L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour vous demander d’appuyer la motion visant à élire le président intérimaire du Sénat — c’est-à-dire notre vice-président — selon un processus équitable qui prévoit la participation de tous les sénateurs. Plus précisément, la motion autoriserait le Président à concevoir et à mettre en œuvre un processus d’élection du président intérimaire par scrutin secret après avoir consulté les dirigeants de tous les groupes.
Je tiens d’abord à reconnaître que le Canada est actuellement confronté à de nombreux défis. La pandémie a provoqué des bouleversements personnels et économiques dans les foyers partout au pays et a mis en lumière les inégalités du système de santé. Les événements récents ont également mis en évidence des problèmes liés au racisme systémique, qui exigent des changements importants dans nos institutions et nos programmes. Bien que nous devions accorder à ces problèmes toute la considération et l’attention nécessaires, nous ne devons pas mettre de côté les discussions sur une véritable réforme du Sénat. La réforme de notre institution, y compris du Sénat, fait partie des mesures qui devront être prises après la pandémie de COVID. La motion que je propose constituera un pas en avant vers la réforme du Sénat.
L’établissement d’un processus pour élire le président intérimaire par scrutin secret donnerait à tous les sénateurs des chances égales d’être pris en considération pour ce rôle. Un tel processus respecterait aussi l’avis donné librement par tous les sénateurs, au moyen d’un scrutin secret, quant à la personne parmi leurs collègues qui devrait occuper cette fonction dont le titulaire doit avoir la confiance et être au service de tous les sénateurs.
Ce que je propose aujourd’hui n’est pas nouveau. Par exemple, la sénatrice Ringuette, qui a dirigé les efforts de réforme du processus de sélection pour les postes de Président du Sénat et de Président intérimaire, a proposé en mars 2014 une motion visant à élaborer une manière d’élire le Président et le Président intérimaire.
La sénatrice Ringuette a déclaré :
Nous, en tant que Chambre mandatée pour effectuer un second examen objectif, sommes en mesure d’analyser les projets de loi en détail pour en déterminer les répercussions sur les Canadiens et nous étudions des sujets complexes qui préoccupent les citoyens. Alors, pourquoi hésiter à revoir notre fonctionnement, étant donné le mécontentement des citoyens?
En 2016, le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat a étudié plus en détail la proposition de la sénatrice Ringuette. Dans son sixième rapport, le comité a recommandé :
- Que le Sénat donne instruction au Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement d’élaborer un processus, dans le cadre du Règlement du Sénat, qui permettrait aux sénateurs d’exprimer leur préférence quant au choix du Président en désignant jusqu’à cinq sénateurs dont la candidature sera soumise au premier ministre, qui fera sa recommandation au gouverneur général;
- Que ce processus se déroule au début de chaque législature.
Le Comité a aussi recommandé ce qui suit :
Que le Sénat donne instruction au Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement de recommander des changements au Règlement du Sénat afin que le Président intérimaire puisse être élu au scrutin secret par les sénateurs.
Le 2 novembre 2016, le sénateur Tannas a proposé que le rapport soit adopté. Il a dit :
Ces approches plus démocratiques du choix du Président et du Président intérimaire en font un ensemble important de recommandations.
Je suis ici depuis trois ans et demi et nous avons vu passer plusieurs Présidents intérimaires, tous exceptionnels, y compris l’actuelle Présidente intérimaire, mais j’ignore totalement comment cette charge a été attribuée.
Je pense qu’il serait préférable que le processus soit transparent et clair et que toutes les personnes qui veulent cette charge et sont capables de l’assumer se portent candidates pour être élues par les sénateurs.
Cet argument demeure parfaitement valable, et je l’appuie sans réserve.
Malheureusement, pendant les deux années et demie restantes de la quarante-deuxième législature, le Sénat n’a pas eu l’occasion de se prononcer au sujet de ce rapport d’un comité non gouvernemental. Il n’en demeure pas moins que je partage l’opinion de la sénatrice Ringuette, du sénateur Tannas et de tous les autres sénateurs qui faisaient partie du Comité de la modernisation. Cette amélioration doit avoir lieu.
