Troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada—Motion d’amendement (Sén Prosper)

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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Parliament Hill from across the Ottawa River, Ottawa

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, j’aimerais vous expliquer pourquoi je vais m’opposer à cet amendement et appuyer l’adoption du projet de loi C-5 sans amendement.

Je parlerai particulièrement de la partie 2, qui édicte la Loi visant à bâtir le Canada, à la suite d’une réflexion approfondie que j’ai menée par rapport aux préoccupations qui ont été soulevées au Sénat en comité plénier et aux discours qu’ont prononcés certains collègues.

Cette loi vise à doter notre pays des outils nécessaires pour affronter les défis et les bouleversements causés par la guerre tarifaire en cours menée par l’administration américaine.

Mon intervention se divisera en trois parties : le contexte économique entourant le projet de loi C-5 et le besoin urgent d’outils spéciaux pour y répondre, les préoccupations soulevées par les groupes environnementaux et les préoccupations soulevées en relation avec les droits des peuples autochtones.

Chers collègues, le contexte économique entourant le projet de loi C-5 justifie son adoption rapide. Au cours des six mois qui ont suivi l’arrivée au pouvoir du président Trump, le Canada a fait face à une série de mesures tarifaires réelles ou projetées, notamment l’imposition récente de droits de douane de 50 % sur l’aluminium et l’acier. Nos relations commerciales avec notre voisin, qui demeure notre plus proche allié, subissent un changement fondamental marqué par une imprévisibilité croissante. En conséquence, nos exportations vers les États-Unis diminuent, des gens sont mis à pied et de grands projets sont annulés ou reportés.

Selon un récent rapport de Bloomberg, le Canada est déjà entré en récession. Dans de telles circonstances, le gouvernement doit prendre des mesures audacieuses pour favoriser la réalisation de projets susceptibles de renforcer l’économie canadienne et de créer des emplois. C’est précisément ce que la Loi visant à bâtir le Canada vise à faire en fournissant des moyens de favoriser la réalisation rapide de grands projets d’intérêt national qui soutiennent l’objectif ambitieux, mais tout à fait réalisable, selon moi, du gouvernement de faire du Canada l’économie la plus forte du G7.

Je passe maintenant à mon deuxième point, à savoir les diverses préoccupations soulevées par les groupes environnementaux. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le fait de libérer le potentiel économique du Canada doit aller de pair avec la protection de l’environnement. Je crois aussi que le premier ministre Carney, qui était, jusqu’à récemment, l’envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique et qui est à l’origine de l’alliance bancaire Net Zéro des Nations unies, est la personne la mieux outillée pour libérer l’énorme potentiel économique du Canada tout en respectant l’environnement.

Je ne suis donc pas surpris de voir dans le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada l’engagement du gouvernement à faire respecter des normes rigoureuses de protection de l’environnement, et à l’article 4a, une déclaration claire selon laquelle la protection de l’environnement est l’un des objectifs de la loi.

Le projet de loi prévoit également qu’au moment de décider s’il y a lieu d’ajouter le projet à l’annexe 1, le gouverneur en conseil peut tenir compte de la mesure dans laquelle le projet peut contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques, comme nous le voyons au paragraphe 5(6).

De plus, certaines dispositions de la loi prévoient une plus grande transparence qui encouragera les questions à la Chambre, au Sénat et au sein du public sur les enjeux environnementaux et les mécanismes que le gouvernement utilise pour les gérer, comme les motifs des ordonnances prises au titre de la loi; un registre public; le contenu des autorisations délivrées aux promoteurs de projets, y compris toutes les exigences; et la divulgation publique de tous les documents et renseignements utilisés pour délivrer l’autorisation. Cette disposition permanente sur la transparence favorisera les questions, y compris en matière d’environnement.

De plus, la loi, telle qu’amendée, empêche le gouvernement d’ajouter des projets à la liste pendant que le Parlement est prorogé ou dissous. Cela signifie que le gouvernement ne peut exercer ses pouvoirs spéciaux que si le Parlement siège et qu’il est en mesure de remettre en question les décisions du gouvernement et de convoquer des réunions de comités parlementaires pour examiner ces décisions.

Enfin, l’article 24 prévoit que l’examen en continu de l’utilisation par le gouvernement des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi doit être guidé par l’intérêt général du Canada, y compris par la qualité de l’environnement. Cet examen en continu sera effectué par un comité mixte spécial composé de députés et de sénateurs dont fait état la Loi sur les mesures d’urgence. Le sénateur Harder était membre de la précédente mouture de ce comité. Ce dernier doit examiner l’exercice des pouvoirs conférés au gouvernement par la loi et faire rapport aux deux Chambres au moins une fois tous les 180 jours. Ledit processus d’examen portera sur toutes les décisions qui seront prises.

Et, bien sûr, toute décision du gouvernement peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire si elle enfreint les dispositions de la loi, si elle est contraire au but et aux objectifs de la loi, ou si elle va à l’encontre de la Charte des droits et libertés ou de toute autre loi applicable. Les groupes environnementaux ont déjà eu recours à de tels contrôles par le passé et ils ont obtenu gain de cause.

Je passe maintenant aux préoccupations soulevées par certains dirigeants autochtones, notamment en ce qui concerne la nécessité de consulter et d’obtenir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Soit dit en passant, en examinant le libellé, j’ai compté au moins 10 mentions précises des droits et des intérêts des Autochtones. De plus, à la suite d’un amendement adopté vendredi dernier à la Chambre des communes, le paragraphe 21(2) interdit expressément de contourner la Loi sur les Indiens.

