L’honorable Brian Francis, conformément au préavis donné le 3 novembre 2020, propose :
Que le Sénat confirme et honore la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall, et qu’il invite le gouvernement du Canada à en faire autant en respectant le droit des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;
Que le Sénat condamne les gestes violents et criminels qui entravent l’exercice des droits issus de traités et exige le respect ainsi que l’application dans l’immédiat des lois criminelles du Canada, ce qui comprend la protection des pêcheurs et communautés mi’kmaq.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion que je viens de déposer et qui est le résultat de semaines de collaboration avec le sénateur Dan Christmas. En tant que seuls Mi’kmaqs à être nommés au Sénat, nous partageons le privilège et la responsabilité d’attirer votre attention sur les difficultés qu’éprouvent les Mi’kmaqs à exercer leur droit de pêcher pour s’assurer une « subsistance convenable ».
Honorables collègues, les Mi’kmaqs vivent au Mi’kma’ki depuis des temps immémoriaux. Notre territoire traditionnel couvre les régions connues aujourd’hui sous le nom de provinces de l’Atlantique et de péninsule gaspésienne, au Québec. Nous n’avons jamais cédé ni vendu notre souveraineté sur les terres et les ressources. Aujourd’hui, notre nation compte environ 170 000 personnes.
Tout au long du XVIIIe siècle, les Mi’kmaqs ont conclu une série de traités avec la Couronne britannique, qu’on appelle les traités de paix et d’amitié, dans un effort de bonne foi visant à mettre fin au conflit. Les traités de 1760 et 1761, en particulier, promettaient aux Mi’kmaqs le droit de continuer à pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette sur leurs terres traditionnelles. Cependant, la Couronne britannique et, aujourd’hui, le Canada n’ont pas respecté cette promesse.
À compter du XIXe siècle, les Mi’kmaqs ont été forcés de vivre dans des réserves, de petites parcelles de terre qui ne représentent qu’une fraction de nos territoires traditionnels. Cette décision nous a presque entièrement privés de l’accès aux terres et aux ressources qui avaient permis à nos ancêtres d’assurer leur survie. Les Mi’kmaqs ont ensuite subi les dures épreuves associées à la Loi sur les Indiens, au système des pensionnats autochtones et à la rafle des années 1960, pour n’en nommer que quelques-unes. Ces initiatives assimilationnistes et colonialistes ont eu un effet durable sur nos vies. Entre autres exemples évidents, mentionnons : le manque d’accès aux services et aux ressources, la surreprésentation flagrante dans le système de justice pénale et les services de protection de l’enfance, et les niveaux élevés de chômage, de pauvreté et de problèmes de santé dans nos communautés. Ajoutons à cela le refus prédominant de reconnaître le droit à l’auto-détermination des Autochtones et les droits ancestraux ou issus de traités existants, y compris le titre autochtone à l’égard de nos terres traditionnelles.
Honorables collègues, au lieu de pouvoir négocier, les Mi’kmaqs ont été obligés de recourir aux tribunaux pour régler les différends en suspens au sujet de leurs droits. Dans l’arrêt Marshall de septembre 1999, la Cour suprême du Canada a rendu une décision historique sur les droits issus des traités au Canada.
Elle a reconnu et confirmé que les Mi’kmaqs continuent d’avoir le droit de pêcher et de vendre du poisson afin d’en tirer une « subsistance convenable » pour eux et leur famille, comme le faisaient nos ancêtres avant l’arrivée des Européens. Le droit a été prévu dans les traités signés avec la Couronne en 1760-1761 et fait partie de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Quelques mois plus tard, en réponse aux vives protestations des pêcheurs non autochtones, la cour a précisé que le gouvernement peut réglementer l’exercice du droit issu de traités pour des motifs de conservation ou pour tout autre motif. La cour a fait toutefois remarquer que le gouvernement doit d’abord démontrer qu’il existe un objectif législatif valable et qu’il n’empiète que de façon minimale sur l’exercice du droit issu de traités. La cour a également indiqué que le groupe visé doit être consulté et recevoir une indemnisation équitable en cas d’expropriation.
Chers collègues, il est important de noter qu’il n’y a eu jusqu’à présent aucune justification, consultation et indemnisation pour les violations du droit de pêcher et de s’assurer une « subsistance convenable » prévu par le traité avec les Mi’kmaqs. Il faut aussi se rappeler que les Mi’kmaqs pêchent de façon durable depuis des milliers d’années et que la conservation a toujours été un principe fondamental pour eux.