Un poste de confiance institutionnelle tel que celui de Président intérimaire ne devrait pas être attribué par le truchement de négociations et de mécanismes secrets de sélection propres à un groupe en particulier. Tous les sénateurs devaient avoir une chance égale de présenter leur candidature et de se prononcer au moment de décider qui présidera nos délibérations. Ma motion permettrait de parvenir à ce résultat jusqu’à ce que des modifications officielles soient apportées au Règlement du Sénat. D’ici là, l’adoption de ma motion enverrait aux Canadiens le message que nous sommes tous déterminés à apporter des réformes internes visant à accroître la confiance du public dans le Sénat et le travail qu’il accomplit.
Afin d’appuyer cette approche visant à choisir notre Président intérimaire, j’aimerais dire que le Président de la Chambre des lords du Royaume-Uni occupe un poste élu depuis 2006. Avant cette date, tout comme au Canada, c’est le premier ministre qui nommait le Président de la Chambre des lords. Ce changement a été apporté à la suite de l’adoption de la Constitutional Reform Act en 2005. Vous vous souviendrez qu’un projet de loi à cet effet, le S-205, a été présenté par mon collègue le sénateur Mercer et est actuellement à l’étude au Sénat.
Au Canada, la Chambre des communes choisit son Président au moyen d’un scrutin secret. Elle choisit ensuite son Vice-président après que le Président ait fait l’annonce d’un candidat après consultation avec les leaders parlementaires.
Au Sénat du Canada, le Président actuel continue de faire un travail exceptionnel en cette période difficile de changements institutionnels. Bien sûr, il a accompli un énorme travail, surtout ces derniers mois, pour nous permettre de siéger ici tout en protégeant notre santé ainsi que celle de nos employés et des personnes qui nous aident à nous acquitter de nos fonctions importantes. Il mérite toute notre gratitude et notre confiance pour ses loyaux services.
Si nous en venons à modifier la Loi sur le Parlement du Canada, j’estime que l’idée d’élire éventuellement le Président a du mérite. Je tiens aussi à ce que nous examinions une idée, qui a été lancée par la sénatrice Ringuette et le sénateur Tannas, à savoir celle d’élire le Vice-président et d’étudier éventuellement le projet de loi de mon collègue le sénateur Mercer.
Je vais de nouveau citer le sénateur Mercer, qui a dit ceci lorsqu’il a présenté son projet de loi à l’étape de la deuxième lecture :
Dans toutes les provinces et tous les territoires au Canada, les Présidents sont élus par les membres de leur assemblée législative. Inutile de rappeler que la Chambre des communes élit son Président. L’ensemble de mes recherches comprend de l’information sur la structure de 267 assemblées législatives réparties dans les 191 pays où il existe une assemblée législative nationale. Le titulaire de la présidence n’est nommé que dans les parlements bicaméraux du Canada, d’Antigua et de la Barbade, et du Bahreïn.
Ainsi, nous semblons être une espèce en voie de disparition. Néanmoins, en choisissant le Président de cette institution, il est important de garder à l’esprit les considérations constitutionnelles particulières au contexte canadien.
Ce n’est pas le cas pour le poste de Président intérimaire. Seul notre Règlement s’applique et il peut être modifié.
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, il est facile de modifier notre Règlement ou de décider de ne pas le suivre. Il s’agit avant tout d’une question de volonté.
Avec la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui, nous avons l’occasion d’agir dans l’esprit d’une véritable réforme et de nous rapprocher de façon tangible de l’idéal décrit par le sénateur Mercer. Si nous adoptons cette motion, le nouveau processus constituera un progrès important dans le fonctionnement du Sénat, où tous les sénateurs doivent être égaux à tous égards.
En continuant dans cette voie, nous allons adopter un processus qui confère davantage de légitimité à un poste de confiance. Nous pourrions envisager d’officialiser ce changement en l’inscrivant dans le Règlement du Sénat à une date ultérieure, comme pour d’autres modifications qui étaient nécessaires et qui ont été apportées grâce à des ordres sessionnels, par exemple, la création de la période des questions aux ministres.
