L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, alors que nous achevons le débat en troisième lecture sur le projet de loi C-7, qui élargit l’accès garanti à l’aide médicale à mourir conformément à la Constitution, je vais aborder certaines préoccupations qui ont été soulevées tout au long du débat.
Tout d’abord, je tiens à souligner les deux amendements du Sénat qui répondent directement aux préoccupations concernant l’exclusion des maladies mentales. Il s’agit de l’amendement du sénateur Kutcher visant à éliminer l’exclusion de la maladie mentale après une période de caducité de 18 mois, et de mon propre amendement visant à préciser la définition de « maladie mentale », qui restera valable pendant la période de caducité.
Comme l’exigent les arrêts de la Cour suprême dans les affaires CarterOntario (Procureur général) c. G, l’amendement du sénateur Kutcher porte sur le traitement discriminatoire d’une exclusion générale de toutes les personnes atteintes d’une maladie mentale qui est la seule condition médicale invoquée dans leur demande d’aide médicale à mourir. Il donne au gouvernement, aux provinces et au milieu médical suffisamment de temps pour mettre en œuvre les mesures de sauvegarde et les processus nécessaires pour permettre une évaluation individualisée et sûre des demandes pour lesquelles une maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
Mon amendement précise que l’exclusion concernant la maladie mentale, peu importe le temps qu’elle dure, ne doit pas inclure des troubles neurocognitifs comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou autres formes de démence. Autrement, le projet de loi C-7 ferait en sorte de restreindre l’aide médicale à mourir par rapport au régime actuel, un résultat qui nous ferait reculer, ce qui serait totalement inacceptable et inconstitutionnel. Il fait en sorte que les personnes atteintes de troubles neurocognitifs qui sont aptes à donner leur consentement et qui satisfont aux critères d’admissibilité sévères, par la voie 1 ou la voie 2, ne voient pas leur accès à l’aide médicale à mourir restreint, une éventualité qui serait complètement inacceptable et, encore une fois, complètement inconstitutionnelle.
Ces amendements démontrent l’importance du second examen objectif en cette enceinte. Ils prennent appui sur les preuves recueillies par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a grandement tiré profit de la trentaine de témoignages entendus et des innombrables soumissions écrites sur la question de la santé mentale. Les deux amendements ont été préparés après un examen approfondi des preuves disponibles, et aucun d’eux n’aurait été nécessaire si le projet de loi C-7 n’avait pas exclu toutes les personnes atteintes de santé mentale.
J’ai bon espoir que les députés de l’autre endroit en arriveront à la même conclusion après avoir examiné l’abondance de preuve à leur disposition.
Contrairement à ce que certains ont déclaré ou écrit, l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas imminente n’est pas facile et il sera tout à fait impossible pour une personne déprimée de recevoir l’aide médicale à mourir le jour même. Comme l’a souligné la sénatrice Petitclerc, une personne qui souhaite obtenir l’aide médicale à mourir doit d’abord signer un formulaire pour demander l’aide médicale à mourir, ce qui enclenche ensuite un processus d’évaluation où deux évaluateurs médicaux doivent unanimement conclure au respect des critères suivants : premièrement, la personne est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable; deuxièmement, sa situation se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités; troisièmement, la personne a des souffrances physiques ou psychologiques persistantes; quatrièmement, ses souffrances sont intolérables et ne peuvent être apaisées dans des conditions acceptables par la personne qui en fait la demande; cinquièmement, au moins 90 jours se sont écoulés entre la demande d’aide médicale à mourir et l’administration de l’aide médicale à mourir.
Cela dit, il est clair que nous devons continuer de recueillir des données sur l’aide médicale à mourir, d’approfondir notre compréhension de la manière dont les Canadiens de toutes les régions et de tous les horizons y accèdent, en plus de chercher à savoir s’ils y ont recours. L’amendement de la sénatrice Jaffer sur la cueillette de données fondées sur la race contribuera certainement à ces discussions, et je tiens à la remercier de l’avoir proposé.
