L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs et sénatrices, d’abord, permettez-moi d’offrir mes plus sincères condoléances à la famille de Joyce Echaquan, particulièrement aux sept enfants de cette jeune mère, et à toute la communauté atikamekw de Manawan.
Je suis natif de Joliette et j’ai travaillé durant de nombreuses années au centre hospitalier où Mme Echaquan est décédée. Je suis choqué par ce qui s’y est passé et cela me remplit de tristesse.
Mme Echaquan, une femme gravement malade, avait besoin d’aide médicale et de compassion. Cependant, parce qu’elle était une femme autochtone, elle a été traitée avec indifférence et mépris. Ce racisme est inacceptable et est, malheureusement, le reflet d’un racisme systémique plus profond. Toute la lumière doit être faite dans ce dossier et il faut espérer que tout cela mènera à des changements d’attitude et à une véritable réconciliation.
Permettez-moi ensuite de commenter brièvement le contexte entourant l’adoption du projet de loi C-4.
Depuis juin 2019, le Sénat a vu une réduction importante de ses activités. La pause estivale a été suivie d’élections générales, d’une lente reprise des travaux parlementaires, puis d’une pandémie. Par conséquent, depuis juin 2019, le Sénat a siégé seulement 128 heures échelonnées sur 32 jours. Au cours de la même période, la Chambre des communes a siégé 344 heures échelonnées sur 50 jours. Au chapitre des comités, la différence est encore plus flagrante.
La pandémie de COVID-19, la dynamique du gouvernement minoritaire à l’autre endroit et notre incapacité à arriver à un consensus sur la façon de nous acquitter de nos fonctions lors de la session précédente ont transformé — temporairement, j’espère — notre institution en organe d’adoption automatique, comme l’a bien décrit le sénateur Tannas, leader du Groupe des sénateurs canadiens. Pour entamer la reprise de nos activités normales avec la participation de tous les sénateurs, il faut tenir des séances hybrides.
Malheureusement, aujourd’hui encore, nous sommes appelés à ratifier à toute vitesse, sans tenir de longs débats ni faire une analyse sérieuse en comité parlementaire, un projet de loi très important dont les coûts associés excèdent 51 milliards de dollars.
Je dirais que je suis presque d’accord avec la sénatrice Martin et le sénateur Plett. C’est peut-être parce que je viens de Joliette, la circonscription de Roch LaSalle, un ami de la famille.
Pendant la première vague de la pandémie, le gouvernement a dû mettre en place de toute urgence des prestations temporaires pour soutenir les Canadiens, dont la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la Prestation canadienne d’urgence pour étudiants (PCUE). Malheureusement, la PCU a été conçue sans coordination avec l’assurance-emploi, ce qui a créé des distorsions dans le régime. Ainsi des travailleurs admissibles à l’assurance-emploi ont préféré demander la PCU, puisqu’elle donnait droit à un montant de 500 $ par semaine jusqu’à 26 semaines, alors qu’ils auraient eu droit à un montant moindre de l’assurance-emploi, qui était assujetti de surcroît à des retenues d’impôt à la source.
Quant à la PCUE, elle comprenait une disposition surprenante. Ainsi, un étudiant qui gagnait 1 001 $ pendant un mois perdait la totalité du montant de 1 500 $, alors que celui qui avait gagné 999 $ pouvait le garder en entier. De plus, en pratique, ces deux prestations ont eu des effets négatifs sur l’emploi. Au Québec, des employés de centres de soins de longue durée ont quitté leur emploi pour profiter de la PCU.
Dans le secteur de la restauration, des employeurs ont été incapables de recruter suffisamment d’étudiants cet été et ont dû limiter leurs heures d’ouverture. À travers le pays, plusieurs groupes d’affaires ont déploré des effets pervers similaires, et la sénatrice Martin y a également fait référence.
Nous pourrions tirer des leçons de l’expérience des États-Unis dans ce domaine. Aux États-Unis, le département du Travail se sert d’un programme conjoint fédéral-État pour fournir des prestations de chômage aux travailleurs admissibles qui ont perdu leur emploi. Chaque État gère un programme d’assurance-chômage distinct, mais tous les États doivent suivre les lignes directrices du gouvernement fédéral.
En réponse à la pandémie, le Congrès a adopté diverses mesures, dont la Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act. Conformément à cette loi, qui s’accompagne de milliards de dollars, les États s’occupent de verser, jusqu’à la fin de l’année, l’assurance-emploi liée à la pandémie aux personnes qui travaillent à leur compte, qui cherchent un travail à temps partiel ou qui ne sont pas admissibles à l’assurance-chômage traditionnelle pour d’autres raisons. Les personnes qui reçoivent ce soutien financier doivent donner suite aux possibilités d’emploi appropriées qui leur sont communiquées, comme c’est le cas pour l’assurance-chômage traditionnelle. Autrement dit, ce programme spécial vise à fournir du soutien pendant un manque de travail temporaire, et il fait partie intégrante des outils disponibles pour gérer le marché du travail pendant la pandémie.
