Troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)—Amendement du sénateur Dalphond

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L’hon. Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je propose un amendement pour éviter des conséquences non désirées par le gouvernement, qui risquent de découler de l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition invoquée pour interdire l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant d’un trouble neurocognitif, comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou la démence.

L’admissibilité à l’aide médicale à mourir est établie en fonction des critères définis au paragraphe 241.2(1) du Code criminel, que le projet de loi C-7 ne propose pas de modifier. Pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, une personne doit notamment être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables, ce qui signifie que la personne doit être atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables.

Le projet de loi C-7 propose d’ajouter que « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » et, avec l’amendement que nous avons adopté, cette exclusion serait quand même applicable pendant 18 mois. Si la Chambre des communes agrée à notre proposition, pendant les 18 prochains mois, l’exclusion de maladie mentale s’appliquera toujours. L’effet pratique de cette exclusion est de restreindre l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d’une maladie mentale, tant et aussi longtemps que l’exclusion sera en vigueur.

Outre les inquiétudes relatives à la stigmatisation et à la discrimination dont nous avons parlé il y a quelques instants, bon nombre d’experts ont parlé des incertitudes que soulève l’utilisation même de l’expression « maladie mentale ».

La Dre Mona Gupta, psychiatre et présidente du comité consultatif sur l’aide médicale à mourir de l’Association des médecins psychiatres du Québec, comité chargé par le Collège des médecins d’étudier la question, a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques, et je cite :

[…] cette expression de « maladie mentale » n’est pas claire. Dans la terminologie standard en psychiatrie, on parle de troubles mentaux. Il s’agit d’une sphère assez vaste.

Fleur-Ange Lefebvre de la Fédération des ordres des médecins du Canada a ajouté :

Premièrement, il y a le manque de clarté. La « maladie mentale » n’est pas un terme médical précis. En médecine, « maladie » peut s’entendre de l’expérience individuelle d’un patient qui souffre d’une affection.

Le manque de précision jette un doute et pourrait mener au débat, en pratique et possiblement devant les tribunaux, à savoir si oui ou non les troubles neurocognitifs tels que la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer constituent une maladie mentale aux fins de l’exclusion. Le Dr Timothy Holland, médecin et évaluateur de l’aide médicale à mourir, a dit ceci :

La maladie mentale et la définition de la maladie elle-même font l’objet de débats aussi bien en médecine qu’en philosophie. Tellement de personnes définissent la maladie mentale comme un ensemble précis de maladies qui se retrouvent dans l’esprit et dans les critères du DSM-5, comme l’anxiété et la dépression. D’autres soutiennent qu’il pourrait s’agir de la maladie de Parkinson ou de la maladie d’Alzheimer.

L’incertitude est exacerbée encore davantage par le fait que toutes les formes de démence et d’autres troubles neurocognitifs se retrouvent, à l’instar d’autres troubles mentaux, dans les deux principaux manuels de classification utilisés en psychiatrie, comme la professeure Donna Stewart de l’Université de Toronto l’a expliqué :

L’American Psychiatric Association et l’Organisation mondiale de la santé ont chacun élaboré une classification des maladies. La classification américaine, appelée DSM-5, qui signifie Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition, inclut toutes les formes de démences, ainsi qu’un certain nombre d’autres troubles neuropsychologiques. La classification internationale des maladies, la CIM-10 élaborée par l’Organisation mondiale de la santé inclut également les formes de démences. Ces deux types de classifications sont extrêmement larges, et toutes deux incluent l’ensemble du spectre des troubles mentaux.

Il est important de souligner que les personnes qui souffrent de troubles neurocognitifs, comme la démence, répondent aux critères d’admissibilité fixés par le projet de loi C-14. Comme l’a expliqué la professeure Jocelyn Downie de l’Université Dalhousie :

Les patients atteints de démence peuvent répondre aux critères d’admissibilité prévus par le projet de loi C-14. En fait, ils peuvent répondre aux quatre critères. Ils peuvent avoir toutes leurs capacités et répondre aux critères d’état de déclin et de capacité irréversible, raisonnablement prévisible, grave et incurable, et de la souffrance intolérable. C’est pourquoi les patients atteints de démence ont présentement accès à l’aide médicale à mourir en vertu du système actuel.

Une incertitude dans le Code criminel concernant la signification de la maladie mentale peut donc entraîner une véritable régression des droits des personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Il existe un risque réel d’effet néfaste dans la pratique. Pour éviter toute accusation criminelle potentielle, les médecins peuvent choisir de pécher par excès de prudence et refuser les demandes d’aide médicale à mourir aux patients atteints de troubles neurocognitifs qui, autrement, seraient admissibles à ce programme.

Devant le comité, le ministre de la Justice, David Lametti, a tenté d’atténuer l’incertitude en faisant référence aux explications contenues dans le « Contexte législatif Projet de loi C-7 : Réponse législative du gouvernement du Canada à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec », un document d’accompagnement publié par le ministère de la Justice. Celui-ci prévoit ce qui suit, et je cite :

Malgré l’absence d’une définition claire et unique de la maladie mentale, dans le contexte des discussions canadiennes sur l’AMM, ce terme a été décrit comme désignant généralement les affections qui relèvent principalement du domaine de la psychiatrie […] Dans le contexte de la législation fédérale sur l’AMM, l’expression « maladie mentale » n’inclurait pas les troubles neurocognitifs ou neurodéveloppementaux, ni d’autres conditions susceptibles d’affecter les capacités cognitives, comme les démences, les troubles du spectre de l’autisme ou les déficiences intellectuelles, qui peuvent être traités par des spécialités autres que la psychiatrie […] ou des spécialités autres que la médecine […]

Devant le comité, le ministre Lametti a ajouté ce qui suit, et je cite :

Pour que ce soit clair : il n’est pas prévu que l’exclusion vise les troubles neurocognitifs associés à la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson […]

Malgré les commentaires du ministre et les explications données dans le document d’accompagnement, il reste que la précision n’apparaît pas dans le texte de loi. Je crains malheureusement que, pour les praticiens, cela ne pose des difficultés.

