Troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada

Par: L'hon. Amina Gerba

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L’honorable Amina Gerba : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, partie 2, qui vise à bâtir le Canada de demain. Je salue le leadership du sénateur Yussuff, le parrain de ce projet de loi, qui nous a beaucoup alimentés par des sessions d’information et par ses discours très touchants et enrichissants.

Ce projet de loi est ambitieux : il veut accélérer la réalisation de projets d’intérêt national, fluidifier le commerce interprovincial et renforcer notre cohésion économique. J’appuie ce projet de loi, car je crois qu’il était temps qu’un pays aussi vaste, aussi complexe et aussi riche de ses différences se dote d’outils à la hauteur de ses aspirations.

Toutefois, si nous voulons bâtir vite, nous devons surtout bâtir juste, pour assurer la prospérité de tous les Canadiens.

C’est pourquoi je tiens à rappeler que ce grand élan de développement économique doit aussi être un moment de justice économique, car nous avons la responsabilité de favoriser non seulement l’efficacité, mais aussi l’équité dans la façon dont les marchés seront attribués, les fournisseurs sélectionnés et les chantiers déployés.

L’article 19 de la partie 2 du projet de loi C-5 prévoit que certains projets d’intérêt national seront exemptés de plusieurs étapes de l’évaluation d’impact environnemental. Cela vise à accélérer leur mise en œuvre, mais cette accélération ne doit pas se faire au détriment de la consultation, comme nous l’avons entendu ici. Cette accélération ne doit pas se faire avec un manque de transparence ni d’inclusion. Si l’on réduit les délais, il faut redoubler de vigilance en ce qui a trait à ceux qui bénéficient de ces projets de loi et à la manière dont ils sont réalisés.

Plusieurs collègues ont déjà parlé des défis liés aux peuples autochtones, qui doivent absolument être consultés, écoutés et intégrés à toutes les étapes des grands chantiers. Je remercie nos collègues, qui nous ont bien alimentés à cet effet. Pour ma part, je vais me concentrer sur les entrepreneurs noirs. J’en profite pour évoquer une étude que j’ai eu l’honneur de codiriger au Sénat à l’été 2023 avec notre collègue le sénateur Colin Deacon.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au sénateur Deacon pour son leadership et sa considération.

Le sénateur Deacon est l’une des rares personnes à reconnaître sans détour, pour l’avoir expérimenté, qu’il existe un privilège blanc dans les milieux d’affaires au Canada et que ce privilège, s’il n’est pas activement déconstruit, perpétue l’exclusion et nuit à la prospérité économique des entrepreneurs noirs.

Notre rapport, dont je recommande vivement la lecture — ou la relecture — à tous mes collègues, montre avec clarté qu’il ne suffit pas d’avoir un bon plan d’affaires pour réussir. Les entrepreneurs noirs issus de la diversité, et en particulier les femmes noires, doivent surmonter des barrières systémiques multiples, souvent invisibles, mais bien réelles. J’ai vécu cela durant 25 ans dans le milieu des affaires au Canada avant d’être nommée au Sénat.

Des données plus récentes sont sans équivoque : aujourd’hui, la population noire ou d’ascendance africaine dépasse 1,5 million de personnes, ce qui correspond à 4,3 % de la population totale.

De plus, en 2024, selon le Diversity Institute, 76 % des personnes noires au Canada exprimaient un intérêt marqué pour l’entrepreneuriat, ce qui représente un taux supérieur à la moyenne nationale. Plusieurs raisons expliquent cela, notamment le manque d’emplois, le besoin d’autonomie financière et la recherche de la création de richesses multigénérationnelles.

Pourtant, en 2024, seulement 1,3 % des adultes noirs sont actuellement entrepreneurs, contre 2,3 % des adultes dans la population générale, selon Statistique Canada.

Parmi eux, 0,7 % de ces personnes sont des femmes noires, un des groupes les plus sous-représentés dans le milieu entrepreneurial à l’échelle pancanadienne, contre 1,2 % des femmes en général.

De plus, selon Statistique Canada, en 2024, 53 % des immigrants et 32 % des enfants d’immigrants étaient des entrepreneurs.

Environ 144 990 entreprises étaient dirigées par des personnes noires, lesquelles représentaient 2,4 % de l’ensemble des entreprises au pays. Enfin, en 2024, selon la Banque de développement du Canada (BDC) et le Diversity Institute, 83 % des entrepreneurs noirs devaient autofinancer leurs entreprises, faute d’accès au crédit.

Pourtant, 81 % d’entre eux se disent optimistes quant à l’avenir de leurs entreprises, toujours selon la BDC en 2024. Ces chiffres ne sont pas des anecdotes. Ils sont le reflet d’un système qui, trop souvent, reproduit les inégalités au lieu de les corriger.

Notre rapport propose des solutions concrètes qui pourraient être utilisées dans le cadre du projet de loi C-5, soit renforcer la collaboration entre les parties prenantes, investir de manière soutenue dans les initiatives d’entrepreneuriat noir, collecter des données désagrégées et assumer pleinement le rôle catalyseur de l’État.

Toutefois, je tiens à souligner un point fondamental : l’équité n’est pas une faveur. Elle doit être fondée sur la compétence et les résultats. Les entreprises ont la responsabilité sociétale d’intégrer l’inclusion non seulement comme un critère d’obtention de contrats, mais aussi comme une mesure du rendement.

C’est une responsabilité du gouvernement que d’évaluer les développeurs, les consortiums et les grandes entreprises, non seulement sur leur capacité à livrer, mais sur leur capacité à inclure toutes les entreprises.

Je crois que les affaires et le développement social vont de pair. L’un ne peut prospérer durablement sans l’autre. L’inclusion économique est un levier de croissance, de cohésion et de justice.

Bâtir le Canada de demain ne signifie pas seulement d’ériger des infrastructures. C’est aussi construire un pays où chaque entrepreneur et chaque communauté peuvent contribuer pleinement à notre prospérité collective. L’intégration de l’intersectionnalité doit constituer un pilier central de l’évaluation des grands projets, afin de refléter pleinement la complexité des réalités vécues par toutes les communautés touchées.

Honorables sénateurs, je voterai en faveur du projet de loi C-5, mais mon appui s’accompagne d’un engagement ferme devant vous ici. Je veillerai à ce que la responsabilité sociétale en matière d’équité, d’inclusion et de justice économique devienne une norme incontournable dans la réalisation de tous les projets d’intérêt national.

Nous devons veiller à ce que les entreprises appartenant à des personnes noires, dans toutes les régions du pays, soient non seulement considérées, mais pleinement outillées et intégrées dans les chaînes de valeurs de ces grands projets structurants. C’est ainsi que nous garantirons une prospérité véritablement partagée, une croissance durable et un Canada à l’image de toutes ses communautés. Je vous remercie.

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