Troisième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif

Par: L'hon. Clément Gignac

Partager cette publication:

Maman statue and the N

L’honorable Clément Gignac : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, qui a été adopté par la Chambre des communes le 27 octobre 2022. J’aimerais saluer tous mes collègues qui ont pris la parole jusqu’à présent et les remercier de leurs réflexions, et souligner en particulier le travail du sénateur Hassan Yussuff, qui a habilement parrainé ce projet de loi au Sénat.

En tant que membre du Comité des finances nationales, je considère que ce fut un privilège pour moi d’étudier ce projet de loi. Certains m’ont fait remarquer que ce projet de loi de 35 pages a été approuvé à l’étape de l’étude article par article par le Comité des finances nationales en à peine 15 minutes et qu’aucun amendement ou proposition n’ont été formulés. Je leur souligne que cela ne reflète pas tout le travail mené en amont au sujet de ce projet de loi grâce au leadership du président du comité, le sénateur Mockler.

D’ailleurs, 5 réunions spéciales ont été tenues au sujet du projet de loi et nous avons reçu près de 25 témoins, dont 3 ministres fédéraux venus témoigner ensemble, ce qui était probablement une première dans l’histoire récente de ce comité sénatorial.

Comme on l’a mentionné précédemment, le projet de loi C-31 vise à soulager les pressions actuelles auxquelles sont confrontées les personnes et les familles canadiennes à faible revenu, qui sont malheureusement les plus frappées par la poussée de l’inflation. Plus précisément, sous réserve de limites de revenu maximales, ce projet de loi fournira jusqu’à 650 $ par année pendant deux ans en soutien dentaire aux enfants âgés de moins de 12 ans et jusqu’à 500 $ en allocation de logement unique pour les Canadiens dans le besoin. Bien que de nature temporaire, les mesures contenues dans le projet de loi C-31 en matière de logement et de prestations dentaires contribueront quand même à soutenir ceux qui en ont le plus besoin.

Mes prochaines remarques seront plus spécifiques et concerneront chacune de ces deux mesures que contient le projet de loi.

En ce qui concerne la prestation dentaire temporaire, mentionnons que le Bureau du directeur parlementaire du budget estime à environ 700 millions de dollars le coût total de ce programme temporaire, en attendant la mise sur pied d’un véritable régime canadien d’assurance dentaire d’ici 2025. Lors des audiences qu’a tenues le Comité des finances nationales, j’ai soulevé trois préoccupations que j’aimerais partager avec vous.

Comme l’a expliqué la sénatrice Seidman à l’étape de la deuxième lecture, toutes les provinces ont déjà mis en place des programmes de soins dentaires, même si la couverture de ces programmes est très inégale d’une province à l’autre.

Au Québec, il existe déjà un programme de soins dentaires universel pour les enfants de moins de 10 ans. C’est notamment pour cette raison que le directeur parlementaire du budget estime que seulement 13 % des coûts de ce nouveau programme temporaire fédéral seront attribuables aux soins prodigués au Québec, même si la population de cette province représente le quart de la population canadienne.

Étant donné l’intention du gouvernement fédéral d’étendre ce programme de manière continue au cours des prochaines années aux jeunes de 18 ans et moins, aux personnes âgées et aux personnes vivant avec un handicap, et ce, dans un champ de compétence provinciale, il incombe au gouvernement de faire preuve de souplesse et d’envisager que les provinces puissent se prévaloir des dispositions de non-participation avec compensation financière, soit le fameux opting out, qui est évidemment conditionnel au respect de certaines conditions.

Du même coup, cette approche pragmatique serait plus respectueuse d’un fédéralisme décentralisé, d’autant plus que les professions de dentiste et d’hygiéniste dentaire sont réglementées par les provinces. D’ailleurs, la grille de tarifs recommandée pour la prestation de soins dentaires varie d’une province à l’autre. En bref, tout en appuyant cet objectif du gouvernement fédéral d’assurer une couverture universelle des soins dentaires d’un océan à l’autre, en particulier pour nos jeunes, je souhaite que le gouvernement fédéral — un peu comme l’a exprimé le sénateur Mockler — soit réceptif aux demandes des provinces — y compris le Québec —, qui voudront peut-être administrer elles-mêmes leur propre système dentaire avec une pleine compensation, si les conditions sont respectées, évidemment.

Comme je l’ai déjà mentionné au comité, il existe déjà assez de tensions dans les relations fédérales-provinciales dans le domaine de la santé, comme on a pu le constater à Vancouver, et il n’est pas nécessaire d’en ajouter une autre couche en établissant un régime national d’assurance dentaire sans consulter les provinces.

Ma seconde préoccupation a trait à la capacité des cliniques dentaires et de tout l’écosystème d’accepter subitement autant de nouveaux clients sans que cela engendre une hausse des coûts généralisée ou sans que cela augmente le temps d’attente pour les clients actuels, qui peinent souvent à obtenir un rendez-vous.

Nous avons appris, lors des audiences du comité, qu’il y a à la fois une pénurie d’hygiénistes dentaires au Canada et un problème d’accès à des dentistes qualifiés partout au pays, particulièrement dans nos régions plus éloignées.

