L’honorable Duncan Wilson : Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui pour participer au débat sur le projet de loi C-5, Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Le Canada traverse une période de transition et de bouleversements. Certaines des relations auxquelles nous étions habitués depuis des années, notamment en matière de commerce, ont été bouleversées.
Les conséquences sont déjà désastreuses pour nos citoyens. Les Canadiens sont confrontés à des prix plus élevés pour d’innombrables biens et services, ce qui fait grimper le coût de la vie en général, les coûts demeurant élevés dans le sillage de la pandémie de COVID-19.
Les travailleurs canadiens sont confrontés à l’instabilité de l’emploi dans des secteurs fragilisés par les tarifs douaniers, ce qui met ces travailleurs, leurs familles et leurs moyens de subsistance dans une situation précaire.
La viabilité et les perspectives à long terme du secteur canadien des ressources sont de plus en plus incertaines, une situation aggravée par le repli de notre principal partenaire commercial et par son éviction.
Honorables sénateurs, en guise d’exemple, j’aimerais dresser le portrait d’un jeune Canadien qui a vu sa situation financière se détériorer rapidement ces dernières années. L’accession à la propriété, autrefois une aspiration à court terme pour cette jeune génération, est désormais un rêve inaccessible, car le prix des maisons a doublé à l’échelle nationale au cours de la dernière décennie.
De plus, au cours des cinq dernières années seulement, le prix des aliments a augmenté de 26 %, ce qui fait en sorte qu’il est plus difficile pour les ménages de se nourrir. Selon le Bilan-Faim de Banques alimentaires Canada, 55 % des familles canadiennes ont du mal à subvenir à leurs besoins alimentaires de base, la demande auprès des banques alimentaires atteignant des sommets historiques partout au pays.
Honorables sénateurs, nous connaissons tous des individus qui correspondent à cette description, que ce soit votre enfant, votre petit-enfant, votre nièce ou votre neveu, votre voisin ou peut-être le personnel de votre bureau.
Voilà pourquoi le projet de loi C-5 est si important. Il doit permettre de prendre des mesures audacieuses, décisives et révolutionnaires qui amélioreront considérablement les perspectives économiques du Canada, tant pour le pays que pour sa population.
La nécessité de faire face à ces menaces et à celles imposées par le principal partenaire commercial du Canada a non seulement été une question déterminante pour de nombreux Canadiens lors des élections de cette année, mais elle a également été à l’origine du projet de loi dont nous sommes saisis.
Le Canada est une nation commerçante. Nous avons la chance de disposer d’abondantes ressources naturelles très prisées partout dans le monde. Cependant, les infrastructures essentielles du Canada sont actuellement loin d’être suffisantes pour garantir que notre offre réponde à la demande. Après avoir trop longtemps cherché à renforcer nos relations avec notre voisin du Sud, nous avons négligé de développer les moyens nécessaires pour diversifier nos échanges commerciaux. Nous subissons aujourd’hui les conséquences immédiates et graves de notre complaisance et de notre dépendance excessive à l’égard d’un seul marché.
Affaires mondiales Canada souligne que 65 % de l’activité économique du Canada est liée au commerce international. Au lieu de privilégier les échanges commerciaux avec notre voisin immédiat — souvent à rabais —, il est impératif pour la prospérité et la croissance économique futures du Canada de renforcer notre capacité à commercer davantage avec le reste du monde.
Je voulais pouvoir soutenir ce projet de loi avec enthousiasme, mais comme il a été adopté à la hâte au Parlement, nous n’avons pas eu l’occasion de l’examiner correctement et de donner notre avis sur les freins et contrepoids nécessaires. Pire encore, nous n’avons pas obtenu la rétroaction des dirigeants autochtones — les détenteurs de droits, et non les parties prenantes —, une rétroaction qui, si on l’avait prise en compte, aurait pu améliorer les chances de réussite de cette mesure législative et réduire les possibilités de contestations. Parfois, il faut aller lentement pour aller vite.
J’ai bon espoir que, grâce aux engagements pris par le premier ministre et les membres de son Cabinet, nous serons en mesure de surmonter ces défis et de réaliser les objectifs du projet de loi. J’appuie donc le projet de loi.
