide médicale à mourir était incompatible avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter. D’ailleurs, le Sénat avait tiré cette conclusion dès 2016. Il est donc dommage que dans le temps qui s’est écoulé depuis, l’accès à l’aide médicale à mourir ait continué à être refusé à tant de Canadiens qui subissent des souffrances persistantes et intolérables.

Lors de la réunion du Comité des affaires juridiques tenue le 25 novembre 2020, Me Jean-Pierre Ménard a dit ce qui suit de la décision de la Cour supérieure du Québec, soit qu’elle :

[…] colle de très près à la décision Carter. Elle dit bien clairement que ce que disait la décision Carter était très clair et s’applique effectivement à M. Truchon et à Mme Gladu. Elle ne voyait pas de raison de s’en écarter ou de décider autre chose. Dans Carter, les souffrances intolérables ressenties par les patients représentaient le critère de décision de la cour.

Une fois que le projet de loi C-7 sera adopté et entré en vigueur, une erreur commise par le gouvernement et la Chambre des communes en 2016 sera enfin corrigée. Cela permettra à tous les Canadiens et Canadiennes qui souffrent et qui répondent aux critères d’admissibilité de choisir, s’ils le veulent, dans le respect de leur autonomie, une mort paisible.

En corrigeant cette erreur, le Parlement ne fera pas que respecter un droit constitutionnellement protégé par la Charte des droits et libertés, soit le droit de décider par soi-même de sa fin de vie, y compris à un moment qui respecte son droit à la dignité. En effet, nous respecterons aussi la volonté des Canadiens et des Canadiennes. Selon un sondage canadien mené récemment par Ipsos, pas moins de 86 % des répondants déclarent être d’accord avec l’arrêt Carter, ce pourcentage s’élevant à 89 % au Québec. De plus, en réponse à une question précise portant sur l’objectif premier du projet de loi C-7, soit celui d’enlever le critère de la mort raisonnablement prévisible, 71 % des répondants ont indiqué leur appui en faveur de cette initiative.

Cela dit, la suppression de ce critère ne peut cacher une réalité différenciée, soit, d’une part, celle des personnes qui ont atteint un point de souffrance intolérable et dont la mort est raisonnablement prévisible et, d’autre part, celle des personnes qui subissent des souffrances intolérables et irrémédiables, mais qui pourraient encore vivre pendant plusieurs années.

Devant cette situation factuelle indéniable, le gouvernement a choisi d’adopter deux séries de critères pour l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Certains témoins auraient préféré qu’il n’y ait qu’une série de mesures de sauvegarde et d’exigences d’admissibilité applicables à toutes les demandes. Néanmoins, je crois que l’on ne peut nier la « raisonnabilité » de l’approche différenciée retenue par le gouvernement et appuyée par la grande majorité des partis à la Chambre des communes et des députés. Dans les jours qui viennent, certains proposeront des amendements aux mesures de sauvegarde pour chacune des situations : les uns seront d’avis qu’elles ne vont pas assez loin, les autres croiront qu’elles vont trop loin.

Pour ma part, je retiens le fait que le projet de loi propose un équilibre entre autonomie et protection des personnes vulnérables, en ajoutant des mesures de sauvegarde renforcées pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. On y retrouve notamment une obligation de la part du praticien d’explorer avec le patient tous les services offerts pour soulager la souffrance, y compris les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées et les services communautaires offerts.

Lors de son passage devant le comité, le ministre Lametti a expliqué la raison d’être du deuxième volet comme suit :

Dans le cadre du processus d’élaboration du projet de loi C-7, la ministre de la Santé […] et moi-même avons rencontré des représentants d’organismes et d’autres intervenants qui parlaient au nom des personnes handicapées à l’occasion de tables rondes qui ont eu lieu d’un bout à l’autre du pays en janvier et février 2020.

L’une des tables rondes portait sur les droits des personnes handicapées; les participants étaient surtout des représentants d’organismes régionaux ou nationaux de défense des droits des personnes handicapées. Ce projet de loi tient compte des inquiétudes qui ont été exprimées lors de ces consultations, et c’est notamment la raison pour laquelle un système à deux volets a été ajouté afin d’accroître les mesures de sauvegarde pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

Cela dit, je reconnais qu’en tant que société, nous devons toujours consacrer plus de ressources aux mesures visant à répondre aux besoins des personnes handicapées, à fournir un accès aux soins palliatifs dans les régions éloignées, à financer des recherches sur diverses maladies et sur leurs traitements, en plus de faire plus de recherches sur les déterminants sociaux de la santé. Par exemple, nous devons mieux comprendre les facteurs sociaux qui entrent en jeu lorsque des personnes prennent des décisions importantes sur leur santé et leur vie, notamment sur des traitements importants ou des interventions majeures. Par exemple, qu’est-ce qui pousse une personne à choisir la sédation palliative continue ou l’aide médicale à mourir?