Je profite de l’occasion pour dire que nous pourrions également envisager de changer le titre du poste en question pour remplacer en anglais « Speaker pro tempore » par « deputy speaker » ou, en français, « vice-président ». J’ai suivi des cours de latin, mais je pense que peu de gens l’apprennent encore. Cette langue ne faisant plus partie des programmes d’études dans les écoles, je ne suis pas sûr que les gens comprennent le sens de l’expression « pro tempore ».
En terminant, chers collègues, je vous invite à montrer que nous souhaitons vraiment apporter des changements. Nous avons aujourd’hui l’occasion de nous éloigner du concept des négociations traditionnelles entre les groupes pour l’obtention des postes rémunérés et de mettre en place un processus souhaité par tous ceux qui pensent sincèrement que tous les sénateurs sont égaux et que la pratique actuelle doit changer.
Je fais entièrement confiance au Président. Lui et les leaders des groupes seront capables de concevoir sans tarder un processus équitable qui nous permettra d’élire un président intérimaire avant de reprendre nos fonctions normales en septembre.
Merci beaucoup de votre attention. Meegwetch.
Son Honneur le Président : Sénatrice Saint-Germain, avez-vous une question? Sénatrice Omidvar, avez-vous une question?
L’honorable Ratna Omidvar : Sénateur Dalphond, je suis favorable à votre proposition. J’aimerais bien savoir ce que les autres sénateurs en pensent.
Il y a peu, vous étiez membre du Groupe des sénateurs indépendants, puis vous avez décidé de vous joindre au Groupe progressiste du Sénat. Je vous souhaite la meilleure des chances.
Lorsque vous étiez membre du Groupe des sénateurs indépendants, vous avez participé à l’élection au scrutin secret du candidat de ce groupe au poste de président intérimaire, candidat dont le nom allait être soumis au Comité de sélection. Je me demandais si votre proposition n’était pas un peu inspirée de la manière positive dont s’est déroulée l’élection qui a permis au Groupe des sénateurs indépendants de choisir le candidat qu’il proposerait au Comité de sélection.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie, sénatrice Omidvar. Comme vous le savez déjà, j’ai assisté à la dernière réunion du Comité de sélection, le 1er mai. Quand le premier rapport a été présenté, il portait sur l’élection du Président intérimaire. Or, le tout s’est déroulé en l’absence des partis de l’opposition, ou du moins de l’opposition officielle, et j’ai moi-même dit — vous vérifierez dans le compte-rendu si vous le voulez — que le titulaire de ce poste devrait être élu par l’ensemble des sénateurs.
Alors non, je n’aime pas la manière dont cela s’est passé. Je crois que la sélection du Président intérimaire ne doit plus être le fruit de négociations entre les groupes. Selon moi, ce choix revient à l’ensemble des sénateurs, et non à un groupe donné.
Pour ce qui est des discussions qui ont eu lieu à l’intérieur du Groupe des sénateurs indépendants, à moins que ma mémoire ne me fasse défaut, je n’ai jamais vu les résultats de l’élection dont vous parlez. Il n’y avait pas un seul candidat, mais trois. Nous n’avons jamais su combien de voix chacun avait obtenues. Le processus ne s’est pas déroulé de manière transparente, et les résultats n’ont jamais été rendus publics.
Nous n’avons jamais su combien de voix la sénatrice Ringuette et les deux autres candidats avaient obtenues. Si je me souviens bien, le processus a été modifié par deux fois avant qu’on nous demande de voter. Au début, il s’agissait d’un scrutin préférentiel, puis cela a été changé pour autre chose, et puis pour encore autre chose par la suite.
Nous devons nous doter de règles transparentes qui favorisent la reddition de comptes.
Son Honneur le Président : Sénateur Dalphond, votre temps de parole est écoulé. Il y a trois sénateurs qui souhaitent poser une question. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre aux questions?
Le sénateur Dalphond : Oui, Votre Honneur.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : Je suis désolé, mais le consentement n’est pas accordé.