En guise de contexte, j’aimerais parler de l’expérience que j’apporte au Sénat. Avant ma nomination, j’ai passé les 13 dernières années au sein de l’équipe de direction de la plus importante administration portuaire du pays, qui s’occupe du tiers de nos échanges commerciaux à l’extérieur de l’Amérique du Nord. J’ai vu des projets et des possibilités d’échanges commerciaux réussir et échouer. C’est dans cette optique que je vois comment le projet de loi C-5 pourrait permettre au Canada d’éliminer des obstacles qu’il s’impose à lui-même et de réaliser des projets d’infrastructures d’intérêt national qui nous permettront de diversifier nos capacités en matière de commerce international, dans l’intérêt supérieur des Canadiens.
Cependant, je suis également sensible aux préoccupations liées à ce projet de loi et aux répercussions que l’accélération de tels projets pourrait avoir sur l’environnement ou sur les droits inhérents et les droits issus de traités des peuples autochtones. Il est malheureux que l’on n’ait pas consulté les dirigeants autochtones dès le début au sujet de ce projet de loi, car je pense que cela aurait donné l’occasion de structurer le projet de loi de manière à ce qu’il inspire une plus grande confiance. Cela dit, à mon avis, le projet de loi garantit le respect des droits prévus à l’article 35, même s’il ne le dit pas aussi clairement que certains l’auraient souhaité.
À cet égard, j’aimerais citer certaines observations faites par l’honorable Rebecca Alty, ministre des Relations Couronne-Autochtones, lors de sa comparution devant le comité plénier du Sénat, car elles méritent d’être répétées :
[…] [L]es grands projets seront uniquement réalisés dans le cadre de cette loi si des consultations constructives sont menées auprès des Autochtones dont les droits garantis par l’article 35 risquent d’être touchés et leurs besoins sont pris en compte.
Cette loi nécessite la tenue d’importantes consultations auprès des peuples autochtones, d’abord dans le cadre du processus de désignation des projets d’intérêt national, puis lors de l’élaboration des conditions auxquelles ces projets seront assujettis.
Cette exigence n’est pas facultative. Elle est protégée par la Constitution canadienne et intégrée dans l’ensemble de la législation.
Chers collègues, j’avais également l’intention de parler de la Loi d’interprétation du Canada. Toutefois, notre collègue l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, qui est la coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat, s’est déjà exprimée de manière très éloquente à ce sujet. Je suis heureux que le gouvernement nous ait donné l’assurance que cette loi sera respectée.
Tout comme nous devons veiller à ce que les droits des Autochtones ne soient pas compromis, nous devons également veiller à ne pas négliger la protection de l’environnement. Je comprends la crainte que les considérations environnementales soient reléguées au second plan lorsque nous parlons d’accélérer la mise en œuvre de projets spécifiques d’édification nationale. Par contre, le déploiement d’efforts d’atténuation et la prise de mesures de restauration et de renaturation des environnements et des écosystèmes du Canada seront des éléments essentiels du travail effectué dans le cadre de ces projets d’édification nationale.
J’aimerais répéter une suggestion — que j’appuie fermement — faite par M. Sean Southey, directeur-général de la Fédération canadienne de la faune, durant sa comparution devant le comité plénier du Sénat. En parlant de réserves d’habitats par des tiers et de programmes de compensation, M. Southey a dit ceci à propos du concept de compensation :
Il s’agit d’une mesure de conservation visant à compenser les répercussions des projets de développement […] En termes simples, si un projet a des répercussions négatives sur l’environnement à un endroit, il faut améliorer l’environnement de façon équivalente ou supérieure ailleurs.
Nous encourageons le gouvernement fédéral à autoriser cette solution en permettant, en vertu de la Loi sur les pêches, la création de réserves d’habitats par des tiers. Il s’agit d’une solution avantageuse pour tous. Le fait de restaurer préalablement les habitats et d’en confirmer l’efficacité avant la vente des crédits présente des avantages pour la conservation. Les promoteurs, qui sont les champions de ces projets, peuvent bénéficier d’un processus d’approbation réglementaire simplifié, tandis que nous reconnaissons les avantages environnementaux pour tous les Canadiens.
