L’honorable Peter Harder : « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement. »
C’est avec ces paroles que M. Churchill a rallié son peuple en novembre 1942, après la défaite du général Rommel à El Alamein, et elles ont marqué un tournant dans la guerre. De toute évidence, l’analogie est imparfaite. Je crois toutefois qu’elle nous donne l’occasion, après six mois de lutte contre le coronavirus, de faire le point sur le commencement de la pandémie.
Six mois presque jour pour jour après que le premier cas ait été signalé au Canada, plus de 100 000 Canadiens ont été infectés et 9 000 sont morts, dont 80 % dans des établissements de soins de longue durée. À l’échelle mondiale, plus de 15 millions de personnes ont été infectées et ce nombre ne cesse d’augmenter. Je suis optimiste parce que je crois que nous avons découvert, au cours des six derniers mois, quelques-unes des mesures clés essentielles pour au moins maîtriser la contagion. Je pense qu’il y en a huit.
Premièrement, nous devons nous fier aux données scientifiques et nous adapter avec souplesse et agilité à l’évolution du consensus scientifique et à la situation. Certains sénateurs ont suggéré aujourd’hui que le gouvernement aurait dû être au courant des changements survenus au cours des six derniers mois et aurait dû prendre un certain nombre d’initiatives plus tôt, y compris celles qui figurent dans ce projet de loi. Je suis d’un avis différent. J’estime qu’un gouvernement qui prend des mesures précoces et réagit rapidement à l’évolution des circonstances est mieux à même d’écouter ses citoyens. Ce sont les trois mots d’ordre : science, agilité et souplesse.
Deuxièmement, nous savions qu’il fallait maintenir la courbe dans les limites de la capacité des unités de soins intensifs. Lorsque nous avons débattu de ces mesures pour la première fois il y a quelques mois, la courbe dépassait la capacité et il y avait une réelle menace quant à la capacité de nos systèmes de soins de santé de traiter les malades. Il fallait maintenir la courbe dans les limites de la capacité des unités de soins intensifs.
Troisièmement, nous savons que l’avenir sera de plus en plus axé sur les tests et le traçage des contacts. Le renforcement de notre capacité de dépistage et de traçage est essentiel pour composer avec la courbe.
Quatrièmement, parlons d’équipement de protection individuelle et de masques. Nous devons veiller à assurer une réserve d’équipement de protection individuelle dans l’éventualité d’une seconde vague.
Cinquièmement, il y a la distanciation sociale, qui pose problème pour beaucoup d’entre nous. La science a démontré que la distanciation sociale, le port du masque, le dépistage et la prudence de la part de la population sont essentiels à ce que la propagation demeure gérable.
Sixièmement, il y a les déplacements et les frontières. Il ne faudrait se rendre à l’étranger que pour des voyages essentiels jusqu’à ce que nous ayons confiance dans la façon dont on gère la contagion à l’extérieur de nos frontières. Même au Canada, malgré des protestations, certains gouvernements interdisent toujours les déplacements intraprovinciaux. La prudence nous a aidés ces six derniers mois, et force est d’admettre qu’il faudra probablement maintenir cette approche.
Septièmement, et c’est très important, il faut maintenir des liquidités dans l’économie, et ce projet de loi y contribue. Il répond aux variations et aux adaptations de l’économie dans la foulée des mesures mises en œuvre il y a quelques mois. La présence de liquidités dans l’économie a été extrêmement avantageuse pour le Canada et a permis à l’économie canadienne de réagir efficacement au moment de la phase de reprise des activités.
Ce qui m’amène au huitième point : il nous faut une reprise graduelle et stratégique en ce qui concerne l’équipement de protection individuelle, la distanciation, des tests de dépistage appropriés, etc.
Tous ces points exigent beaucoup de nous tous. Il n’y va pas de la seule responsabilité du gouvernement. Cette responsabilité incombe certes aux gouvernements, mais, surtout, aux citoyens.
Les honorables sénateurs savent que, lorsque je me rends au Sénat, je passe devant l’Église Unie de Manotick, qui a toujours une jolie phrase qui me fait réfléchir. Celle d’aujourd’hui était : « La patience aussi est une forme d’action. » Nous devons rappeler aux Canadiens que la patience à l’égard des mesures prises, que ce soit les masques, la distanciation physique, l’ajustement des cadres juridiques et la réponse à l’évolution du virus, est une forme d’action et que nous devons être patients. Le relâchement de la vigilance dans le contexte de la COVID est le plus grand danger alors que le système médical semble avoir trouvé un certain équilibre.
Cela m’amène à ce dont je voulais vraiment parler aujourd’hui. C’est au sujet de six priorités urgentes que je souhaiterais que le gouvernement prenne en considération dans cette phase. Il se trouve que je crois au plan proposé par David Dodge dans un document qu’il a publié, où il dit qu’en 2020, c’est le temps de reprendre les activités économiques, qu’en 2021, ce sera le temps du rétablissement, et que les années suivantes serviront à reconstruire l’économie. Les mots que j’ai repris au début de mon intervention sont ceux que Churchill a prononcés en 1942. Il restait trois ans à la guerre, et la guerre, comme on le sait, n’est pas exactement propice au rétablissement. C’est en ayant à l’esprit que nous ne sommes pas sortis du bois que je propose six priorités urgentes.
La première est, bien sûr, que nous devrions rouvrir. La réouverture devrait toutefois se faire de façon stratégique et réfléchie, et sans précipitation. Si nous allons trop vite et que nous devons battre en retraite, nous devons le faire rapidement aussi. Dans ma province, l’Ontario, je pense que la réouverture des bars est intervenue beaucoup trop rapidement; 60 % des cas d’infection les plus récents concernent des jeunes. Lorsque nous avons commencé ce débat il y a six mois, cela ne semblait pas être une préoccupation, c’était la population des plus de 60 ans qui nous inquiétait. Nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, en Australie — et je ne mentionnerai même pas les États-Unis — où le virus est réapparu parce qu’il y a eu une ouverture trop rapide plutôt qu’une ouverture stratégique et sectorielle. Soyez stratégique dans la réouverture.
Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur les garderies. Cela ne concerne pas seulement le gouvernement du Canada, mais aussi les gouvernements provinciaux et régionaux, ainsi que les administrations municipales. La garde d’enfants est un défi à la fois à court et à long terme. À court terme, nous ne pouvons pas avoir une réouverture sans que ceux que nous voulons voir revenir au travail aient la garantie que les services de garde d’enfants nécessaires seront disponibles. En particulier si l’éducation reprend et que l’ouverture des écoles ne correspond pas à nos attentes en matière de réintégration dans la vie active. Je crains que des femmes abandonnent le marché du travail si nous n’avons pas dans un avenir rapproché des services de garde d’enfants adéquats, dont nous avons un besoin urgent. La pandémie nous a appris que nous avons en fait besoin d’une solution à long terme au Canada. Ce n’est pas une chose que le gouvernement fédéral peut faire seul, mais c’est une question pour laquelle il doit faire preuve de leadership en coopération avec d’autres administrations afin de s’assurer que la résilience et la capacité de faire partie de la population active ne soient pas minées par l’absence de services de garde d’enfants.
Troisièmement, je tiens à attirer votre attention sur le sort des étudiants étrangers. Le 1er mai, alors que nous discutions d’un autre projet de loi, je vous ai parlé des lacunes touchant les mesures de soutien qui leur sont destinées. L’éducation des étudiants étrangers en sol canadien est une industrie valant 21,6 milliards de dollars — et encore, ce sont les données de 2016, alors le véritable chiffre doit être encore plus élevé — et représentant environ 170 000 emplois directs. C’est plus, économiquement parlant, que le secteur des pièces d’automobile, de la foresterie ou de l’aviation. C’est loin d’être négligeable. À la fin mars, on comptait 565 000 étudiants étrangers au Canada. Or, selon ce que me disent les experts, à peu près 80 % d’entre eux sont demeurés au Canada en raison des restrictions les empêchant de voyager, et la moitié de ceux qui sont encore ici seront dans une position plus ou moins difficile quand ils retourneront sur les bancs d’école cet automne. Les besoins de ces quelque 300 000 étudiants doivent être pris en compte rapidement — nous sommes presque en août, après tout —, et nous devons nous rappeler que, si les étudiants étrangers sont incapables de suivre leurs cours, c’est la santé financière même des collèges et des universités qui les accueillent qui est en jeu, sans parler des pertes pour l’économie en général. J’encourage donc le gouvernement à accorder aux étudiants étrangers une place au haut de sa liste des priorités sans tarder.
Troisièmement, il y a le vaccin, autant son invention que son acquisition. Certaines personnes ont parlé de l’importance d’un vaccin. Nous savons que d’ici à ce qu’un vaccin soit mis au point et que son efficacité ait été éprouvée, nous devrons nous plier à des mesures restrictives tout au long de notre phase de réouverture et de redressement. J’invite le gouvernement non seulement à accorder un soutien à l’invention d’un vaccin, soutien qui est déjà considérable, mais aussi à donner l’assurance aux Canadiens que ce vaccin sera disponible en quantité suffisante ici pour qu’ils sachent qu’ils ne seront pas désavantagés au fur et à mesure que la phase de redressement progressera après la pandémie.
Cinquièmement, nous devons continuer d’accorder une grande importance aux enjeux internationaux de la COVID. La question du vaccin ne devrait pas être un prétexte pour alimenter un nationalisme de mauvais aloi, peu importe ce que certains se plaisent à trompéter. J’ai été ravi de constater que le premier ministre avait apposé son nom aux côtés de ceux d’autres leaders mondiaux dans un récent article publié dans le Wall Street Journal au sujet de la coopération entourant les travaux sur la COVID à l’échelle internationale. Cependant, j’encourage les pays membres du G7 et les autres entités internationales qui ont une responsabilité en matière de coopération mondiale à en faire davantage à cet égard. De notre côté, nous devons aussi être mieux informés, car même si nous avons un vaccin et que le Canada rouvre son économie, l’humanité demeurera vulnérable à l’échelle planétaire.
Sixièmement, enfin, j’aimerais revenir à un Parlement plus normal. Le Comité des finances a abordé ce sujet, qui a fait l’objet de tractations politiques — chose étrange au Parlement. Je suis d’avis qu’un modèle hybride est la seule manière de revenir rapidement à un Parlement plus normal. J’exhorte les sénateurs à mettre la politique de côté afin de doter le Sénat des moyens techniques nécessaires pour ce faire cet automne.
Pourquoi est-ce important? Il importe que l’institution nationale qu’est le Parlement reprenne ses activités tandis que nous encourageons le secteur privé à faire de même. Il faut aussi nous pencher sur les politiques publiques autres que celles liées à la COVID-19 et aux mesures connexes. D’autres projets de loi sont prêts à être débattus et remis en question. Nous devrions encourager le gouvernement à revenir à un Parlement plus normal — les choses ne reviendront pas tout à fait à la normale en l’absence d’un vaccin efficace — pour que nous vérifiions la confiance des institutions parlementaires envers les mesures prises par le gouvernement.
Je veux conclure en remerciant la sénatrice Moncion d’avoir marrainé le projet de loi, qui assouplit et améliore les programmes que nous avons déjà adoptés. Je vous demande d’appuyer le projet de loi lors du vote à l’étape de la troisième lecture. Merci.