L’honorable Diane Bellemare : Je n’ai pas de discours écrit, mais je me suis préparée en fonction de tout ce que j’ai entendu et des témoignages qui ont été faits au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
Je voudrais remercier mon collègue le sénateur Gignac de ses bons mots et de son travail. J’aimerais également remercier le sénateur Carignan, le porte-parole du projet de loi.
Je vais mettre ce projet de loi en contexte. Les investissements étrangers au Canada, qu’est-ce que cela représente? Est-ce que c’est important? Mon analyse par rapport à ce projet de loi s’inscrit davantage dans le contexte dans lequel il se situe.
Pour vous donner une petite idée, en 2021, la valeur des investissements directs étrangers au Canada représentait 3,3 % du PIB; il s’agit d’une tendance à la hausse. Comme le sénateur Gignac l’a souligné, le Canada est actuellement l’un des pays qui reçoit le plus d’investissements étrangers.
En moyenne, entre 2012 et 2021, les investissements directs étrangers représentaient 2,1 % du PIB. En revanche, les investissements des Canadiens à l’étranger — parce que les Canadiens investissent de façon directe à l’étranger — représentaient en 2021 4,9 % du PIB. En moyenne, sur 10 ans, les investissements des Canadiens représentaient 3,3 % du PIB.
Donc, on reçoit des investissements étrangers et on en fait ailleurs, et ce qu’on fait ailleurs excède ce que l’on reçoit. C’est assez préoccupant, mais je suis allée regarder du côté de l’OCDE. Quand on regarde les investissements directs étrangers des pays de l’OCDE, les investissements directs étrangers dans les pays représentent 1,1 % de leur PIB en moyenne, et les investissements que ces pays font à l’extérieur représentent en moyenne 2,1 % de leur PIB.
De manière générale, les pays investissent plus à l’étranger que ce qu’ils reçoivent; cela m’a donc un peu rassurée par rapport au Canada. Cependant, notre pays a quand même des chiffres importants par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Comment le Canada se situe-t-il par rapport aux investissements globaux? Les investissements faits au Canada représentaient 19,7 % du PIB en 2021. Donc, pour ce qui est des investissements faits au Canada, bon an mal an, on parle de 20 % du PIB en moyenne. Les investissements effectués au Canada sont en baisse depuis les dernières années. Les investissements directs étrangers représentent environ 10 % du total de nos investissements.
C’est important, il faut s’en soucier et notre prospérité en dépend, d’autant plus que, dans le contexte général, la productivité au Canada est en train de diminuer en valeur absolue. Par conséquent, notre prospérité est vraiment menacée.
Donc, les investissements, c’est important, et les investissements étrangers en constituent un élément majeur. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est que le projet de loi C-34 modifie la Loi sur Investissement Canada dans une perspective de sécurité nationale. La notion de prospérité est absente de ce projet de loi. On pourra y revenir.
Les témoins nous ont fait part de leurs inquiétudes, que l’on peut classer en trois catégories. On a reçu des témoignages de témoins qui s’inquiètent du fait que, dans le contexte géopolitique actuel de la guerre froide, on doit quand même observer une certaine méfiance par rapport à certains investissements étrangers — et le sénateur Carignan en a fait grand état.
Par contre, on a reçu des critiques écrites de la part d’autres personnes partout au pays qui affirment qu’une réglementation trop bureaucratique pourrait faire fuir les investissements étrangers au Canada et pourrait nuire à notre prospérité. Donc, il y a un équilibre à faire entre ces deux aspects. Un autre groupe de témoins nous a dit — et cette critique est revenue souvent au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie — que l’on doit, de plus en plus, tenir compte des investissements en capital qui sont intangibles, liés aux données et liés à la propriété intellectuelle.
Le sénateur Deacon est un protagoniste de cette approche et de cet aspect de l’investissement. Il a affirmé très souvent au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie que l’on doit se préoccuper de ces investissements intangibles.
C’est cette dimension qui est absente du projet de loi C-34. De plus, on n’a pas beaucoup parlé de prospérité, parce que le projet de loi parle beaucoup plus de sécurité. Le comité a donc annexé différents types d’observations à son rapport.
Tout d’abord, le sénateur Deacon a proposé d’ajouter des observations pour que l’on tienne davantage compte des investissements intangibles. Pour préciser davantage cette ligne de pensée, j’aimerais vous citer un mémoire que le comité a reçu de la part de M. Jim Balsillie, qui était déjà venu témoigner au comité et qui est connu grâce à la compagnie BlackBerry. Le mémoire disait ce qui suit :
L’économie d’aujourd’hui est fondée sur la connaissance et les données, et repose de plus en plus sur le capital de l’apprentissage machine. Dans ce type d’économie, l’IED est extractif […]
— « extractif », c’est le mot important qu’il faut comprendre —
[…] la technologie, les connaissances et les actifs de données, le personnel de direction, l’assiette fiscale et les effets de richesse peuvent facilement sortir des pays qui reçoivent des investissements étrangers. Les risques pour la sécurité et la prospérité ne dépendent pas de la taille et du type d’acheteur, mais de la nature des retombées économiques et sécuritaires.
Il mentionne qu’il nous faut être prudents et propose ce qui suit :
Il est essentiel que le Canada renforce les capacités du gouvernement fédéral en matière de gouvernance de l’économie d’aujourd’hui.
C’est pour cela que M. Balsillie, Dan Ciuriak et d’autres proposent ceci :
Le Canada doit créer un organisme autonome qui a la capacité et l’expertise nécessaires pour examiner tous les aspects d’une transaction et fournir aux ministres une vue unifiée des coûts et des avantages. Nos principaux alliés — les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie — ont tous un seul organisme chargé de l’examen des investissements étrangers (le Committee on Foreign Investment in the United States [CFIUS] aux États-Unis, l’Investment Security Unit au Royaume-Uni, et le Foreign Investment Review Board en Australie), et le Canada devrait adopter la même approche.
Cela dit, là n’est pas la portée du projet de loi que nous étudions; il s’agit plutôt d’un projet de loi visant à améliorer la sécurité en lien avec le contexte géopolitique actuel. C’est pour cela que nous avons annexé des observations pour indiquer qu’il serait important pour le Canada que nous, parlementaires, révisions de façon plus complète la Loi sur Investissement Canada.
Pour l’instant, allons-y avec le projet de loi C-34. Toutefois, dans nos observations, nous demandons au ministre de revenir faire rapport dans trois ans sur l’atteinte des objectifs en vue d’élargir la portée de la Loi sur Investissement Canada à des notions de sécurité, mais aussi de prospérité. Compte tenu du contexte au Canada et de la tendance de nos investissements, ces aspects méritent une attention toute particulière.
Nos observations sont annexées au rapport du comité et elles sont courtes. Par rapport à la propriété intellectuelle et au traitement des données, on dit ce qui suit :
Votre comité estime qu’il est important de veiller à ce que la propriété intellectuelle et le traitement des données personnelles financés par les pouvoirs publics soient considérés comme des facteurs de bénéfice économique net et que les règlements à venir reflètent cela.
Il y a ensuite une série de petits commentaires techniques, mais on demande surtout au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie de rendre compte aux parlementaires de la mesure dans laquelle ce projet de loi atteint ses objectifs d’ici trois ans.
Sur ce, je vous remercie et vous invite à voter en faveur du projet de loi.