L’amendement du sénateur Tannas offre une solution simple, mais efficace au Sénat et à l’autre endroit pour enfin mener un examen complet de l’aide médicale à mourir depuis sa mise en œuvre en 2016. Le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes nous donnera aussi l’occasion d’examiner de plus près le genre de cadre législatif qu’il faudrait appliquer aux demandes anticipées, dont la nécessité a été défendue avec beaucoup d’éloquence par la sénatrice Wallin et le sénateur Boisvenu, ainsi que les autres éléments qui pourraient être élargis, les sujets de préoccupation et les moyens de les atténuer.
Notre discussion sur l’aide médicale à mourir se poursuivra sans doute dans les années à venir. Comme l’a dit un témoin, le professeur Daniel Weinstock de la faculté de droit de l’Université McGill, qui a comparu à titre personnel :
[…] le débat sur la bonne façon d’institutionnaliser l’aide médicale à mourir dans un ensemble de lois devien[dra] une sorte de joute de ping-pong politico-juridique pour des années à venir […]
Même si nous continuons d’y réfléchir et de peaufiner le cadre législatif, cela ne veut pas dire que nous devons nous abstenir d’apporter des changements progressifs étayés par des faits, comme ceux qu’a proposés le gouvernement au projet de loi C-7 et ceux qui sont contenus dans nos amendements sur la santé mentale.
Pour terminer, je tiens à prendre quelques minutes pour parler de l’argument voulant que ce soit le Canada qui fournira l’accès à l’aide médicale à mourir le plus libéral au monde en retirant le critère de « mort raisonnablement prévisible » et qu’une telle mesure va à l’encontre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Comme vous le savez, depuis de nombreuses années maintenant, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg autorisent l’aide médicale à mourir au-delà du cadre de la fin de vie. Ces trois pays ont ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées : la Belgique en 2009, le Luxembourg en 2011 et les Pays-Bas en 2016.
Au comité, mon collègue le sénateur Harder a demandé au rapporteur spécial Gerard Quinn si ses collaborateurs ou lui-même avaient examiné les répercussions des lois de ces pays sur les personnes handicapées, et ce dernier a répondu ceci :
Comme je l’ai dit au début, nous examinons les tendances internationales. Un projet de loi est à l’étude au Parlement du Canada et trois ou quatre parlements dans le monde sont saisis de mesures semblables en ce moment. En fait, nous nous renseignons sur ces mesures législatives pour faire le point. Nous n’avons pas encore réalisé d’étude comparative sur l’application des lois dans les pays du Benelux, mais nous allons certainement étudier la question et livrer nos observations […]
Je ne suis en poste que depuis trois mois. Nous sommes en train d’élaborer notre programme de travail, et cette étude y figurera assurément.
M. Quinn a aussi confirmé qu’aucun de ses prédécesseurs n’a examiné cette question, même si l’aide médicale à mourir est administrée dans ces trois pays depuis près de 20 ans dans certains cas, ainsi qu’en Suisse, qui est aussi partie à la convention des Nations unies.
Deux autres pays ayant ratifié la convention, le Portugal et l’Espagne, sont en voie d’élargir l’aide médicale à mourir aux personnes qui ne sont pas en fin de vie, y compris aux personnes handicapées. Les députés espagnols ont adopté un projet de loi en ce sens en décembre 2020, et celui-ci a été adopté par 198 voix pour, 138 voix contre et 2 abstentions. Le texte a été renvoyé au Sénat. Au Portugal, l’Assemblée de la république a adopté un projet de loi sur l’aide médicale à mourir par 136 voix contre 78 et 4 absentions. La mesure en question attend la sanction présidentielle.
Nous pouvons aussi nous attendre à ce que la France, un autre pays membre de la convention, emboîte bientôt le pas. Tout récemment, au début du mois de février 2021, le député Jean-Louis Touraine a déposé une proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité et visant à autoriser une aide médicalisée active à mourir, avec l’appui d’une majorité des membres de son parti, La République en marche (LREM). Plus tôt ce mois-ci, le garde des Sceaux, c’est-à-dire le ministre de la Justice, a déclaré à la télévision qu’il croyait que la France était prête pour l’aide médicale active à mourir et qu’il y était personnellement favorable.
En 2016, la France a légalisé la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour les personnes en fin de vie, une mesure désormais considérée comme insuffisante dans la panoplie des options que souhaitent les Français qui veulent mourir dans la dignité.