Par contraste, au Canada, la PCU et la Prestation canadienne d’urgence pour étudiants ont été lancées sans véritable coordination avec les provinces; on n’a pas exigé que les gens acceptent les offres d’emploi raisonnables, et on ne les a pas fortement encouragés à travailler ou à améliorer leurs compétences. Les programmes n’ont pas été pensés pour s’intégrer à un cadre plus large conçu pour aider les bénéficiaires à obtenir les compétences, la formation et les prestations d’assurance-emploi qui leur permettront de retourner travailler.
Alors que le taux de chômage est passé de 5,5 % en janvier à 13,7 % en mai, près de 9 millions de Canadiens ont demandé la Prestation canadienne d’urgence. L’Agence du revenu du Canada a accordé la prestation à environ 8,6 millions Canadiens, les aidant ainsi à payer leurs factures pendant une période difficile et à réduire leur stress.
En raison de ce que je viens de décrire, certains n’ont vu dans la Prestation canadienne d’urgence rien d’autre qu’une mesure budgétaire de soutien au revenu. Beaucoup, y compris des sénateurs, ont demandé que la prestation — dont la fin approche — soit remplacée par un revenu de base universel pour tous les Canadiens, quel que soit leur niveau de revenu, ou, au moins, par un revenu minimum garanti pour les Canadiens en dessous d’un certain niveau de revenu.
En juillet dernier, le directeur parlementaire du budget a évalué le coût d’un revenu de base garanti pour une période de six mois à compter d’octobre prochain. La mesure coûterait de 46 à 96 milliards de dollars, selon le taux de réduction applicable. Pour atténuer les coûts, le gouvernement pourrait annuler tous les crédits d’impôt fédéraux et provinciaux remboursables et non remboursables existants, tels que le crédit d’impôt pour aidants naturels, le crédit d’impôt pour personnes handicapées et le crédit pour la TPS, ce qui représenterait environ 15 milliards.
La réaction des premiers ministres provinciaux au discours du Trône a clairement indiqué que les gouvernements des provinces allaient s’opposer à toute initiative fédérale visant à remplacer ou à modifier les programmes sociaux offerts. Comme l’a dit le sénateur Harder hier soir, le Canada est une fédération, et l’une de nos fonctions est de représenter nos provinces et nos régions au Parlement fédéral.
À mon avis, mettre en œuvre un revenu garanti n’est pas une option réaliste sans la participation des provinces, sauf peut-être dans le cas des Premières Nations. Cependant, une réforme importante du régime d’assurance-emploi relève toujours exclusivement du gouvernement fédéral.
Dans le discours du Trône, le gouvernement a reconnu que cette pandémie a montré que le Canada a besoin d’un régime d’assurance-emploi adapté au XXIe siècle, y compris pour les travailleurs autonomes et les personnes qui travaillent dans l’économie de la demande, la gig economy.
Comme l’ont dit de nombreux experts et économistes — notamment notre collègue la sénatrice Bellemare —, il faut reconnaître que le régime d’assurance-emploi, dont l’accès est devenu trop limité, se trouve dans l’incapacité de répondre à des situations d’urgence qui ont un impact majeur sur l’emploi au pays.
Dans le discours du Trône, le gouvernement a annoncé qu’au cours des prochains mois, le régime d’assurance-emploi serait l’unique mécanisme de paiement des prestations relatives à l’emploi, même pour les travailleurs qui n’étaient pas admissibles à l’assurance-emploi avant la pandémie. Il s’agit d’une annonce très importante pour l’économie canadienne des petits boulots.
Honorables sénateurs, nous devrions être proactifs dans ce domaine. Nous devrions faire des études et inviter des spécialistes à des audiences de comité, pour pouvoir trouver le mécanisme approprié et envisager diverses solutions.
À mon avis, une telle réforme ne devrait pas être laissée à l’exécutif, qui se contentera de négocier en tant que gouvernement minoritaire pour obtenir l’aval d’un ou deux partenaires consentants à la Chambre des communes.
Soit dit en passant, le gouvernement a déjà modifié récemment le régime d’assurance-emploi en apportant des modifications à la réglementation pour faire passer pas moins de 2,8 millions de Canadiens de la Prestation canadienne d’urgence aux prestations d’assurance-emploi.