Dans l’arrêt Marshall, la cour n’a pas défini ce qui constitue une « subsistance convenable ». Elle a seulement statué qu’il ne s’agissait pas d’accumuler des richesses, mais d’acquérir des choses essentielles comme la nourriture, les vêtements et le logement, complétés par quelques commodités de la vie.
Il est important que nous comprenions que le rôle du gouvernement fédéral est de négocier avec les Mi’kmaqs la façon de mettre en œuvre le droit de s’assurer une « subsistance convenable » — et non de débattre ce que l’expression signifie. Ce sont les Mi’kmaqs qui doivent le déterminer — et qu’il n’y a pas de solution toute faite. Ce qui est convenable pour une communauté ne l’est peut-être pas pour une autre.
Honorables sénateurs, le plus haut tribunal du pays a décidé il y a plus de 20 ans que les Mi’kmaqs avaient le droit de pêcher et de s’assurer une « subsistance convenable » pour eux, pour leur famille et pour leur communauté. On parle donc d’un type de pêche à petite échelle comportant certains aspects commerciaux, mais bien différents des autres types de pêche mi’kmaq, la pêche alimentaire, sociale et rituelle — qui font partie de nos droits autochtones —, et la pêche à des fins commerciales et communautaires, qui nécessitent des licences fédérales et permettent l’accumulation de richesses. Le Canada n’a pas voulu collaborer avec les Mi’kmaqs pour mettre en application ce traité inhérent et ce droit protégé par la Constitution.
L’approche actuelle consiste à exiger que les Mi’kmaqs, qui exercent leur droit de tirer une subsistance convenable, le fassent conformément aux politiques et réglementations fédérales appliquées au secteur commercial. Ceux qui ont refusé se sont fait confisquer leur équipement et leurs filets par des fonctionnaires du ministère, ou ont été condamnés à payer une amende. D’autres ont été arrêtés et inculpés, et certains ont même subi de la violence. Ces gestes portent directement atteinte à notre droit de pêcher et d’assurer une subsistance convenable.
Le gouvernement continue d’ignorer le fait que les Mi’kmaqs exercent un droit constitutionnel, lequel a préséance sur la Loi sur les pêches et ses règlements. Plutôt que de travailler directement avec les Mi’kmaqs pour trouver une solution durable au conflit, les gouvernements fédéraux successifs se sont concentrés sur l’augmentation et la diversification de la participation des Mi’kmaqs dans la pêche commerciale, ce qui a contribué à renforcer l’autosuffisance économique, mais n’équivaut pas à une pêche fondée sur les droits.
Par exemple, en 2017, Pêches et Océans Canada a commencé à négocier les soi-disant ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, qui n’offrent qu’un accès légèrement plus important à la pêche commerciale. Ces ententes ont été largement rejetées par les Mi’kmaqs parce que, s’ils en signaient une, il leur serait interdit d’exercer leurs droits de pêche pendant un certain nombre d’années.
Chers collègues, les actes violents et criminels commis contre les pêcheurs et les communautés mi’kmaqs dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse sont extrêmement troublants. Absolument rien ne justifie ce comportement. Les pêcheurs commerciaux impliqués dans le retrait de pièges à homards, la destruction de biens et toutes les autres activités criminelles doivent être tenus responsables de leurs actes. Le gouvernement et ses partenaires de la police doivent également être tenus responsables du fait qu’ils n’ont pas agi rapidement pour protéger la vie et les biens des pêcheurs mi’kmaqs et de leurs communautés, ainsi que de leur mépris continu des droits inscrits dans la loi. On a laissé tomber les Mi’kmaqs.
Toute cette situation rappelle de mauvais souvenirs de la crise de Burnt Church, un autre conflit portant sur les droits des Mi’kmaqs qui a eu lieu entre 1999 et 2002. La situation demeure instable et tendue, mais j’espère, pour la sécurité et le bien-être de tous, qu’elle ne s’aggravera pas davantage.
Un signe positif est que quelques communautés mi’kmaqs qui ont commencé à pratiquer la pêche au homard pour une subsistance convenable en utilisant leurs propres plans de gestion n’ont pas été intimidées et n’ont subi aucune pression, ce qui témoigne d’un respect mutuel et d’une collaboration qui existent depuis des décennies. Cela me donne l’espoir que d’autres communautés mi’kmaqs qui prévoient élaborer leurs propres plans de gestion de la pêche pour exercer et faire valoir leurs droits pourront également le faire sans problème.