Il est également important de distinguer trois étapes importantes qui ont été confondues dans certains discours : premièrement, la phase de mise en œuvre de cette mesure législative; deuxièmement, la sélection des grands projets, qui mènerait à une approbation; et troisièmement, la réalisation des projets approuvés.

En ce qui concerne le premier point, soit la mise en œuvre de ce projet de loi, je crois comprendre que le premier ministre rencontrera séparément les Premières Nations, les Inuits et les Métis en juillet afin de discuter du cadre de mise en œuvre de la loi.

En ce qui a trait à la deuxième étape, lorsqu’elle a comparu devant nous, la ministre des Relations Couronne-Autochtones a déclaré que le nouveau bureau comprendra un conseil consultatif autochtone. Par conséquent, un point de vue autochtone sera intégré au processus de sélection des projets.

Au sujet de la troisième étape, la loi indique clairement qu’il est obligatoire de consulter les peuples autochtones dont les droits pourraient être affectés par tout projet explicitement approuvé.

Par ailleurs, chers collègues, avant que tout travail puisse être effectué sur le terrain, le gouvernement et les promoteurs doivent s’assurer que les droits inscrits dans notre Constitution, à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sont pleinement respectés. La législation, y compris ce projet de loi, ne peut pas passer outre les protections constitutionnelles de l’article 35, qui prévoit l’obligation de consulter les peuples autochtones.

Pour citer le ministère de la Justice :

Lorsque la Couronne envisage de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou issus de traités protégés par l’article 35, la Couronne a l’obligation de consulter le groupe titulaire des droits […]

Il poursuit en disant : « La Couronne et les peuples autochtones doivent participer aux consultations de bonne foi […] »

Ensuite :

L’étendue et le contenu de l’obligation varient selon les circonstances et dépendent de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit […]

Cela découle des décisions de la Cour suprême dans les arrêts Haïda et Mikisew.

Par ailleurs, les consultations de bonne foi peuvent avoir pour effet de révéler une obligation d’accommodement, comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Haïda. Il convient également de souligner que l’article 35 ne peut être enfreint à la légère. En fait, la Cour suprême s’est largement inspirée de la jurisprudence relative à l’article 1 pour faire peser sur le gouvernement une lourde charge de la preuve en cas de non-respect de l’article 35. Comme le résume le ministère de la Justice :

[…] dans l’arrêt Sparrow, où la Cour suprême du Canada a élaboré un processus analytique en deux étapes, dont la première consiste à déterminer si la mesure avait un objectif législatif régulier. Dans l’affirmative, on passe à la deuxième étape, qui se fonde sur la relation de fiduciaire qu’entretient la Couronne avec les peuples autochtones et les objectifs de réconciliation. À cette étape de l’analyse, le critère doit être adapté au contexte juridique et factuel dans lequel il y a eu atteinte. Les questions à aborder varient selon les circonstances, mais il y a notamment la question de savoir si on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation a été versée et si le groupe a été consulté.

Autrement dit, l’article 35 offre aux peuples autochtones de solides protections constitutionnelles que le Canada doit respecter, y compris dans le cadre des mesures qu’il prendra en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada.

Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’exécutif exercera les pouvoirs conférés par la loi en toute bonne foi et dans le respect de ses obligations envers les peuples autochtones. Si l’exécutif outrepasse ses pouvoirs, mon expérience comme juge d’appel me dit que les tribunaux n’hésiteront pas à intervenir.

À ce sujet, j’aimerais vous faire part d’une décision historique. Bon nombre d’entre vous n’étaient pas encore nés lorsqu’elle a été rendue. Il s’agit de la décision Kanatewat, qui a été rendue dans ma province, le Québec, avant l’existence de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 35 que nous connaissons aujourd’hui. C’était au début des années 1970. J’étais encore adolescent.

En 1971, le Québec a annoncé un vaste projet hydroélectrique dans le Nord de la province. Le plan proposé prévoyait la création de grands réservoirs qui inonderaient de vastes territoires habités par les Cris et les Inuits, qui ont demandé une injonction devant la Cour supérieure du Québec.

Le 15 novembre 1973, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision historique de 183 pages accordant une injonction interlocutoire qui a mis fin aux travaux ce jour-là.

Bien que cette décision ait été suspendue dans la semaine qui a suivi, puis cassée en appel, elle a donné lieu à des négociations qui ont abouti au premier accord et traité moderne portant sur des revendications territoriales autochtones : la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Chers collègues, nos cadres juridiques et sociaux ont beaucoup évolué au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis ce jugement de la Cour supérieure du Québec. Les droits des peuples autochtones sont désormais reconnus plus explicitement et protégés plus fermement, à juste titre, notamment grâce à l’article 35 et à la jurisprudence connexe. Dans le Canada d’aujourd’hui, je suis convaincu que les tribunaux se montreront fermes et interviendront si le gouvernement manque à ses obligations envers les peuples autochtones.

En conclusion, honorables sénatrices et sénateurs, nous avons devant nous un projet de loi qui confère des pouvoirs importants à l’exécutif, mais qui établit aussi des exigences claires en matière de transparence et de contrôle démocratique et qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel qui protège les droits ancestraux et les droits de tous les Canadiens en vertu de la Charte.

Pour moi, cela représente un juste équilibre entre nos principes et les priorités en jeu. C’est pourquoi je vous invite à faire comme moi et à voter contre cet amendement et en faveur du projet de loi.

Merci. Meegwetch.

 

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