Les mesures temporaires suivantes seront ajoutées à ce qu’on présente comme la version simplifiée du régime d’assurance emploi : afin d’aider les prestataires à atteindre le seuil minimal requis pour avoir droit à l’assurance-emploi, les travailleurs recevront un crédit unique de 300 heures assurables pour les demandes de prestations régulières — soit en cas de perte d’emploi — ou de 480 heures assurables pour les demandes de prestations spéciales — parentales, de maladie, de maternité, de compassion et pour proches aidants. Autrement dit, les gens auront seulement besoin de 120 heures de travail pour avoir droit à des prestations, et celles-ci seront dorénavant d’au moins 500 $ par semaine afin de correspondre à ce qui était versé dans le cadre de l’ancienne Prestation canadienne d’urgence et à ce qui le sera avec la nouvelle Prestation canadienne pour la relance économique. Les travailleurs auront droit à au moins 26 semaines de prestations régulières. Depuis le 9 août et pour un an, le taux de chômage minimum a été établi à 13,1 % pour toutes les régions économiques de l’assurance-emploi afin de réduire le nombre d’heures requises pour avoir droit à des prestations. Enfin, le taux de cotisations — des employés et des employeurs — demeurera au niveau de 2020.
Collectivement, ces mesures représenteront des dépenses additionnelles de plus de 10 milliards de dollars pour le régime d’assurance-emploi.
C’est sans parler du fait que, pour aider les entreprises à garder leurs travailleurs, le gouvernement ajoutera 1,5 milliard de dollars aux 3,4 milliards qu’il a déjà transférés aux provinces et aux territoires dans le cadre des Ententes sur le développement du marché du travail et des Ententes sur le perfectionnement de la main-d’œuvre. Il bonifiera également de manière significative la Stratégie emploi et compétences jeunesse afin que les jeunes aient davantage d’occasions l’an prochain d’acquérir de l’expérience tout en étant rémunérés.
Enfin, les employeurs pourront profiter de la Subvention salariale d’urgence du Canada jusqu’à l’été prochain.
De toute évidence, la stratégie du gouvernement se résume désormais à la relance du marché du travail et à la création d’emplois. Malheureusement, la deuxième vague de COVID-19 frappe les Canadiens tandis que la réforme de l’assurance-emploi ne fait que commencer.
Ainsi, le projet de loi C-4, qui, comme l’a déclaré le sénateur Dean hier, prévoit trois prestations temporaires de 500 $ par semaines : la prestation canadienne de relance économique pour les travailleurs autonomes ou qui ne sont pas admissibles à l’assurance-emploi et que la COVID-19 empêche de travailler; la prestation canadienne de maladie pour la relance économique, pour les travailleurs qui sont malades et doivent s’isoler; la prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants pour les Canadiens incapables de travailler parce qu’ils doivent s’occuper d’un enfant ou d’un membre de leur famille.
Le coût de ces trois prestations temporaires est considérable: 24 milliards de dollars pour la PCU seulement.
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Dalphond, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur Dalphond : Une minute suffira.
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Dalphond : Merci. Contrairement aux prestations temporaires précédentes, les nouvelles sont clairement liées au marché du travail. Par exemple, les Canadiens qui touchent la nouvelle prestation canadienne de relance économique doivent être disponibles pour travailler, chercher un emploi et accepter une offre d’emploi lorsqu’il est raisonnable de le faire.
Je me réjouis également du fait que le projet de loi C-4 prévoit une réduction progressive de la prestation canadienne de relance économique au-delà d’un certain niveau de salaire gagné, au lieu d’une perte complète de la prestation. Voilà qui devrait inciter les travailleurs autonomes et d’autres travailleurs à recommencer à travailler, y compris à temps partiel, aussitôt que possible.
En terminant, je me demande si les travailleurs autonomes célibataires, qui ont subi une réduction de leur revenu de 40 000 $ ou 50 000 $ au cours des derniers mois, seront néanmoins en mesure d’encaisser des prestations. Cela me semble une dépense dont la nécessité n’est pas prouvée. Voilà une question qu’une étude en comité aurait pu approfondir.
Somme toute, honorables sénateurs et sénatrices, à l’instar de tous les partis à la Chambre des communes, j’appuie l’adoption de ce projet de loi, tout en déplorant cependant que le gouvernement ne nous ait pas donné l’occasion de l’étudier en profondeur. À cet égard, je me joins aux arguments de plusieurs collègues du caucus conservateur, avec lesquels il ne m’a pas fallu sept ans pour être d’accord.
Je vous invite à adopter le projet de loi C-4, qui donnera aux Canadiens une mesure législative nécessaire, et j’espère que nous nous attaquerons rapidement et sérieusement à une réforme en profondeur du régime d’assurance-emploi au Canada, afin qu’il s’adapte à la nouvelle économie.
Faisons en sorte que le Sénat contribue à apporter une plus-value grâce à sa réflexion. Le gouvernement en a besoin. Nous avons constaté que les programmes ont parfois été improvisés. Le gouvernement bénéficierait de l’éclairage que pourrait apporter le Sénat.
Merci, meegwetch.