L’honorable Pierre J. Dalphond : Je prendrai le ballon qu’a lancé le sénateur Carignan, parce que je partage tout à fait sa position.
[Traduction]Comme vous le savez tous maintenant, le projet de loi C-7 propose de refuser l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes vivant des souffrances intolérables et prolongées en raison d’une maladie mentale, et ce, même si leur problème de santé est grave et irrémédiable. Selon le gouvernement, cette exclusion automatique est nécessaire pour protéger les personnes qui souffrent d’une maladie mentale parce que l’évaluation de la capacité est plus difficile à effectuer dans les cas où il est question de maladie mentale et où le désir de mourir constitue un symptôme de la maladie. C’est le raisonnement du gouvernement.
Cette exclusion générale soulève de nombreux problèmes, comme l’excellent mémoire du sénateur Joyal le montre. J’ai eu l’honneur de le distribuer à vous tous dimanche passé.
Aux réunions du comité, nous avons entendu de nombreux experts qui ont expliqué comment les problèmes de santé mentale et physique s’entremêlent souvent, comment les troubles de l’esprit peuvent affecter le corps et vice-versa.
Nous avons aussi entendu des témoignages selon lesquels il est illogique d’exclure les Canadiens qui souffrent uniquement de maladie mentale tout en permettant l’accès à ceux qui ont des problèmes de santé mentale et physique. Dans ces cas, il faut aussi effectuer des évaluations de la capacité, et il semble que c’est possible sans grande difficulté en pratique.
En réalité, comme beaucoup de témoins l’ont dit, l’exclusion proposée renforce, perpétue et exacerbe les mythes et les préjugés entourant la maladie mentale, y compris la croyance selon laquelle les souffrances associées aux maladies mentales sont en quelque sorte moins légitimes que celles causées par les problèmes physiques et que les personnes atteintes d’une maladie mentale n’ont pas la capacité de prendre des décisions par rapport à leurs propres souffrances en toute autonomie.
Plus récemment, en Ontario, dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. G, la Cour suprême a jugé que l’exclusion automatique de toutes les personnes souffrant de maladies mentales était discriminatoire, et elle a fourni ces explications :
Même si les traitements les plus odieux dont les personnes atteintes de troubles mentaux ont fait l’objet au début du 19e siècle sont chose du passé, certaines attitudes stigmatisantes subsistent encore à ce jour au sein de la société canadienne […] Bien que des attitudes et des effets discriminatoires subsistent malheureusement à l’égard des personnes souffrant de troubles mentaux, ils ne doivent pas avoir force de loi.
La Cour suprême ajoute que pour être valide, l’exclusion doit inclure le processus qui prévoit des évaluations individuelles. En d’autres mots, une exclusion automatique généralisée ne convient pas. Il faut permettre des évaluations au cas par cas.
En comité, des experts ont affirmé que l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir des personnes atteintes de maladies mentales pouvait être réalisée au cas par cas sans problème, et qu’on avait d’ailleurs déjà procédé ainsi. Ainsi, l’exclusion générale déborde du cadre de ce qui est nécessaire pour protéger ceux qui souffrent de maladies mentales.
Je préférerais retirer complètement la disposition ayant trait à l’exclusion. Cependant, je comprends qu’il faut un certain temps à la profession médicale pour mettre en place des normes uniformes à travers le pays afin d’assurer le respect des exigences prévues au projet de loi C-7. Pour cette raison, j’appuie l’idée d’une disposition de temporarisation, comme le propose le sénateur Kutcher.
Je tiens à souligner que cette période de temporarisation ne vise pas à assurer que les psychiatres reçoivent une formation sur l’évaluation de l’aptitude à consentir ou sur la suicidalité. Comme l’Association des médecins psychiatres du Québec l’a fort bien dit, ils sont déjà des experts sur ces questions, qui font partie de leur formation fondamentale.
L’Association des médecins psychiatres du Québec, l’une des organisations les plus avancées sur la question au Canada, nous a indiqué que le système pourrait être opérationnel au Québec d’ici 12 mois. Je comprends cependant que ce n’est peut-être pas la situation à l’échelle du pays et que, par conséquent, une période de 18 mois semble raisonnable.
Il ne faut pas non plus écarter la possibilité que le gouvernement souhaite apporter un ajustement aux mesures de sauvegarde d’ici la fin de la période d’exclusion. Une telle intervention du gouvernement et du Parlement, surtout dans le contexte actuel, pourrait requérir davantage qu’un délai de 12 mois.
Pour conclure, je remercie le sénateur Kutcher d’avoir proposé cet amendement et j’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour l’appuyer. Je vous remercie.
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