Espérons que l’Association canadienne des dentistes et des hygiénistes dentaires sera en mesure de travailler avec les collèges d’enseignement universitaire partout au Canada pour relever ce défi et offrir les services nécessaires à tous les jeunes Canadiens admissibles.

Espérons aussi que les cliniques dentaires respecteront à la lettre la grille des frais proposée par leur ordre professionnel et n’en profiteront pas pour imposer une petite surcharge, étant donné la hausse subite de la demande qui risque de se produire.

Ma troisième préoccupation a trait à la facture annuelle totale que devront assumer les contribuables canadiens lorsqu’un tel régime d’assurance dentaire sera mis en place en 2025. Pour l’instant, le gouvernement prévoit que le coût annuel récurrent du futur régime d’assurance dentaire devrait atteindre 1,7 milliard de dollars à compter de 2025.

Or, cela ne tient pas compte du fait que certains employeurs pourraient en profiter pour revoir à la baisse la couverture des soins dentaires prévue dans le cadre de leur propre régime d’assurance dentaire afin d’économiser de l’argent. Sur ce point, j’ai la même préoccupation que mon collègue l’honorable sénateur Loffreda. Quel mécanisme de surveillance sera mis en place pour éviter une hausse considérable de la facture aux contribuables canadiens et pour veiller à ce que les employeurs ne se désistent pas pour être à la charge du gouvernement?

À ce stade-ci, personne n’a vraiment été en mesure de nous fournir des réponses. Avec la poussée de l’inflation et l’incertitude entourant le comportement des employeurs face à ce régime national d’assurance dentaire, vous me permettrez, chers collègues, d’exprimer une certaine inquiétude et un peu de scepticisme quant à l’évaluation du coût de 1,7 milliard de dollars par année pour ce futur programme, à compter de 2025.

Comme on dit, restez à l’écoute.

Mes prochaines remarques porteront sur le second volet du projet de loi C-31, soit la création d’une prestation unique de 500 $ à l’intention des locataires canadiens à faible revenu. Si ce projet de loi est adopté, rappelons que les personnes ayant consacré au moins 30 % de leur revenu à leur loyer en 2022, et dont le revenu est inférieur à 20 000 $ pour une personne seule ou inférieur à 35 000 $ pour une famille, seront admissibles à cette prestation. Le directeur parlementaire du budget estime que le coût de cette mesure ponctuelle devrait atteindre près d’un milliard de dollars.

Tout comme nous l’avons fait pendant l’étude du projet de loi C-30, nous avons soulevé, devant le comité, le fait qu’en moyenne, 10 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration de revenus pour diverses raisons — surtout les plus démunis —, et il s’agit d’un ratio encore plus élevé au Nunavut, comme le sénateur Patterson l’a déjà mentionné. Du même coup, ces personnes ne toucheront pas cette prestation unique de 500 $, à moins qu’ils ne produisent finalement leur déclaration de l’année précédente. La ministre du Revenu, lors de son témoignage devant le comité, a tenté de nous rassurer et nous a dit qu’elle faisait tout en son pouvoir pour inciter les Canadiens à faible revenu à produire les déclarations de revenus afin d’avoir accès à ce programme.

En conclusion, honorables sénateurs, ces programmes ciblés prévus dans le projet de loi C-31 et contenus dans le récent projet de loi C-30 pour aider les Canadiens à faible revenu sont d’excellentes initiatives qui méritent notre appui.

Toutefois, comme l’a souligné le sénateur Cotter, le gouvernement fédéral doit consulter les provinces pour déterminer en toute bonne foi quel ordre de gouvernement est le mieux placé pour fournir ces services dentaires, étant donné que ceux-ci sont réglementés par les provinces.

Pour l’instant, le gouvernement fédéral a pu lancer de nombreuses nouvelles initiatives au cours des 12 derniers mois tout en réduisant sensiblement les déficits, notamment grâce à l’inflation, car celle-ci aide le gouvernement à générer des recettes.

Un jour, et peut-être un jour pas si lointain, les sources de revenus fédéraux seront moins abondantes et plus limitées, peut-être à cause d’une récession ou du contexte géopolitique. Nous devons éviter de répéter l’expérience des années 1990, lorsque ce sont les provinces qui ont subi les contrecoups de l’assainissement des finances fédérales, attribuables aux réductions massives des paiements de transfert aux provinces versés par Ottawa, en raison des dépenses effrénées qui avaient été faites au cours des années précédentes.

En terminant, je tiens à remercier tous mes collègues du Comité sénatorial permanent des finances nationales pour leurs réflexions et leur engagement. J’ai déjà hâte d’entreprendre avec eux l’étude du prochain projet de loi C-32 lié à l’énoncé économique du 3 novembre dernier qui promet d’être assez costaud avec ses 172 pages. J’aurai, à ce moment-là, beaucoup plus de choses à dire sur les diverses initiatives du gouvernement fédéral au sortir de cette pandémie et surtout sur les risques qui pèsent sur nos finances publiques en cas d’une détérioration potentielle de l’économie.

Entre-temps, chers collègues, j’appuierai le projet de loi C-31.

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

Partager cette publication: