Motion tendant à ce qu’aucun comité du Sénat ne soit considéré comme étant un comité permanent ou spécial jusqu’à la fin de la présente session

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je voudrais vous préciser les motifs au soutien de la motion inscrite à mon nom, portant qu’aucun salaire supplémentaire ne soit versé aux présidents et vice-présidents des comités du Sénat, et ce, pour le reste de la session, en attendant de faire des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada.

La COVID-19 et la grave crise économique qu’elle a engendrée, y compris la précarité financière de millions de Canadiens et la création de déficits massifs dans les finances publiques, font qu’il est plus nécessaire que jamais que nous nous interrogions sur certaines de nos pratiques, notamment celle de payer des salaires additionnels aux présidents et vice-présidents de nos comités permanents et spéciaux.

Par exemple, la motion du 11 mars 2020 a permis, en pleine pandémie et récession, d’augmenter de six le nombre de sénateurs pouvant bénéficier d’un salaire additionnel de 12 500 $ ou de 6 200 $, à titre de président ou de vice-président d’un comité, montant qui s’ajoute à notre salaire de base actuel de 157 600 $ à la suite de l’augmentation de 3 000 $ du 1er février 2020 que plusieurs sénateurs, moi y compris, ont décidé de remettre à des organismes de charité pour aider les Canadiens en difficulté durant cette période. Cette motion du 11 mars porte à plus de 50 le nombre de postes autorisant l’un ou l’autre des 96 sénateurs actuels à percevoir un salaire additionnel.

Cela dit avec tout le respect que je vous dois, je crois qu’il est temps de faire marche arrière.

Honorables sénateurs, saviez-vous qu’en 1873 la loi qui traitait des indemnités pour les députés et des salaires pour les Présidents des deux Chambres du Parlement, que l’on appelle aujourd’hui la Loi sur les traitements, ne prévoyait des salaires supplémentaires que pour les ministres, y compris le premier ministre, le Président du Sénat et le Président de la Chambre des communes?

Les salaires des députés et des sénateurs, de même ceux des deux Présidents, sont aujourd’hui intégrés dans la Loi sur le Parlement. Un salaire supplémentaire pour le leader de l’opposition à la Chambre des communes a été ajouté en 1906. En 1920, on a ajouté le poste de Président suppléant de la Chambre des communes; 50 ans plus tard, en 1975, un amendement a permis d’ajouter les postes de vice-président et de vice-président adjoint du comité plénier de la Chambre des communes. Du côté du Sénat, le premier ajout n’a eu lieu qu’en 1947 pour prévoir des salaires supplémentaires pour le leader du gouvernement et le leader de l’opposition. En 1998, un nouvel amendement a autorisé le versement d’un salaire additionnel au Président intérimaire.

Honorables sénateurs, ce n’est que depuis 2001 que les titulaires des postes de président et de vice-président des comités sénatoriaux permanents — il y avait 15 comités à l’époque — ont droit à un salaire supplémentaire, ce qui correspond à l’ajout d’environ 30 postes rémunérés. Autrement dit, de 1867 à 2001 — soit pendant plus d’un siècle —, les titulaires de ces postes n’avaient droit à aucun salaire supplémentaire, ni à des prestations de retraite bonifiées, bien sûr.

De plus, comme je l’ai dit, la situation a changé en 2001, puisque 30 postes ont été ajoutés. On l’a fait non pas à la demande du Sénat, mais seulement pour faire écho à la proposition d’offrir un salaire supplémentaire aux titulaires de postes équivalents à la Chambre des communes. Le gouvernement de l’époque a proposé ce changement à l’autre endroit afin d’ajouter au moins 18 nouveaux postes rémunérés à répartir entre les membres de chaque caucus, outre les postes de ministre et de secrétaire parlementaire, pour un total de 74 députés du parti au pouvoir recevant un salaire supplémentaire.

Cela signifie également que 36 nouveaux postes rémunérés sont offerts à des membres des partis de l’opposition, puisqu’il y a deux vice-présidents dans tous les comités de la Chambre des communes. Peu de gens se sont opposés à un tel changement, à l’exception d’un seul parti, l’Alliance canadienne.

En 2003, un autre amendement a étendu le droit aux présidents et aux vice-présidents des comités spéciaux. Lors de l’examen de cet amendement par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, l’ancien sénateur Serge Joyal s’est interrogé sur la nécessité — et même sur la sagesse — de verser des salaires supplémentaires aux présidents et aux vice-présidents de tous les comités.

Le 17 juin 2003, il a déclaré :

[Il s’agit d’un] poste qui, en pratique, n’impose pas tellement plus de responsabilités ou de travail que le poste d’un député ou d’un sénateur qui fait le travail de préparation d’un projet de loi, assiste à toutes les réunions du comité, prépare les questions, et, à l’occasion, prépare les amendements […]

Pourquoi donner un bénéfice additionnel à une personne qui est souvent choisie d’une manière particulière? Dans la mesure du possible, on doit garder une certaine forme d’équilibre dans le système et éviter l’introduction d’éléments qui visent à différencier le travail des députés et des sénateurs […]

On ajoute énormément à la liste des personnes qui, dans le Parlement, reçoivent des montants supplémentaires […]

Qui ne reçoit pas quelque chose de plus dans le système aujourd’hui? Il reste les soldats, les sans-grade, les poilus, les grognards et les dragons.

Tout le système est conçu comme étant un système de récompense qui semble avoir un effet sur le comportement des parlementaires.

Justement, l’ajout en 2001 et 2003 de plus de 30 postes rémunérés au sein du Sénat a entraîné une violation indue du principe d’égalité entre tous les sénateurs et a renforcé les pouvoirs des dirigeants des deux caucus qui existaient à cette époque, qui étaient alors autorisés à nommer les personnes ayant droit à ces postes. Depuis la formation de nouveaux groupes, la répartition des postes de présidence et de vice-présidence a commencé à faire l’objet de négociations musclées, puisque chaque groupe fait des pieds et des mains pour obtenir pour ses membres un maximum de postes rémunérés, ce qui a en outre entraîné la création calculée de postes rémunérés supplémentaires en vue de plaire à un plus grand nombre de personnes.

Par exemple, lors de la dernière législature, une entente conclue entre tous les groupes du Sénat a mené à la création de 10 postes rémunérés supplémentaires de deuxième vice-président. En novembre 2017, les leaders ont demandé au sénateur Day d’expliquer cette nouveauté au Sénat. Après son discours, la sénatrice Tardif lui a demandé pourquoi 10 comités seulement seraient dotés de deux postes rémunérés de vice-président, alors que sept autres, au comité directeur, n’auraient droit qu’à un troisième membre non rémunéré. Plus précisément, la sénatrice Tardif lui a demandé s’il trouvait que cette manière de procéder était juste et équitable. Le sénateur Day lui a répondu ceci :

Non. Cela dit, comme c’est souvent le cas lorsqu’on en vient à une entente, il fallait faire un compromis. Il y a eu de nombreuses propositions différentes. Au début des négociations, mon point de vue était que tous les comités devraient avoir deux vice-présidents égaux, comme les comités de la Chambre des communes. Certaines personnes autour de la table ne voulaient pas de vice-présidents du tout. Nous avons trouvé un compromis.

Je n’essaierai pas de vous convaincre que c’est une décision qui repose sur une logique à toute épreuve […]

Autrement dit, c’est le résultat d’une négociation, et non l’aboutissement d’une démarche guidée par la logique ou par des principes.

Sénateurs, la même chose vaut pour la motion du 11 mars 2020. Elle a créé six postes rémunérés supplémentaires dans le but de concrétiser une entente, en passant outre au Règlement du Sénat. Parmi ces six postes figurent ceux de président et de vice-président du Comité de sélection.

Le cas du Comité de sélection est particulièrement intéressant. Rappelons-nous qu’il n’y a que sept ans, le Règlement du Sénat a été modifié de sorte à désigner ce comité comme n’étant ni un comité permanent ni un comité spécial. Le sénateur Carignan avait proposé ce changement à la suite d’une controverse publique liée au versement pendant quelques années d’un salaire supplémentaire — de 11 200 $, à l’époque — à la présidente du comité, lequel avait siégé très peu fréquemment.