Je tenais à bien mettre les choses en contexte afin de vous montrer que la mesure législative dont nous sommes saisis n’est pas l’anomalie que certains veulent nous faire croire. À voir le nombre de nos alliés qui ont adhéré à la convention et qui ont emprunté le même chemin que nous ou qui s’apprêtent à le faire, je me demande s’il n’est pas hasardeux de conclure à une violation patente de la convention. Sans vouloir faire fi des graves préoccupations du rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, pour qui j’ai le plus grand respect, je suis loin d’être convaincu que nous devrions défaire tout ce que le Sénat a fait depuis 2016.
En terminant, j’ai l’intention d’appuyer ce projet de loi pour plusieurs raisons. Primo parce qu’en supprimant la deuxième voie et en limitant l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, nous irions à l’encontre d’une proposition qui a obtenu l’appui de 71 % des Canadiens et l’aval de 213 députés de tous les partis.
Secundo parce que la deuxième voie permet de protéger le droit à l’autonomie et à la dignité qui est garanti par la Constitution et qui a été reconnu dans les jugements Truchon de la Cour du Québec et E.F. de la Cour d’appel de l’Alberta.
Tertio parce que, ai-je besoin de le répéter, le critère de la mort raisonnablement prévisible a été rejeté par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir en 2016 et par le Sénat en juin 2016, lorsque l’ex-sénateur Joyal l’a retiré du projet de loi C-14.
En conclusion, je vous invite à appuyer le projet de loi C-7, qui rend l’aide médicale à mourir accessible aux personnes dont la mort n’est pas prévisible, mais qui est conçu pour protéger, grâce à des conditions rigoureuses, les personnes qui peuvent être considérées vulnérables. Merci. Meegwetch.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Pate, souhaitez-vous poser une question au sénateur Dalphond?
La sénatrice Pate : Oui, s’il accepte de répondre à une question.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dalphond, accepteriez-vous de répondre à une question de la sénatrice Pate?
Le sénateur Dalphond : Bien sûr.
La sénatrice Pate : Sénateur Dalphond, quel pourcentage de leur PIB les pays que vous avez examinés consacrent-ils aux services de soutien et comment se comparent-ils au Canada?
Le sénateur Dalphond : Je remercie la sénatrice Pate de cette excellente question, qui a également été posée au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je me contenterai de donner la même réponse. Je n’en connais pas plus que le rapporteur spécial et le personnel de son bureau, qui ont travaillé sur cette question, y compris les rapporteurs à la pauvreté, aux personnes handicapées et autres.
Ils ont dit qu’ils n’avaient pas regardé attentivement les dépenses ni fait d’analyse comparative.
C’est la réponse qui nous a été donnée. Il n’y a pas eu d’études sur cette question. J’ai bien hâte que le rapporteur et son bureau puissent nous fournir des chiffres sur le pourcentage du produit national brut que tous les pays ont consacré à la lutte contre la pauvreté. Merci.
La sénatrice Pate : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Dalphond?
Le sénateur Dalphond : Oui, bien sûr.
La sénatrice Pate : Croyez-vous, comme moi, que cet examen devrait faire partie de l’étude proposée par nos collègues du Sénat? Vous ne serez peut-être pas surpris d’apprendre que des pays de l’OCDE examinent déjà ces éléments et qu’ils constatent que le Canada se trouve loin derrière d’autres pays. Ne serait-il pas important d’examiner cet aspect dans le cadre de l’étude?
Le sénateur Dalphond : Il n’y a aucun doute que l’on peut en faire davantage pour l’aide médicale et pour les soins de soutien. Nous avons vu encore une fois la semaine dernière une personne qui, à force de faire des pressions, a finalement obtenu le soutien du gouvernement du Québec pour vivre dans une résidence, et non dans un centre de soins de longue durée. La situation doit continuer de s’améliorer, mais cette amélioration ne doit jamais constituer un motif pour refuser à d’autres personnes un droit constitutionnel, pour refuser à Mme Gladu, à M. Truchon ou à d’autres personnes les droits qu’ils réclament, soit l’autonomie et la dignité.