L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je ferai une courte intervention en appui à l’amendement du sénateur Woo. Il a expliqué très clairement les arguments en faveur de son amendement et je l’en remercie. J’ajouterais que, pour moi, sa proposition a encore plus de sens aujourd’hui qu’elle n’en avait pendant les travaux du comité, où elle a été rejetée à la suite d’un vote nul.
Pourquoi suis-je de cet avis? C’est parce que, en plus des solides arguments présentés par le sénateur Woo en comité et plus tôt ce soir, il y a eu, depuis que notre comité a terminé son étude, beaucoup de nouveaux développements qui rendent cet amendement nécessaire. J’admets n’avoir rien d’un expert en finances agricoles. C’est lui l’expert, et je m’en remets à lui. Quoi qu’il en soit, ses arguments m’ont paru très convaincants.
Premièrement, le 26 octobre, le premier ministre a annoncé la suspension de la tarification du carbone associée au mazout pour une durée de trois ans. On l’appelle souvent l’exemption de l’Atlantique, mais nous savons maintenant, grâce à la sénatrice Ringuette, qu’elle touchera plus de ménages en Ontario et ailleurs au Canada que dans les provinces de l’Atlantique en général. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, cette annonce m’a laissé plutôt perplexe. Après quelques recherches, je sais maintenant que, selon les prix actuels, produire le même niveau de chaleur coûte quatre fois plus cher avec du mazout qu’avec du gaz naturel, et que le prix du mazout a augmenté considérablement au cours des dernières années, contrairement à celui du gaz naturel, qui a baissé. Enfin, cette source d’énergie coûteuse est majoritairement utilisée par des ménages à faible revenu.
Comme la sénatrice Ringuette l’a déjà expliqué, cette exemption vise non pas une seule région, mais un groupe de personnes qui utilisent un produit dont le prix a grimpé en flèche au fil des ans et qui, en raison de leur situation financière, ne sont pas en mesure d’adopter une solution de rechange sans recevoir d’aide.
Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que c’est une exemption d’une durée de trois ans, et non de huit ans, et sans les dispositions du projet de loi C-234 qui permettent de prolonger facilement la durée de l’exemption.
Pour ce qui est du deuxième développement, depuis l’étude de notre comité, le gouvernement a dit à maintes reprises qu’il n’avait pas l’intention d’offrir d’autres exemptions de la tarification du carbone. Le gouvernement a aussi réitéré son engagement ferme à l’égard de la tarification du carbone et à faire tout ce qu’il faut pour que le Canada respecte ses engagements au titre de l’Accord de Paris. Nous savons aussi que le Bloc québécois et le NPD adhèrent au plan climatique du Canada et rejettent l’approche « abolissons la taxe ». Ce point de vue n’exclut pas certaines exemptions en cas de situation critique.
Troisièmement, le 6 novembre, la Chambre des communes a rejeté une motion du Parti conservateur réclamant une exemption pour tous les carburants domestiques. Le sénateur Woo y a fait allusion. Pourquoi avoir un projet de loi qui prévoit une exemption pour toutes sortes de bâtiments agricoles, y compris pour ceux qui évoluent dans un système de gestion de l’offre qui leur garantit un bon revenu, mais qui n’accorde pas la même exemption pour toutes les formes de chauffage domestique? Je crois que c’est une bonne question. Comme je l’ai demandé à la troisième lecture, les vaches et les cochons valent-ils plus que les êtres humains?
En outre, il serait illogique d’adopter un projet de loi qui propose des exemptions pour le chauffage de toutes sortes de bâtiments agricoles pendant un minimum de huit ans, alors qu’il n’existe actuellement qu’une seule exemption, limitée à trois ans, pour les habitations utilisant du mazout. Je ne vois pas la logique de huit ans pour les bâtiments agricoles et de trois ans pour les personnes les plus pauvres du pays qui utilisent ce type de chauffage.
Quatrièmement, la semaine dernière, la Chambre des communes a rejeté une autre motion conservatrice. Cette motion nous ordonnait plus ou moins d’adopter le projet de loi C-234 sans amendement au milieu de notre examen. Le député conservateur Adam Chambers a déclaré aux médias, juste avant d’entrer au caucus conservateur, que les sénateurs devraient retourner « faire ce qu’ils font de mieux, c’est-à-dire demeurer invisible. » De toute évidence, il ignore la nouvelle réalité du Sénat. Nous n’avons pas l’intention d’être invisibles, monsieur, et nous sommes prêts à faire notre devoir constitutionnel, qui est d’apporter un second regard objectif sur toutes sortes de projets de loi, qu’ils émanent du Parti conservateur ou du gouvernement.
Nous sommes également conscients de notre rôle qui consiste à proposer des amendements lorsque nous le jugeons approprié, tout en laissant le dernier mot aux députés, qui sont élus. Voilà le bon fonctionnement du Parlement canadien. Pour citer le regretté sénateur Shugart : « nous savons très bien que notre rôle exige une certaine retenue. »
En fin de compte, le renvoi du projet de loi C-234 à l’autre endroit invitera tous les députés, y compris les libéraux et les ministres, à revoir la question des exemptions et à mettre en place une approche cohérente à cet égard.
Soit dit en passant, il s’agit aussi de l’objectif de la motion présentée il y a deux jours par notre collègue la sénatrice Bellemare. Dans son discours sur le projet de loi C-234, elle a exhorté tout le monde, y compris les provinces, le gouvernement fédéral et toutes les parties prenantes, à travailler ensemble pour trouver des solutions à la crise climatique. C’est seulement en travaillant ensemble que nous parviendrons à traverser cette crise, qui est liée à notre propre survie, et non en menaçant de ne pas appliquer des lois adoptées par le Parlement fédéral ou en laissant des États devenir des provinces voyous et des provinces devenir des États voyous en refusant d’appliquer des lois qui ont été adoptées de manière constitutionnelle.
Avec de la volonté et de la collaboration, nous pouvons nous attendre, comme elle l’a suggéré dans sa motion, à respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris. Nous aurons une politique cohérente et une stricte tarification du carbone, avec des exemptions conçues pour donner un répit aux personnes qui en ont absolument besoin et de multiples programmes mis de l’avant par le gouvernement fédéral et les provinces pour aider tout le monde à prendre un virage vert. C’est la seule façon d’y parvenir.
Je sais que certains agriculteurs ont besoin d’aide. Je sais qu’ils s’inscrivent massivement à tous les programmes proposés jusqu’à maintenant par Agriculture Canada. Je sais qu’ils sont prêts à accepter des changements parce que, comme l’a dit le sénateur Cotter, ils sont les gardiens de la terre. Ils veulent que la terre survive, ils veulent survivre et ils veulent contribuer à bien nous nourrir. Cependant, nous devons tous travailler ensemble et ne pas chercher à échapper au fardeau porté par d’autres. Nous devrions tous partager le fardeau et travailler ensemble pour atteindre ces objectifs. Merci beaucoup. Marsee.