Malgré cet historique, la motion du 11 mars, sans préavis au débat, a rétabli des salaires additionnels pour le Comité de sélection. Le résultat est le suivant : le président reçoit un salaire de 12 500 $, et la vice-présidente, de 6 200 $. De plus, cette motion a créé un deuxième poste de vice-présidence rémunéré au sein de quatre comités. Certes, l’ajout de six postes rémunérés, c’est toujours mieux que l’ajout de 11 postes rémunérés, comme ce qui s’est produit en 2017. Toutefois, tout cela n’est pas très satisfaisant. Ainsi, si cette motion n’est pas abrogée, lorsque nous reviendrons en mai et que nous pourrons enfin former des comités permanents, certains auront un sous-comité directeur composé d’un troisième membre rémunéré, alors que, dans la majorité des comités, le troisième membre ne sera pas rémunéré, et ce, pour accomplir les mêmes tâches et fonctions.

La distribution transactionnelle des postes rémunérés n’est pas une bonne chose. Pour plusieurs, cela ressemble à une culture du privilège et entache la réputation du Sénat, comme nous l’avons constaté dans les médias. Comme le gouvernement travaille à une modification de la Loi sur le Parlement du Canada afin qu’elle reflète davantage la nouvelle réalité du Sénat, notamment la fin du duopole partisan et l’émergence de nouveaux groupes indépendants des partis politiques, nous avons besoin d’une politique qui ne soit pas à l’image de la Chambre des communes, mais plutôt propre au Sénat. À mon avis, cette politique devrait amener le retour à la pratique qui a longtemps eu cours : ne pas rémunérer davantage les présidents et les vice-présidents des comités. Le Sénat est composé de personnes talentueuses et dévouées, et je sais qu’il y aura de nombreux volontaires pour occuper ces postes de présidents et de vice-présidents, même si aucune rémunération supplémentaire ne leur est accordée.

D’ailleurs, à la Chambre des lords du Royaume-Uni, le modèle à partir duquel le Sénat a été formé, le président d’un comité, qu’il s’agisse d’un comité particulier ou d’un comité spécial, ne reçoit aucune rémunération supplémentaire. Au Sénat des États-Unis, être président ou vice-président ne confère pas de rémunération supplémentaire. Ces postes sont vus comme étant des postes prestigieux, et il ne manque pas de candidats, malgré la charge de travail accrue et le lot de stress qu’impliquent ces fonctions.

En parlant du Sénat des États-Unis, sur les 100 sénateurs américains élus, seulement trois ont droit à un léger supplément salarial : le président intérimaire, le chef de la majorité et le chef de la minorité. Certains diront peut-être que les sénateurs américains sont des gens riches, beaucoup plus riches que nous le sommes, mais là n’est pas le principe qui répond à la question. En contrepartie, le Sénat du Canada compte en ce moment 96 sénateurs nommés et plus de 50 postes donnant à leur titulaire un supplément salarial, y compris, conformément à la motion adoptée le 11 mars, 45 postes de présidents et de vice-présidents de comité.

L’éventuel comité de vérification et le comité spécial sur la COVID-19 ajouteront au moins quatre autres postes à cette liste, portant le total à 49. Incidemment, le caucus conservateur compte maintenant 21 sénateurs qui, ensemble, ont droit, en vertu de la loi actuelle, de notre Règlement et de nos motions qui s’appliquent nonobstant les règles en vigueur, à environ le même nombre de postes rémunérés.

Honorables sénateurs, malgré tout le respect que je vous dois, cela n’a aucun sens. J’invite le gouvernement actuel, lorsqu’il modifiera la Loi sur le Parlement du Canada, à éliminer les suppléments salariaux pour les présidents et vice-présidents de comités sénatoriaux. Le gouvernement devrait limiter de tels suppléments à une, à deux, voire à trois personnes à la tête de chacun des groupes reconnus du Sénat, dont le bureau du représentant du gouvernement au Sénat.

En conclusion, de tels changements nous rapprocheront du Sénat étatsunien et mettront fin à la tentation de contourner le Règlement existant pour créer de manière artificielle un comité permanent ou des postes rémunérés à partager entre des groupes — une tentation qui semble irrésistible, vu la motion du 17 novembre 2017 et celle du 11 mars 2020.