Honorables sénateurs, les pêcheurs commerciaux non autochtones continuent de parler de conservation. Le concept n’est devenu qu’un outil politique pour enfreindre les droits autochtones. Des Mi’kmaqs s’adonnant à la pêche commerciale est un phénomène plutôt marginal. Les données scientifiques ont confirmé que la pêche de subsistance ne nuira pas à la conservation. Il faut mettre un terme à cette campagne de peur non fondée. La pêche de subsistance convenable est une pêche à petite échelle. L’objectif est de répondre aux besoins nutritionnels et au bien-être économique de la communauté. Ce type de pêche ne constitue pas une menace réelle pour la conservation ou la subsistance des autres pêcheurs.
Les plans de gestion qui régissent la pêche de subsistance convenable sont fondés sur l’ancienne philosophie mi’kmaq du Netukulimk, qui gouverne la durabilité de notre récolte. Cette philosophie se fonde sur le respect et la gratitude envers toutes les ressources naturelles fournies par le Créateur. Il s’agit d’un code de conduite qui enseigne aux Mi’kmaqs à prendre seulement ce dont ils ont besoin pour le bien-être de la personne et de la communauté. Nous ne cherchons pas à surexploiter ni à épuiser les ressources naturelles. Nous sommes les gardiens des connaissances traditionnelles et les défenseurs sacrés de la terre et des ressources. Depuis longtemps, nous partageons avec nos voisins et nos amis, et nous continuerons de le faire.
Honorables sénateurs, je tiens à parler brièvement de l’importance de l’honneur, une valeur qui nous permet de nous évaluer et qui guide nos actions. Le titre honorifique « honorable », par exemple, exige que nous nous comportions avec dignité, honneur et intégrité dans toutes nos interactions. Le principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne, qui est au cœur de la réconciliation, vaut tout autant pour le gouvernement fédéral. Le principe découle de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne sur les peuples autochtones et du contrôle de la terre et des ressources dont, auparavant, ils avaient le contrôle. Son objectif est de réconcilier les sociétés autochtones préexistantes à cette assertion de la souveraineté de la Couronne. Le principe établit une obligation selon laquelle la Couronne doit agir avec honneur dans tous ses rapports avec les peuples autochtones. Cela comprend d’agir avec diligence dans la mise en œuvre des droits ancestraux et issus de traités en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle.
Le non-respect de ce principe est au cœur du différend actuel à propos des droits de pêche des Mi’kmaqs au Canada. La protection des droits ancestraux ou issus de traités relève d’un engagement sacré et impératif. Nous, les Mi’kmaqs, sommes prêts depuis longtemps à négocier de bonne foi pour la reconnaissance et la mise en œuvre de nos droits issus de traités, mais nous n’avons jamais pu négocier avec un partenaire bien disposé. L’approche « c’est à prendre ou à laisser » qui a marqué les deux dernières décennies doit disparaître. Nous avons désespérément besoin d’une façon de faire repensée et améliorée, fondée sur le codéveloppement et la cogestion des ressources.
Honorables collègues, il s’agit d’une question d’honneur. Si le Canada souhaite garder sa réputation de pays honorable, il doit commencer à honorer ses obligations envers les premiers peuples à habiter ces terres.
Le gouvernement a promis d’établir une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits des Autochtones, le respect, la coopération et le partenariat. Ces paroles sont vides si elles ne mènent pas à des gestes concrets et à des résultats.
Honorables collègues, l’adoption de cette motion annoncerait clairement que les honorables sénatrices et sénateurs qui composent cette Chambre reconnaissent sans réserve et honorent le droit des Mi’kmaqs de tirer de la pêche une subsistance convenable, un droit inhérent issu de traités et protégé par la Constitution, et qu’ils attendent la même chose du gouvernement fédéral.
Ce serait aussi une façon de dénoncer collectivement les gestes violents et criminels portés contre des pêcheurs Mi’kmaqs et des communautés qui tentent de se prévaloir de leurs droits.
Finalement, elle ferait savoir aux autorités compétentes que nous nous attendons à ce qu’elles traitent la vie, la propriété et les droits de toutes les parties en cause, y compris les Mi’kmaqs, de manière juste et équitable et que nous ne tolérerons rien de moins.
Honorables collègues, je vous invite à vous joindre sans tarder au débat et à adopter à l’unanimité cette motion d’une grande importance.
Wela’lioq. Merci.