Cependant, à moins de revenir à l’ancienne vision paternaliste qui a guidé pendant longtemps la pratique médicale, nous devons protéger avec fermeté le droit des patients d’être pleinement informés et de décider en toute indépendance de ce qui est le mieux pour eux. L’ensemble de la pratique médicale repose maintenant sur les concepts du consentement informé et de l’autonomie du patient. La Charte canadienne des droits et libertés protège cette autonomie. Le manque de données probantes ou les lacunes dans les programmes, les services et les réseaux de santé ne sont pas une raison pour refuser à la personne le droit d’exercer son autonomie ou pour restreindre ce droit.

Les préoccupations bien réelles concernant l’insuffisance du financement, le racisme et les préjugés dans le système de soins de santé ne devraient pas l’emporter sur le droit — garanti par la Constitution — des personnes aux prises avec des souffrances persistantes et intolérables d’obtenir l’aide médicale à mourir si c’est ce qu’elles souhaitent vraiment. Des préoccupations légitimes concernant certains droits tout aussi importants ne peuvent justifier la négation d’un droit. Autrement dit, les imperfections ne justifient pas la poursuite de la souffrance.

Mme Nicole Gladu nous a bien dit que ce qu’elle souhaitait, c’était de pouvoir mettre un terme à sa vie, au moment qu’elle aura choisi :

[…] efficacement et sans souffrances, avec mes merveilleux amis, une flûte de champagne rosé dans une main et un canapé dans l’autre, admirant pour une dernière fois de mon vivoir le soleil se coucher dans le fleuve.

Ne refusons pas à Mme Gladu et à d’autres qui se retrouvent dans des circonstances similaires la possibilité de mettre un terme à leurs souffrances aussi paisiblement que possible, accompagnés de leurs proches. Ne refusons pas à leurs proches la possibilité de participer pleinement à la fin de vie d’êtres qui leur sont chers et de leur dire au revoir, comme ont pu le faire les proches de Marilyn Gretzky.

À mon avis, le projet de loi C-7 établit un équilibre raisonnable en supprimant le critère de la mort raisonnablement prévisible et en renforçant les garanties applicables à la deuxième voie. Cette approche tient compte des diverses perspectives de la communauté des personnes handicapées et n’encourage en aucun cas ces dernières à opter pour l’aide médicale à mourir ou à y souscrire. Il est important de rappeler que l’admissibilité à l’aide médicale à mourir se fonde sur le consentement éclairé du demandeur exclusivement.

Cela dit, je conviens avec de nombreux sénateurs que nous pourrions améliorer le projet de loi C-7. Comme vous le savez, j’ai exprimé de sérieuses réserves quant à l’idée d’exclure les personnes dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. L’une de ces réserves tient à l’absence de définition de ce qui est considéré comme une maladie mentale aux fins de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Demain, j’aurai l’honneur de présenter un amendement au projet de loi afin de préciser que l’exclusion concernant la maladie mentale ne devrait pas inclure les troubles neurocognitifs tels que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington et la démence. Sinon, le projet de loi C-7 restreindrait en fait l’admissibilité à l’aide médicale à mourir davantage que le régime actuel, ce qui constituerait un pas en arrière, totalement inacceptable et contraire à la Constitution.

Je suis également préoccupé par l’exclusion totale de la maladie mentale. Comme de nombreux psychiatres et d’autres médecins l’ont souligné, cela revient à stigmatiser encore plus les gens qui souffrent d’une maladie mentale. De surcroît, comme l’ont déclaré de nombreux juristes, cette exclusion généralisée est contraire à l’approche de l’évaluation individualisée prônée dans les arrêts Carter et Truchon, approche qui a été réitérée récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ontario (Procureur général) c. G. Toutefois, je suis conscient que, d’après beaucoup de témoins, l’élaboration des lignes directrices et des normes nécessaires pour les patients atteints de troubles mentaux prendra du temps.

Dans ce contexte, je crois que l’adoption d’une disposition de caducité constitue une façon raisonnable de donner aux provinces et à la profession médicale le temps nécessaire pour établir des lignes directrices et des normes appropriées en vue de l’application responsable et uniforme de l’aide médicale à mourir aux cas où la seule cause de souffrances intolérables est une maladie mentale.

En conclusion, je suis impatient de débattre du projet de loi au cours des prochains jours et d’établir la meilleure politique possible pour les Canadiens en procédant à un second examen objectif. Meegwetch, merci.

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