En attendant que la Loi sur le Parlement du Canada soit modifiée, je propose que nous ne restions pas les bras croisés, surtout à la lumière de la crise économique actuelle. En adoptant ma motion, nous mettrons fin, au moyen d’un ordre sessionnel, à la rémunération additionnelle des présidents et des vice-présidents de comité. Nous montrerons aux Canadiens que nous travaillons pour eux, y compris lorsque nous exerçons des fonctions de président et de vice-président sans recevoir de rémunération supplémentaire.

Merci beaucoup. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’ai une question à poser au sénateur Dalphond.

Son Honneur le Président : Sénateur Dalphond, votre temps est écoulé, mais la sénatrice Miville-Dechêne souhaite vous poser une question. Voulez-vous disposer de cinq minutes de plus? Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Miville-Dechêne : Sénateur Dalphond, je vous remercie de cet historique que je ne connaissais pas. Je dois vous dire que j’ai moi aussi de profondes réserves quant aux rémunérations additionnelles accordées à ces différents comités. Je n’ai jamais été présidente d’un comité, mais, selon certains, le président fait un travail supplémentaire qui mérite une compensation. Donc, j’aimerais que vous répondiez à cet argument.

Deuxièmement, peut-il y avoir une différence aussi importante entre la rémunération qu’accorde la Chambre des communes aux présidents qui, évidemment, sont rémunérés, et celle que verse le Sénat? Cela dit, étant donné l’époque dans laquelle on vit en raison de la COVID-19 et des difficultés que vivent les Canadiens, il me semble que le moment est tout indiqué pour que nous nous posions des questions sur cette rémunération additionnelle. Merci.

Le sénateur Dalphond : Je remercie la sénatrice Miville-Dechêne de cette question amicale, parce que c’est un point important qu’elle soulève.

Lorsqu’on aura l’occasion d’étudier la question plus en profondeur, on pourra constater, par exemple, qu’avoir un nombre de plus de 50 postes de présidents et de vice-présidents représente la moitié du Sénat. À la Chambre des communes, il n’y a pas d’équivalent. À la Chambre des communes, le nombre de présidents et de vice-présidents, et ce, même avec deux vice-présidents, représente à peine 75 personnes sur 337. On ne parle pas des mêmes proportions.

Quant à la question du travail du président et du vice-président, je crois que vous avez été vice-présidente d’un comité l’an dernier dans le Parlement précédent. J’ai constaté, pour avoir assisté à certaines réunions de ses réunions, que ce n’était pas un travail de tout repos d’être vice-présidente de ce comité. Je suis certain que le président était aussi très actif avec les membres de son comité. Je sais que cela représente beaucoup de temps et d’énergie, car j’ai moi-même proposé de nombreux amendements à plusieurs projets de loi qui ont été étudiés par ce comité. Cela a représenté pour moi des semaines de travail de rédaction et de propositions d’amendements transmises à mes collègues, dont le sénateur McIntyre, avec qui j’avais une excellente relation. J’ai travaillé sur une quinzaine d’amendements au Code criminel. J’ai aussi été parrain du projet de loi modifiant la Loi sur le divorce, et cela m’a pris un temps fou. J’ai passé des jours avec les gens du ministère de la Justice à discuter des amendements, à lire cette loi volumineuse, etc. Tout cela s’est fait indépendamment des réunions du comité, et je n’ai pas demandé de rémunération additionnelle.

En fait, je pense que tout le monde ici veut travailler avec sincérité et bonne foi pour apporter sa meilleure contribution au travail. Pourquoi certains devraient-ils recevoir une rémunération en surplus, pour les attirer au poste de président ou de vice-président? Je ne crois pas; je pense que ces postes devraient être accordés selon le mérite aux personnes les plus qualifiées pour assumer ces fonctions.

De plus, cela ne requiert pas de rémunération; plusieurs assument ces tâches sans rémunération et beaucoup de sénateurs américains le font également à titre de présidents de comité. Ils passent des journées à la sécurité nationale, à recevoir en entrevue des candidats à la magistrature, à réviser les budgets, etc. Le tout se fait dans des proportions qui sont 10 fois plus grandes les nôtres et ils ne sont pas payés davantage pour faire ce travail.

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