Des questions se sont aussi posées sur le poids que pourrait avoir le document d’accompagnement devant les tribunaux lorsque le temps viendra d’interpréter l’expression « maladie mentale ». En réponse à une question du sénateur Carignan, le professeur Patrick Taillon, de l’Université Laval, a donné les explications suivantes, et je cite :

[…] il n’est pas inusité qu’on utilise des documents autres que des lois ou règlements pour des fins d’interprétation, mais dans le domaine du droit criminel cela me semble moins naturel ou, en tout cas, moins fréquent, surtout sur la question de la santé mentale.

Le problème auquel nous sommes confrontés est le manque de clarté du projet de loi C-7. En l’absence d’une définition légale, des incertitudes vont probablement persister, et un débat aura lieu concernant la question de savoir si l’exclusion des maladies mentales est censée inclure les troubles neurocognitifs. Ces personnes pourraient se retrouver exclues du cadre de l’aide médicale à mourir même si ce n’est pas l’intention du gouvernement. Cette conséquence involontaire peut être évitée par une simple modification du libellé proposé dans le projet de loi C-7.

Lorsqu’elle a comparu devant le comité, Fleur-Ange Lefebvre a souligné l’importance de la clarté et du langage utilisé, et je voudrais la citer à nouveau :

[…] je suis sûre que vous serez tous d’accord pour dire que la loi doit être claire. Le libellé ne doit laisser aucune place à des interprétations divergentes ou à des incertitudes. Les patients, leur famille, le public, les médecins et les autres professionnels de la santé et les organismes d’application de la loi doivent tous avoir la même interprétation de la loi.

Honorables sénateurs, il est important, par souci de clarté dans la loi, de garantir qu’il n’y ait pas de régression sur le plan de l’accès des Canadiens atteints de troubles neurocognitifs à l’aide médicale à mourir.

Adoption de la motion d’amendement

L’honorable Pierre J. Dalphond : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-7, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 1, à la page 3, par substitution, à la ligne 5, de ce qui suit :

« tale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affec- ».

L’article en entier se lirait donc maintenant comme suit:

Pour l’application de l’alinéa (2)a), la maladie mentale, autre qu’un trouble neurocognitif, n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap.

Merci.

L’honorable Diane Bellemare : Madame la Présidente, j’ai une question à poser au sénateur Dalphond.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Oui, il reste trois minutes au sénateur Dalphond. Est-ce que le sénateur Dalphond accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond : Avec plaisir.

La sénatrice Bellemare : Sénateur Dalphond, ma question est la suivante : pourquoi ne pas attendre de faire une révision complète de la loi, soit l’année prochaine ou dans un avenir rapproché, avant de proposer ce genre d’amendement?

Je le comprends et je suis d’accord avec vous, mais je ne suis pas certaine que le projet de loi C-7 soit le bon véhicule pour effectuer tous ces changements. Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Dalphond : Merci de la question, sénatrice Bellemare.

Il ne s’agit pas d’un amendement qui modifie l’intention du gouvernement, mais qui vise plutôt à confirmer son intention relativement à l’exclusion de la maladie mentale, ce qui est nouveau et qui n’était pas prévu dans le projet de loi C-14. C’est donc pour confirmer ce que le ministre a dit devant le comité et ce que le document d’explications du gouvernement indique aussi.

Entretemps, si nous devions attendre un an et demi avant de revenir sur la question, cela créerait de l’incertitude et des Canadiens n’auraient pas accès à l’aide médicale à mourir. Malheureusement, leurs psychiatres concluraient qu’ils n’y ont pas droit parce qu’ils souffrent de l’alzheimer ou de la maladie de Parkinson, qui sont classés dans les manuels de psychiatrie comme étant des maladies mentales.

J’espère que cela répond à la question.

L’honorable Frances Lankin : Sénateur Dalphond, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Dalphond : Bien sûr.

La sénatrice Lankin : J’appuie l’intention de votre amendement ainsi que l’intention avouée du gouvernement. Voici ce que je veux savoir : lors de la rédaction de l’amendement, en énumérant certains troubles qui ne seront pas inclus dans la définition de maladie mentale — en l’occurrence les troubles neurologiques —, n’y a-t-il pas un risque que d’autres troubles soient inclus d’emblée parce qu’ils n’ont pas été expressément exclus? Avez-vous examiné cette question lors de la rédaction de l’amendement? Je tente seulement d’obtenir des précisions pour veiller à ce que cet amendement ne crée pas de nouveau problème.

Le sénateur Dalphond : Merci de cette excellente question.

N’étant pas psychiatre, je laisse au sénateur Kutcher le soin d’expliquer l’aspect psychiatrique. Néanmoins, je peux vous dire que, depuis quelques semaines, je travaille avec l’Association des médecins-psychiatres du Québec, la Dre Gupta, le Dr Green, de l’extérieur du Québec, et de nombreux autres psychiatres pour trouver d’abord une définition de la maladie mentale. Elle est devenue impossible à définir, mais ces personnes conviennent clairement que l’exclusion proposée permet d’atteindre les objectifs dans le domaine et de réaliser ce que le gouvernement tente de faire.

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