Chers collègues, en réalité, la création de réserves d’habitats par des tiers est un concept selon lequel une organisation autre que le promoteur responsable d’un projet crée, restaure ou améliore un habitat, puis vend des crédits aux promoteurs qui ont besoin de compenser les impacts environnementaux de leurs projets. Au titre de cette approche, l’habitat doit être construit et sa fonctionnalité doit être prouvée avant que la réserve d’habitat puisse être utilisée comme compensation pour un projet, contrairement à l’approche actuelle, qui exige des mesures de compensation qui n’ont pas encore été créées ni éprouvées.
Bien que ce type de système prenne du temps à mettre en place et qu’il ne nous aidera pas à très court terme, je vais continuer à la promouvoir comme un élément essentiel d’un cadre réglementaire plus efficace et plus efficient pour l’avenir.
Bien que j’appuie l’intention et l’objectif du projet de loi C-5, j’aimerais également rappeler un point qui a été soulevé par l’honorable Lisa Raitt lors du comité plénier du Sénat. Mme Raitt s’est dite préoccupée par le risque de politisation des processus décisionnels qui sont prévus dans ce projet de loi. Même si les amendements ont donné suite à certaines de ces préoccupations, Mme Raitt avait plaidé en faveur du rétablissement du Bureau de gestion des grands projets, tel qu’il était structuré pendant le mandat du premier ministre Harper. Ce bureau, dirigé par Ressources naturelles Canada, était une initiative horizontale qui regroupait 12 ministères et organismes fédéraux. Son mandat était d’améliorer le processus d’examen des grands projets d’exploitation des ressources naturelles. Fait important, cette initiative était dirigée par un comité de sous-ministres, qui fournissait des directives pour régler des questions entourant les projets et les politiques et qui assurait une véritable reddition de comptes à l’égard du processus.
Ayant travaillé dans le domaine de l’élaboration de grands projets sous des gouvernements successifs, je peux témoigner de l’efficacité de ce modèle qui permettait aux sous-ministres d’accorder une attention toute particulière à l’atteinte des objectifs, tout en dépolitisant la gouvernance entourant l’approbation et la mise en œuvre des grands projets — chose qui fait défaut dans le projet de loi C-5. Alors que le gouvernement s’apprête à créer un nouveau bureau pour superviser les projets d’intérêt national, je l’exhorte à rétablir ce modèle efficace, en particulier le volet lié à la surveillance et à la reddition de comptes aux plus hauts échelons de la fonction publique. Je demanderais à l’équipe du bureau du représentant du gouvernement de transmettre ce message aux ministres.
Chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis représente une occasion économique dont le Canada a désespérément besoin. Nous sommes confrontés à une crise du coût de la vie qui astreint d’innombrables Canadiens à s’enliser plutôt qu’à progresser. Nous sommes confrontés à une pénurie de logements à l’échelle nationale. Notre système de santé est surchargé et manque de personnel. Les changements climatiques continuent de ravager nos écosystèmes, et il faut des fonds pour en atténuer les effets. Nos récents engagements de dépenses en matière de défense, bien qu’essentiels, signifient que nous disposons de moins de fonds pour d’autres secteurs névralgiques. Les investissements dans les infrastructures essentielles des communautés autochtones, telles que l’approvisionnement en eau potable, font cruellement défaut. Afin de financer ces initiatives, il nous faut une économie qui grandit et qui prospère.
En bref, ne lions pas les mains de notre gouvernement afin qu’il puisse réaliser ce pour quoi les Canadiens l’ont élu. Soutenons plutôt ce projet de loi tout en demandant au gouvernement de rendre des comptes sur les nombreux engagements qu’il a pris pour assurer la prospérité économique tout en respectant l’environnement ainsi que les droits garantis par l’article 35 et les engagements du Canada relativement à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Chers collègues sénateurs, donnons au gouvernement la chance de prouver qu’il est à la hauteur de ces défis. Merci. Meegwetch. Hiy hiy.